Chapitre 3
Fidèle à sa promesse, Joy retourna au parc. Pour une raison qu’elle ignorait, tous ses sens étaient en alerte, comme s’ils voulaient la mettre au courant d’un potentiel danger. Mais la jeune femme n’en tint pas compte, ni même du ciel d’un gris à présager une tempête imminente.
La Dame du parc était déjà là, même heure, même place. Comme la dernière fois, elle ne bougeait pas. Elle attendait. Alors Joy s’empressa de prendre place à ses côtés pour ne pas lui faire perdre davantage de temps. Joy ne s’aimait pas, mais elle détestait décevoir ceux qui l’aimaient. Certes, il n’y avait en réalité que Daniela, mais cette femme à ses côtés, elle ne voulait pas la décevoir.
— Je savais que tu reviendrais, lança la femme sans nom avec un léger rictus sur ses lèvres.
L’étudiante prit exemple sur elle et fixa l’horizon. Malgré tout, elle laissa échapper un soupir qui retint l’attention de sa voisine de banc.
— Tout va bien, Joy ?
Peut-être était elle inquiète, ou cette question d’était qu’une preuve de politesse. Mais, pour Joy, c’était une porte ouverte pour se livrer.
— Oui… J’ai vu Daniela après les cours.
Une première goutte tomba sur le front de la Dame du parc, qui ne sembla s’en soucier, jusqu’à ce qu’il se mette à pleuvoir des trombes. Malgré cela, elle ne bougea pas. Joy en fit de même, bien que l’idée de se mettre à l’abri était dans un coin de sa tête. À vrai dire, elle avait toujours détesté la pluie.
— Qu’a-t-elle dit ? demanda la femme d’un ton plutôt sec, ce qui surpris Joy.
— Rien… On a simplement discuté.
Joy avait fait le choix de ne pas lui révéler que Daniela avait connaissance de son existence. Elle savait qu’elle pouvait faire confiance à la Dame du parc mais, pour le moment, elle préférait laisser sa meilleure amie en dehors de tout cela.
— Tu ne veux pas me dire le sujet de vos discussions ?
— Ce n’est pas vraiment intéressant… Elle m’a parlé de son copain, Marcus.
La Dame du parc tourna légèrement la tête. Son regard s’assombrit, ses sourcils froncés. Elle attendait certainement une suite qui n’arriva pas, un mot qui aura eu le don de bousculer l’étudiante.
— Daniela parle tout le temps de Marcus, murmura-t-elle en souriant sincèrement. C’est un bon gars, il prend soin de ma meilleure amie.
Désormais, la pluie tambourinait sur leurs épaules. Le parc était vide, sans ses passants habituels. Elles étaient seules.
— Ah, s’étonna la mystérieuse femme. Tu es donc la roue de secours.
Joy fronça les sourcils. Ce genre de remarque ne lui plaisait, surtout venant d’une personne à qui elle commençait à s’attacher. Daniela n’était pas ce qu’elle pensait. Daniela était une amie formidable.
— Je reste sa meilleure amie, qu’il soit là ou non.
— Meilleure amie, répéta immédiatement la femme, faisant rouler les mots sur sa langue avec un certain dédain. Pourtant, tu passes après Marcus. C’est une drôle d’amitié.
Joy sentit son cœur se serrer. Elle n’avait que Daniela, il lui était impossible de croire à ce que cette inconnue lui disait.
Le silence tomba entre elles, brisé seulement par le bruit de la pluie. L’étudiante fixait le sol maintenant gorgé d’eau, essayant de calmer ses pensées qui s’entrechoquaient les unes aux autres.
— Tu sais, reprit finalement la Dame du parc d’une voix bien plus douce. Tu le comprendras quand tu grandiras, mais les amitiés ne sont pas éternelles. Un jour, Daniela et Marcus emménageront peut-être ensemble. Et peut-être que ta meilleure amie commencera à t’oublier. Au début, vous vous verrez quelques fois dans l’année, puis ce ne sera que de simples messages pour prendre de tes nouvelles… Et toi, tu seras seule.
Joy serra les poings, tentant de refouler la colère qui montait en elle.
— C'est faux, répliqua-t-elle d’une voix tremblante. Daniela ne ferait jamais ça. On est amies depuis des années, rien ne pourra changer ça.
La Dame du parc ne répondit pas tout de suite. Elle tourna simplement son regard vers l’horizon, observant les arbres danser sous la pluie.
Le cœur de Joy s’emballa. Cette idée lui était insupportable. Daniela était sa seule amie, sa seule famille, celle qui avait été là quand elle se sentait au plus bas. La perdre était tout simplement impensable.
— Tu te trompes… ajouta Joy, les larmes se mêlant à la pluie sur son visage.
— J’espère pour toi, rétorqua la Dame du parc en esquissant un mince sourire. Mais le monde change. Les gens changent.
Joy resta silencieuse. Elle voulait croire que Daniela ne la trahirait jamais, mais la voix de la Dame du parc résonnait dans sa tête, insinuant des doutes qu'elle ne parvenait pas à faire taire, bien qu’elle savait n’être que de parfaits mensonges.
Elle jeta un coup d'œil à la femme à côté d’elle, espérant y trouver un peu de réconfort, mais il n’y avait rien dans son regard. Juste cette même sérénité troublante et cette assurance glaciale qui semblait tout savoir.
— Tu mérites mieux, tu sais, dit la Dame du parc en se levant doucement. Une vraie amie te mettrait toujours en premier. Une vraie amie ne te laisserait pas te sentir comme ça.
Joy se leva à son tour, mais son corps était lourd, comme accablé par ces mots qui pesaient de plus en plus. Elle se força à sourire.
— Daniela m'aime. Elle ne me laissera pas tomber.
— On verra bien, conclut la femme mystérieuse en lui jetant un dernier regard. On verra bien.
Et sans un mot de plus, la Dame du parc s’éloigna.
Joy resta là, immobile sous la pluie, le cœur en miettes.
Cette conversation l’avait laissée plus troublée que jamais.
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