Chapitre 6

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Après avoir quitté le parc, Joy rentra lentement chez elle. La nuit commençait à tomber l’humidité subsistant dans d’atmosphère. Il y avait là une aura oppressante, mais Joy continua son chemin, d’un pas lourd, tout en repensant à sa discussion avec la Dame du parc. Les mots de cette dernière résonnaient encore dans son esprit. Je vais te protéger. Personne ne te fera plus jamais de mal.

Arrivée devant chez elle, elle poussa prudemment la porte d'entrée, comme à son habitude. L'intérieur était silencieux, mais une odeur familière l'accueillit aussitôt : celle de l’alcool.

Sans un mot, elle monta les escaliers, deux par deux, jusqu'à atteindre sa chambre. Chaque marche grinçait sous ses pieds. Joy n'avait qu'une envie : s'enfermer dans son cocon et oublier cette journée. Se laissant tomber sur son lit, elle fixa le plafond. Joy avait besoin de réfléchir. Elle devait réfléchir.

Mais soudain, un bruit sourd et métallique la tira de ses pensées. Un long silence angoissant remplit l’air. Son cœur s’emballa. La jeune savait d’où provenait ce bruit : du salon. Alors, elle bondit hors du lit, ses pieds manquant au passage de glisser sur le sol.

Quelque chose n’allait pas.

Rapidement, elle se précipita à nouveau vers l'escalier, les mains agrippées à la rampe, le cœur battant à tout rompre. La première chose qu'elle vit fut le vide du salon. Puis, une silhouette à terre attira son attention. Son père.

— Papa ? murmura-t-elle d'une voix étranglée, certainement la seule fois où elle se permit de l’appeler ainsi.

Michael était effondré sur le sol, face contre le parquet. À côté de lui, une bouteille à moitié vide. Son teint était pâle, presque livide, et ses lèvres légèrement bleutées.

Joy s’approcha de lui en tremblant, puis s’accroupit. D’abord, elle le secoua doucement, dans l’espoir qu’il se réveille. Mais, après une dizaine de secondes sans réponse, elle le bouscula violemment.

Joy était affolée.

— Papa ! Papa ! Réveille-toi ! Réveille-toi !

Mais rien. Son corps est inerte. Elle posa une main tremblante sur son front : froid, mais moite. Sa respiration, presque imperceptible.

Son esprit tourna, les mots de la Dame du Parc lui revinrent en tête. Personne ne te fera plus jamais de mal. Était-ce une coïncidence ? Elle l'avait senti, cette tension dans l'air, comme si quelque chose de grave était sur le point d’arriver

Joy se leva alors d'un bond et attrapa par réflexe son téléphone. Ses doigts glissèrent sur l'écran tandis qu'elle tentait de composer le numéro d'urgence.

La voix à l'autre bout du fil était calme et posée, mais Joy n'entendait qu'un bourdonnement dans ses oreilles.

— Mon père... il a bu... il... il ne se réveille pas. Il a besoin d’aide.

Les minutes qui suivirent furent un véritable flou. Lorsqu’elle avait laissé les ambulanciers s’occuper de son père, elle était tellement sous le choc que la scène lui paraissait lointaine. Elle n’avait aucun contrôle. Les gyrophares de l'ambulance illuminaient la façade de sa maison, mais tout semblait irréel. Un nombre incalculable d’émotions l’avait envahie : de la peur, de la colère, de l'impuissance, mais aussi un étrange soulagement qu'elle n'osait pas comprendre.

Accompagnant les pompiers jusqu’à l’hôpital, Joy resta silencieuse pendant tout le trajet. Son père n’allait pas bien. Elle savait pertinemment que ce qu’il venait de se passer était grave. Malgré tout, elle ne put s’empêcher de ressentir un étrange détachement. Même en voyant son père dans un tel état, une partie d'elle ne put s'empêcher de penser que c'était... mérité. Et là, au milieu du hall de l'hôpital, un murmure résonna dans sa tête, doux et apaisant, comme un écho familier.

C’est presque fini, Joy.
C'était la voix de la Dame du Parc. Toujours là. Toujours présente.

Après une nuit difficile à l’hôpital, Joy rentra chez elle et se laissa tomber, épuisée, sur son lit. Le même silence qui planait quelques heures auparavant l’entourait. Mais il y avait là un soulagement pour la jeune jeune. Le soulagement d’être seule. Elle n'avait plus l'énergie de se battre, ni même de penser à ce qui s'était passé. Son père était toujours à l'hôpital, dans un état stable mais inquiétant, et malgré tout, une partie d'elle resta indifférente. Joy se sentait vidée par tout ce qu’elle venait de vivre. Mais, encore et encore, la seule chose qui lui resta à l'esprit fut la voix de la Dame du parc.

Alors qu'elle ferma les yeux, espérant enfin céder au sommeil, un bruit sourd la fit sursauter. Quelqu'un frappait à la porte d'entrée. Bruyamment, avec insistance. Joy se leva avec hésitation. Elle se força à descendre, traînant les pieds, l'esprit embrumé. En ouvrant la porte, elle se retrouva face à Daniela, essoufflée et l'air paniqué.

— Joy ! Oh, mon Dieu, tu vas bien ? J’ai appris pour ton père, j'ai essayé de t'appeler, de t'envoyer des messages... Pourquoi tu m’as pas répondue ? J’étais folle d’inquiétude !

Sans attendre de réponse de sa part, Daniela se précipita à l'intérieur et prit Joy dans ses bras avec une force qui la surprit. Joy, d'abord raide et hésitante, finit par relâcher la tension de ses épaules, se laissant aller à cette étreinte rassurante. Daniela était tout ce qu'elle avait, et sentir cette chaleur humaine la sortit un instant de ses sombres pensées.

— Je suis... Je suis fatiguée, murmura Joy, la voix étouffée contre l'épaule de son amie.

Daniela recula un peu, la tint par les épaules et la regarda droit dans les yeux.

— Je comprends. Mais je suis là maintenant, d'accord ? Tu n'as pas à affronter ça toute seule. Tu sais que je suis là pour toi, toujours.

Joy poussa un petit soupir, mélange d'épuisement et de soulagement.

Elle hocha doucement la tête.

Elle n'avait pas les mots pour lui dire à quel point elle se sentait perdue, mais la présence de Daniela, elle, était là, même abrupte, lui faisait du bien. Même si une partie d'elle refusait de l’admettre.

— Viens, on va s'asseoir. Je vais te faire un café, d'accord ? proposa Daniela en la guidant doucement vers le salon.

Joy céda, trop fatiguée pour protester. Pendant que Daniela s'affairait dans la cuisine, Joy s'enfonça dans le canapé, le regard dans le vide. Son esprit se perdait entre les derniers événements et la voix réconfortante de la Dame du Parc, toujours présente à ses côtés comme l’était sa propre ombre. Ce ne fut pas seulement la fatigue physique qui lui pesa, c'était cette sensation de lourdeur constante, comme si quelque chose d'invisible lui écrasait la poitrine.

Daniela revint quelques minutes plus tard avec deux tasses fumantes. Elle s'assit à côté de Joy et lui tendit l'une d’elles.

— Je sais que c'est difficile, dit-elle doucement. Mais tu es plus forte que tu ne le penses. Et je ne te laisserai pas tomber.

Joy sourit faiblement, touchée par les paroles de son amie. Mais au fond d'elle, quelque chose la tiraillait. Un doute, une petite voix qui lui disait que même si Daniela était là, elle ne comprenait pas vraiment. Pas comme la Dame du Parc.

— Merci, murmura Joy, les yeux baissés.

Un silence confortable s'installe entre elles pendant quelques instants. Mais Daniela, inquiète pour son amie, ne peut s'empêcher de rompre ce moment paisible.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé avec ton père ? Tu veux en parler ?

Joy resta silencieuse un instant, hésitant à répondre. Elle ne savait pas comment expliquer ce qu'elle ressentait. C'était trop complexe, trop sombre. Et surtout, elle n'était pas prête à partager ses pensées avec quelqu'un d'autre que la Dame du parc. Mais elle savait que Daniela n'abandonnerait pas.

— Comme d’habitude... Il a bu, mais trop cette fois. Il est tombé et j'ai dû appeler les secours. Il est à l'hôpital, dans un sale état, c'est tout, répondit Joy d'une voix qui ne laissa transparaître aucune émotion, comme si elle énonçait un fait sans importance.

Daniela s'inquiéta du ton détaché de son amie. Elle savait que Joy traversait une période difficile, mais elle sentait qu'il y avait quelque chose de plus profond, quelque chose que Joy ne lui disait pas.

— C'est normal d'être en colère, tu sais. Mais tu peux me parler, si tu veux.

Joy serra sa tasse dans ses mains, sentant la chaleur du liquide lui brûler la peau. Elle ne pouvait pas dire à Daniela ce qu'elle ressentait vraiment. Elle ne pouvait pas lui dire qu'une partie d'elle se fichait éperdument de ce qui était arrivé à son père, que quelque chose en elle se réjouissait presque de sa chute.

Elle leva les yeux vers Daniela, cherchant une réponse qui ne vint pas. Puis, sans trop y réfléchir, elle murmura :

— Je suis juste fatiguée, Dani. Vraiment fatiguée.

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