Chapitre 7
Assise dans son amphithéâtre habituel, l’esprit de Joy était encore troublé par les événements de ces derniers jours. L’atmosphère était calme, studieuse… Tout l’inverse de ce qu’il se passait dans son cerveau déjà en surchauffe à neuf heures du matin.
À côté d’elle, Marcus et Daniela ne cessaient de discuter malgré les réprimandes du professeur, tandis que Liam traînait à l’autre bout de la rangée. Joy, elle, fixait le tableau, même si ses pensées étaient ailleurs.
Alors qu'elle tentait de se concentrer sur le cours, un mouvement attira son attention. Léo, un ami de Marcus qu'elle ne connaissait pas bien, entra dans la salle. Il salua Marcus et Liam d'un signe de tête avant de s'asseoir juste derrière Joy. À partir de ce moment, elle sentit son regard sur elle. Une attention lourde, insistante. Au début, elle essaya de l'ignorer, pensant qu'il la regardait simplement par curiosité.
Mais, au fur et à mesure que le cours avançait, elle se sentit de plus en plus mal à l'aise. Chaque fois qu'elle jetait un coup d'œil derrière elle, Léo semblait la fixer intensément. Ses yeux ne la quittèrent jamais, même lorsqu’il était surpris.
Gênée, Joy se déplaça légèrement sur son siège, espérant que ce n'était qu'une impression, mais rien n'y fit. Son regard oppressant persistait. Même le rire de Daniela, qui réussissait habituellement à la détendre, ne suffisait plus à apaiser la tension qui montait en elle.
À la fin du cours, alors que tout le monde commençait à ranger ses affaires, Léo s'approcha d'elle.
Le cœur de Joy s’accéléra.
— Bonjour, Joy, dit-il avec un léger sourire en coin.
— Salut, répondit-elle sèchement, évitant son regard tout en s'empressant de mettre ses affaires dans son sac.
— Je me disais... qu'on pourrait peut-être passer du temps ensemble, non ? Comme, juste nous deux.
Ses paroles étaient directes, trop directes pour qu'elle les prenne à la légère. Joy sentit un frisson lui parcourir l’échine.
— Non, merci, Léo, répondit-elle sans lever les yeux. J'ai déjà des projets.
— Allez, Joy, ne sois pas si froide, insista-t-il, son sourire se faisant plus pressant. On peut s'amuser, non ? Juste un verre, rien de sérieux.
— Je t'ai dit non, répéta-t-elle en le regardant cette fois dans les yeux.
Le jeune homme haussa un sourcil, visiblement surpris par sa réponse. Il recula légèrement, les mains en l'air dans un geste faussement désarmant.
— D’accord, d'accord. Pas la peine de s'énerver, murmura-t-il avant de s'éloigner, mais elle sentit encore le poids de son regard sur elle.
Joy soupira et mit son sac en bandoulière. Elle avait besoin de prendre l'air, de s'éloigner de tout cela. Alors, elle dit à Daniela qu'elle rentrait chez elle, faisant semblant d'être fatiguée, même si elle savait que son amie l'observait du coin de l'œil, doutant certainement encore de ses excuses.
Elle quitta le campus à pied, ses pas la menant sans but. Le vent frais lui fit du bien, balayant la lourdeur de l'amphithéâtre. Le silence de la rue était apaisant, chaque pas l'aidant à retrouver son âme, à repousser le malaise laissé par Léo. Mais alors qu'elle s'engageait dans une petite rue tranquille, elle entendit le bruit d'une voiture qui s'approchait derrière elle.
En se retournant, elle aperçut une voiture noire roulant lentement à ses côtés. C’était Léo. Un sourire était encore accroché à ses lèvres.
— Joy, tu ne devrais pas marcher seule comme ça. Monte, je te ramène chez toi.
Joy ne répondit pas, mais accéléra le pas.
— Allez, ne fais pas l'enfant, poursuivit-il, le ton se faisant plus insistant. Je veux juste te raccompagner, c'est tout. T’es fatiguée, non ? Tu l'as dit toi-même.
— Léo, laisse-moi tranquille, rétorqua-t-elle d'une voix forte, sentant la colère monter en elle.
Mais il ne s'arrêta pas.
— Monte dans la voiture, Joy. C'est pas sûr ici, tu sais. On ne sait jamais ce qui peut t’arriver.
Il y avait une certaine menace voilée dans ses mots, quelque chose de sournois qui fit battre le cœur de Joy encore plus vite. Ses mains tremblèrent légèrement, mais elle ne ralentit pas.
— J’ai dit non, Léo ! cria-t-elle cette fois, s'arrêtant un instant pour faire face à la voiture.
Le regard de Léo s'assombrit. Il la fixa quelques secondes, les doigts tambourinant sur le volant. Puis, enfin, il soupira.
— Comme tu veux, dit-il d'une voix glaciale, avant de filer et de disparaître au coin de la rue.
Joy resta immobile quelques secondes, le cœur battant à tout rompre. Elle serra les poings, sentant l'adrénaline couler dans ses veines. Puis, sans plus réfléchir, elle reprit sa marche, essayant de se calmer.
Elle savait exactement où elle allait maintenant.
Joy se mit à marcher rapidement, ses pensées tourbillonnant dans sa tête, la colère martelant ses tempes. Elle serra les poings, incapable de canaliser la rage qui montait en elle. Léo... Comment osait-il ? Cette arrogance, cette insistance... Il avait dépassé les bornes. Et pourtant, elle ne ressentait plus que cette même impuissance qu'elle ressentait à chaque fois qu'elle se retrouvait face à une situation qu'elle ne maîtrisait pas.
Soudain, ses pas s'accélérèrent d'eux-mêmes, ses jambes se dérobant presque sous le poids de l'émotion. Joy se mit à courir. Elle voulait échapper à cette colère.
Le parc. Il fallait qu'elle aille au parc. Elle devait parler à la Dame du parc. Elle seule pouvait comprendre. Elle seule pouvait l'écouter sans la juger.
D'un souffle court, elle traversa les rues, son sac claquant contre sa hanche. Chaque foulée semblait la libérer un peu plus de cette tension accumulée, mais à mesure qu'elle se rapprochait, son cœur battait plus vite.
Elle atteignit enfin le parc, encore désert à cette heure, et ralentit à l'entrée, à bout de souffle.
La pluie commençait à tomber, fine et froide. Mais elle s'en moquait.
Là, au loin, sur le banc habituel, la silhouette familière de la Dame du parc attendait. Comme toujours.
Haletante et les joues rougies par l’effort, Joy s'approcha à grands pas. Elle se laissa presque tomber sur le banc, la pluie ruisselant sur son visage, se mêlant à la sueur et à quelques larmes incontrôlables. Elle resta silencieuse un moment, le regard perdu dans le vide, cherchant les mots, cherchant à exprimer cette rage sourde.
La Dame du parc tourna légèrement la tête vers elle, silencieuse, attentive. Puis, au bout d'un moment, elle prit la parole.
— Tu sembles agitée, Joy. Que s'est-il passé ?
Joy déglutit difficilement, les mots restèrent coincés dans sa gorge. Mais elle ne pouvait pas rester silencieuse plus longtemps. Elle devait tout lui dire.
— Léo, murmura-t-elle enfin. Ce... ce type... Il m'a suivie après l'école, il a insisté... Il voulait que je monte dans sa voiture, il ne me laissait pas tranquille.
Le ton de sa voix trahissait la colère qu'elle tentait de maîtriser. La Dame du parc acquiesça lentement, comme si elle avait tout compris sans avoir besoin de plus de détails. Son regard, toujours aussi perçant, se posa sur Joy avec une intensité particulière.
— Il t'a manqué de respect, poursuivit-elle à voix basse. Et tu n’as rien fait ?
Joy serra les dents, ses poings tremblèrent. Elle avait tellement envie de réagir, mais quelque chose la retenait toujours. Elle avait peur de ses propres réactions, peur de ce qu'elle pourrait faire si elle laissait exploser toute sa colère. Mais maintenant, en présence de la Dame, elle sentit cette barrière s’effondrer.
— J’aurais dû faire plus, murmura-t-elle, la voix brisée. J'aurais dû…
— Oui, répondit la Dame du Parc, son ton devenant plus froid, presque tranchant. Tu aurais dû. Tu ne peux pas laisser ces gens te marcher sur les pieds, Joy. Ni Léo, ni ton père... ni personne.
Les mots de la Dame résonnèrent dans l'esprit de Joy, renforçant une idée qu'elle n'avait jamais osé s'avouer : elle en avait assez d'être faible. Elle en avait assez de laisser les autres contrôler sa vie.
— Mais tu n’es pas seule, poursuivit la Dame, son ton se faisant plus doux, presque rassurant. Il y a toujours quelqu'un qui veille sur toi. C'est moi.
Ces simples mots provoquèrent un étrange frisson dans le corps de Joy. Elle acquiesça sans vraiment réfléchir, le regard toujours fixé sur l'horizon. Elle ne savait pas trop où commençait la réalité et où s'arrêtaient ses pensées tourmentées, mais une chose était sûre : elle se sentait en sécurité ici, avec cette femme à ses côtés.
— Ne laisse plus jamais personne te traiter de la sorte, déclara la Dame du parc. Montre-leur de quoi tu es capable.
Joy tourna enfin la tête vers elle, une nouvelle étincelle dans les yeux.
— Oui… Vous avez raison.
Elle se leva brusquement du banc, la pluie s'intensifiant, battant contre son visage. La colère ne l'avait pas quittée, mais elle savait maintenant ce qu'elle devait faire. Plus jamais elle ne se laisserait faire. Elle ne serait plus jamais la fille fragile que tout le monde croyait qu'elle était.
Joy fixa une dernière fois la Dame du Parc, cette silhouette immobile et calme malgré la tempête qui grondait autour d'elles. Puis elle s'éloigna, le pas lent mais déterminé, sentant l'énergie de la colère la pousser vers l’avant.
Elle allait leur montrer.
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