Je suis
Je suis une âme triste
dans un corps triste
je suis un cocon de verre
rempli de tristesse
dans sa parcelle de désarroi
je suis une chair bleue
aux fissures profondes
séquelles des jours sans lune
des jours de brume
je suis un chemin humide
s’étirant dans l’obscurité
les gouttes fraîches
sur ma peau défaite
je suis un ciel orageux
enragées mes veines
le cœur en éclairs
tempête grondante
dans les plis de mon torse
je suis les médicaments
sur ma table de nuit
aux noms scientifiques
pilules censées détruire
apaiser faire taire capturer
la maladie
la dépression coule encore
féroce
dans mon corps
le silence de mon appartement
contre la fatigue grimpante
de mes yeux
je suis mes mots
vomis dans des carnets
sur des claviers frappés
des pages et des pages
de lettres qui dévorent
les contours des courbes
des douleurs
qu’elles s’en aillent
dans le creux de mes textes
je suis les escaliers que je grimpe
parce que je me suis mis en tête
que j’allais perdre
des kilos
ou peut-être mes troubles
la solitude
la tristesse
ou l’espoir qu’ils disparaissent
je ne perds rien
à grimper les escaliers
seulement moi
et les calories que je n’ai pas
je suis ma lame
dans sa pochette
entre les médicaments pour se tuer
et les lames neuves
qui attendent d’être utilisées
je suis la lame
qui glisse sur mon corps
qui mange la chair
et la saigne
pour montrer la vie
ou taire les cris
je suis l’eau de la douche
sur mes plaies fraîches
mélangée à mon sang
dégoulinant sur
ma cuisse ma jambe mon bras
mes seins mon ventre mes hanches
mon corps est une guerre
de tristesse saignante
je suis les larmes
dans l’aube le noir la solitude
la douche le soir le lit la rue les transports
les champs le vélo le jour les draps
je suis les larmes
des coups des mots des durs des fragiles
des sensibles des vides des fatigues
des douleurs des armes des cris des silences
je suis les larmes
des plaies
qui saignent en abondance
seules assises sur le sol des lieux vides
qui dévorent avalent mangent crachent boivent
arrachent détruisent condamnent tuent noient
je suis ma tentative de suicide
ma chair assise
sur le sol de ma chambre
la plaquette de médicaments
à mes côtés
comme une alliée
les pleurs de mon amie
en fond sur le téléphone
la mère qui ne comprend rien
qui râle refuse nie et accuse
la douleur de la solitude
qui broie le ventre
vomir la mort
fatiguer de planer
mais de ne point succomber
je suis mes relations
passées à jamais terminées
présentes
la superposition de leurs vécus
de leurs noms leurs vies
nos souvenirs nos rires nos mains nos cœurs serrés
comme des enfants effrayés
je suis mes attouchements
les mains
sur les seins le cœur le torse la chair
la peur le sang le déni la culpabilité
l’incompréhension l’acceptation
la haine la légitimité la reconnaissance
la peau des êtres
qui touchent
sans demander remercier apaiser
respecter aimer
et mon corps
en sursis
derrière sa vitre salie
attend de savoir
quelles autres mains
l’ont condamné
peut-être
à toute cette tristesse
je suis mon propre agresseur
de mes pleurs
la main
sur la culotte le sexe
et les larmes qui coulent
sans raison
avec raison
inconnue
les gestes
qui font mal
le vagin qui saigne
d’incompréhension
du sang incolore
qui crie sa violence
les insultes dans le crâne
faire mal à mon sexe
et pleurer pleurer pleurer
comme mon vagin
je suis la peur de déranger
dans les transports
entre corps
la nausée en hantise
la demande comme fardeau
dans le métro je sers mon ventre
à la peur de vomir
il ne faudrait pas gêner les gens
je n’en ai pas le droit
mes silences pour mes proches
mes larmes qui veulent une voix
il ne faudrait pas les appeler
je n’en ai pas le droit
je suis l’angoisse
palpitante
frissonnante
elle croque délicatement
les organes les envies les espoirs
les possibilités les améliorations les croyances
elle agenouille
gicle l’eau dans mes yeux
main sur cœur
le souffle d’un fumeur
depuis trente années
il faut réapprendre à respirer
et à ne pas succomber
à la marée
je suis le corps
qui s’en veut
le lendemain
d’une soirée
d’être incapable
de sociabiliser correctement
trop silencieux
trop calme
trop distant
trop éteint
trop distrait
reproches faits à moi-même
je suis mon propre ennemi
on ne fait pas mieux la guerre
qu’à soi-même
la solitude achève
la sociabilité déchire
les tissus de la chair
avec les doutes les je m’en veux
j’aurais dû j’aurais pu je devais je pouvais
eux elles iels normaux normales moi instable
bizarre anormal
adolescence confinée
dans l’absence de santé
mentale
adolescence confinée
dans les recoins de l’esprit
adolescence confinée
dans mes larmes et le silence
adolescence confinée
comment sortir de ma cage
après l’absence
je suis les désolé pardon je m’excuse
les oublis que je ne pourrai jamais
admettre
les je pardonne j’accepte je respecte je comprends
les coups dans les côtes d’avoir trop crié
les larmes sur les joues d’avoir trop aimé
les plaies sur les hanches d’avoir trop compris
les relations qui ont détruit
les relations que je veux détruire
les je te déteste je t’aime je te hais tu me plais
les tu es extraordinaire t’es belle t’es merveilleuse
les je suis nul incapable bête trop pas assez
les organes broyés sous les reproches
et les incompréhensions
les je t’aime mais je ne t’apprécie pas
que l’amour des parents apporte
les je t’aime je veux ton bien mais je te détruis
que les mots de l’ex ne disent pas
les tu es mais trop mais pas assez
sois mieux plus juste tais-toi tu parles pas beaucoup sois attentif arrête de tout écouter pourquoi tu pleures ça ne va pas et tes petites angoisses tu te sens toujours pas bien mais pourquoi tu te scarifies
des questions sans sens sans réponse
posées dans l’absence
ma vocalité muette
je n’ai pas la place
pour contenir retenir tenir investir soutenir
je suis une loque
amère
acide
aigre
qui agresse
sur la langue
je suis je ne suis pas
vide
vide
vide
vacuité est mon écosystème
la biologie de mon être
ce que je ne suis pas
qui je ne suis pas
je ne suis pas
je ne suis pas
je ne suis pas
corps éreinté
de l’existence
esprit fatigué
d’être vivant
je souhaite quitter
la partie la vie
je suis désempli
trou noir
à la place du cœur
galaxie sans étoiles
nuit infinie noire
obscurité sans pause
vent en trombe contre mes os
je suis un être de chair
qui ne suis pas
désidentitaire
inconstitué
mes maladies en résonance
les pilules bloquées dans mes veines
j’ai disparu dans mes draps
dans le sol de ma tentative de suicide
dans les mains des attouchements
dans les mots des relations
dans les souvenirs de la mémoire
dans la nourriture de mes assiettes
dans la faim de mon estomac
dans la tristesse de mes contenants
dans la haine des gens du temps de la vie
du système de moi du monde
je me suis perdu
dans la guerre de moi-même
je ne suis pas
je ne suis pas
je ne suis pas
condamnation des êtres
de papier
vides
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