Chapitre 2
Jamais Joy n’avait aussi bien dormi. Sans le savoir, la mystérieuse femme du parc l’avait soulagée de cette peur de ne pas être écoutée. Elle l’avait apaisée. Et désormais, elle se sentait un brin plus soutenue qu’elle ne l’avait été.
Le lendemain, Daniela et Joy étaient Chez Léon, leur café préféré à deux pas de l'université. Assises près de la fenêtre, elles observaient distraitement les passants tout en sirotant leur cappuccino. C’était leur routine, après les cours. Elles parlaient de tout et de rien mais, ce jour-là, Joy était ailleurs, elle n’écoutait pas vraiment les histoires de cœur de son amie.
Les deux étudiantes s’étaient rencontrées au lycée et, depuis, elles ne s’étaient plus lâchées. À vrai dire, elles se complétaient sur tous les points. Lorsque l’une était extravertie, l’autre préférait le silence. Daniela parlait beaucoup, souvent pour deux, alors que Joy se contentait d'écouter. En ce moment, les sujets ne tournaient qu’autour de Marcus, le nouveau petit-ami de la blonde. Dès qu’elle parlait de lui, elle se mettait à rougir. Joy appréciait ce Marcus, le considérant comme le copain parfait pour sa meilleure amie.
Comme à son habitude, Daniela effectuait de grands gestes qui trahissaient son excitation.
— Et puis, tu sais, la dernière fois il a…
Daniela fronça les sourcils tandis que son amie hochait machinalement la tête, traçant des cercles imaginaires avec sa cuillère dans la mousse de son café.
— … Il m’a quittée, lança la blonde dans l’espoir de faire réagir son amie, en vain.
L’étudiante se mit alors à claquer des doigts devant son nez pour obtenir ne serait-ce qu’une réaction de sa part.
Joy grogna.
— Oui, il t’a quittée… Attends, Marcus t’a quittée ?!
Les bras croisés, son amie l’observa gravement.
— Non, répondit-elle d’un ton bien plus ferme. Tu m’écoutais pas ?
— Si…
— Joy, je te connais par cœur.
Dos au mur, l’étudiante soupira bruyamment avant de se redresser. Cela faisait dix bonnes minutes qu’elle n’avait plus écouté un seul des mots que son amie racontait. C’était comme si sa rencontre de la veille l’empêchait de penser à autre chose.
Daniela se redressa à son tour, remarquant une certaine inquiétude sur son visage.
— Hey… Ça va ? T’as pas l’air bien.
Un sourire sur les lèvres, Joy tenta de masquer son inquiétude. Malheureusement, son amie n’était pas dupe.
— Allez, insista-t-elle en posant sa main sur la sienne. Dis-moi tout.
Au départ, Joy ne savait pas comment répondre. Devait-elle lui parler de la Dame du parc ? Mais, alors qu’elle hésitait, le regard désormais doux de son amie la fit craquer. Elle le lui avoua.
— J’ai rencontré quelqu’un, dit-elle si doucement que Daniela dû se pencher en avant pour l’entendre.
Aussitôt, elle frappa dans ses mains tout en jubilant.
— Il est comment ? Beau ? Grand ? Blond ? Brun ?
Joy secoua la tête, un léger rire nerveux échappant à ses lèvres.
— C’est une femme…
— Oh… Et alors, elle est comment ? reprit Daniela. Brune ? Intelligente ? Aussi drôle que moi ? Ça j’en doute !
Joy s’enfonça dans son siège pour contrer le débit de parole de son amie. Elle secoua à nouveau la tête.
— C’est pas ce que tu crois… C’est une femme plus âgée que nous.
Daniela croisa les jambes, se sentant davantage concernée par la situation.
— C’est-à-dire ?
Joy soupira.
— On a simplement parlé, hier.
— Et… C’est tout ?
— Oui… Enfin, elle est un peu spéciale, mais je l’aime bien.
— Comment elle s’appelle ?
Son amie haussa les épaules.
— Je ne sais pas.
Daniela écarquilla les yeux, incrédule.
— Attends, tu as parlé avec une inconnue, une femme plus âgée, pendant… combien de temps ? Et tu ne lui as même pas demandé son prénom ?
Joy haussa les épaules, mal à l’aise.
— Ça semblait pas important. On a juste... discuté.
Daniela l’observa attentivement, plissant les yeux, comme si elle cherchait à lire à travers elle.
— Et de quoi vous avez parlé, alors ? demanda-t-elle, visiblement curieuse, mais aussi légèrement inquiète.
Joy hésita un instant, cherchant ses mots. Elle savait que Daniela se ferait des idées si elle racontait tout dans les détails.
— De moi, de ma vie, de toi…
Daniela leva un sourcil, un sourire mi-amusé, mi-surpris sur les lèvres.
— De moi ? J’espère que t’as dit que j’étais géniale !
— Évidemment, dit Joy en souriant timidement.
Mais Daniela n’était pas dupe. Elle sentait que quelque chose la troublait. Ses yeux se firent plus sérieux.
— Tu es sûre que c’est tout ? T’as pas décroché un mot de la journée… Tu sais, si ça va pas avec ton père, tu peux venir chez moi. Autant de temps que tu veux.
Elle connaissait la relation compliquée entre Joy et son père. Chaque fois qu'elle abordait ce sujet, Joy esquivait, comme si le simple fait de prononcer son nom l’étouffait.
Joy sourit.
— Merci, Dani. Mais qu’il soit là ou non, c’est la même. On ne se parle pas. Discuter avec quelqu’un de plus âgé, de l’âge de ma mère peut-être, dit-elle d’une voix mélancolique, ça m’a donné l’impression d’être écoutée. Toi, je sais que tu es là. Mais, je n’ai que toi. Parfois, j’aimerais bien avoir quelqu’un d’autre à qui parler, tu vois ?
Daniela hocha la tête, son sourire s’effaçant peu à peu. Elle connaissait cette solitude qui pesait sur les épaules de son amie, cette sensation d’être seule au milieu de la foule. Elles en avaient déjà parlé, parfois tard le soir, lorsque Joy se confiait à demi-mots. Daniela aimait Joy plus que tout, et la voir parfois malheureuse lui fendait le cœur en deux, même si elle faisait de son mieux pour la faire sourire.
— Je comprends, murmura Daniela doucement. Mais, tu sais que je suis toujours là, hein ? T’as pas besoin de chercher ailleurs pour ça.
Joy sourit, mais ce sourire était teinté d’une tristesse qu’elle ne parvenait pas à cacher.
Un silence s’installa entre elles, ponctué seulement par le bruit des cuillères dans leurs tasses vides. Daniela continuait d’observer Joy, cherchant à comprendre ce qui la troublait tant. Puis, elle retrouva sa joie de vivre et se redressa.
— Allez, assez parlé de ça. Marcus m’a invitée à une soirée samedi, tu viens avec moi ? Ça te changera les idées.
Joy hésita. Elle ne voulait pas dire non à son amie, mais elle n’en avait pas envie. Elle préférait rester chez elle, seule, comme toujours. Elle secoua la tête.
— Une autre fois, promis.
Daniela soupira, résignée, mais elle n’insista pas davantage. Elle connaissait Joy, et quand elle avait quelque chose en tête, il était difficile de la faire changer d’avis.
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