Chapitre 8
Joy avait immédiatement sentit que quelque chose n’allait pas. Le calme de l’université était différent du silence habituel. Il y avait une tension étrange qui régnait dans les couloirs, sans qu’elle ne puisse mettre de mots dessus. Les étudiants parlaient à voix basse, échangeant des regards inquiets.
La jeune femme s’arrêta un instant, avant de se diriger comme à son habitude vers l’amphithéâtre.
Bientôt, elle y trouva ses amis. Eux-aussi semblaient tendus, voire inquiets. Joy commença légèrement à appréhender ce qu’il avait bien pu se passer.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle innocemment, en s'asseyant à côté d'eux.
Liam échangea un regard avec Marcus, puis Daniela, avant de répondre.
— T'as pas entendu la nouvelle ? Leo a eu un grave accident ce matin, sur le chemin de l’université.
Joy sentit une étrange sensation se développer dans son estomac, un mélange de choc et de quelque chose qu'elle n'arrivait pas à définir.
— Un accident ? Que s'est-il passé ? murmura-t-elle.
Marcus se passa une main dans les cheveux, visiblement perturbé.
— On ne sait pas exactement. Sa voiture a dérapé et a heurté un arbre. Il est à l'hôpital, mais... il va bien. Enfin, c’est un grand mot. Ses deux jambes sont plâtrées.
Aussitôt, les mots de Marcus résonnèrent dans l'esprit de Joy. Ses jambes se mirent à trembler, et elle sentit un picotement dans ses doigts. Léo, le même Léo qui l'avait harcelée la veille, était maintenant cloué sur un lit d'hôpital, incapable de marcher. Son cœur s'emballa. Elle ne pouvait s'empêcher de se poser une question qui lui brûlait la langue : la Dame du parc avait-elle quelque chose à voir avec cet accident ?
Elle secoua la tête, essayant de chasser cette pensée aussi vite qu'elle était venue. Ce n'était qu'une coïncidence, rien de plus. Tout comme l'accident de son père, un simple enchaînement de circonstances malheureuses. C'était impossible. Complètement absurde. Et pourtant... une partie d'elle ne pouvait s'empêcher de douter.
Après cette révélation, Joy tenta de se concentrer sur la conversation, mais ses pensées s'entrechoquaient dans son esprit. Elle se revit la veille, en colère et pleine de ressentiment, parlant à la Dame du parc. Elle se souvint des paroles réconfortantes de cette femme, de son ton apaisant, presque rassurant... Mais qui était-elle vraiment ? Cette question lui traversa l'esprit, puis elle l'écarta à nouveau. Non, ce n'était qu'une série de coïncidences, rien de plus.
Mais, cette pensée resta dans un coin de son esprit.
Le reste de la matinée s'écoula dans un flou étrange. Joy avait l'impression que les minutes s'étiraient, que les regards des autres élèves pesaient sur elle. Mais elle resta silencieuse, enfermée dans ses pensées. De son côté, Daniela n'avait pas dit un mot depuis qu'elles avaient rejoint la classe. Joy sentait qu'elle l'observait, parfois du coin de l'œil, comme si elle cherchait à comprendre quelque chose.
Daniela avait toujours été attentive, toujours présente, mais ces derniers temps... les choses avaient changé.
À la pause, Daniela se tourna enfin lentement vers Joy, un air inquiet sur le visage.
— Joy, tu vas bien ? Tu ne dis rien…
Joy baissa les yeux, cherchant ses mots. Elle ne savait pas vraiment quoi dire, car au fond d'elle-même, elle savait que Daniela avait raison. Elle n'était plus tout à fait la même. Depuis cette rencontre avec la Dame du parc, depuis les disputes avec son père, depuis les incidents qui avaient suivi... quelque chose en elle s'était brisé. Ou peut-être que quelque chose de nouveau était apparu, elle n'en était pas encore sûre.
— Je suis juste fatiguée, Dani. J'ai beaucoup de choses en tête, c'est tout, répondit-elle d'une voix monotone.
Mais Daniela ne sembla pas convaincue. Son regard balaya Joy avec une intensité presque douloureuse, comme si elle essayait de retrouver l'amie qu'elle connaissait, celle qui souriait, celle qui partageait tout avec elle. Celle qui lui échappait désormais.
— J'ai l'impression de te perdre, avoua Daniela dans un murmure, la gorge serrée, avant de se retourner sur son ordinateur portable.
Ces mots frappèrent Joy comme une gifle, mais elle n'eut pas la force de répondre. Au fond d'elle-même, elle ne savait pas si elle pouvait encore être l’amie que Daniela attendait.
Ce soir-là, Joy traversa le parc, les mains enfoncées dans les poches de son manteau. La brise d'automne se fit plus froide, en témoignant ses joues rougies. Son cœur battait la chamade, comme s'il essayait de lui dire quelque chose, de lui crier un avertissement qu'elle refusait d’écouter.
Mais elle était déterminée.
Elle devait en avoir le cœur net.
Au loin, elle aperçut la silhouette familière de cette femme, toujours assise sur le même banc, immobile comme une statue. Autour d'eux, le parc semblait désert, plongé dans une rare tranquillité. Joy s'approcha, les sourcils froncés. Son esprit était en désordre.
La femme tourna légèrement la tête, comme si elle l'attendait, comme si elle savait déjà ce qu'elle était venue demander.
— Je savais que tu viendrais, dit-elle calmement, d'une voix toujours aussi douce.
Joy lui fit face, les poings serrés dans les poches. Elle n'eut même pas la force de s'asseoir. La fatigue accumulée, le stress des derniers jours, tout cela l'écrasait. Mais c'était plus que cela. C'était la peur, une peur qu'elle n'avait jamais osé reconnaître jusqu'à présent.
— C’était vous ? s’exclama-t-elle.
La Dame du parc ne répondit pas tout de suite. Elle laissa le silence s'installer, comme si elle pesait la question. Ses yeux fixaient Joy, inexpressifs, presque vides, et son visage resta neutre, comme si la question ne l'affectait pas.
— De quoi parles-tu ? demanda-t-elle finalement, feignant l’ignorance.
— Vous savez de quoi je parle ! s'écria Joy, la voix tremblante d'émotion. Mon père... Léo... Est-ce que vous avez quelque chose à voir avec ça ? Est-ce que... est-ce que vous leur avez fait du mal ?
Le visage de la femme resta impassible. Pas un muscle ne bougea. Elle cligna des yeux, presque mécaniquement, avant de secouer la tête.
— Non, Joy. Je n'ai rien fait, répondit-elle calmement.
Mais Joy ne fut pas rassurée.
Le ton de la femme était bien trop neutre, trop lisse. Il n'y avait ni regret, ni indignation, ni même de surprise. Juste cette froideur implacable, ce masque qu'elle portait depuis leur première rencontre.
— Dans ce cas, pourquoi tout se passe mal depuis que je vous ai rencontrée ? Pourquoi tout ce qu’il se passe a un lien avec nos discussions ? demanda Joy, sa voix n'étant plus qu'un murmure, comme si elle redoutait la réponse.
La femme la dévisagea longuement, puis un sourire presque imperceptible effleura ses lèvres.
— Parfois, les choses suivent leur cours, répondit-elle simplement. Parfois, elles se déroulent comme elles sont censées le faire. Je ne fais qu'écouter, Joy. Je suis là pour toi, rien de plus.
Mais il y avait quelque chose dans ses yeux, une lueur cachée derrière ce semblant d’indifférence. Quelque chose qui ne correspondait pas à ses paroles.
Joy baissa les yeux, confuse et épuisée. Les événements des derniers jours défilaient dans son esprit, mêlant doutes et certitudes. Elle voulait croire que cette femme n'y était pour rien, qu'elle n'était qu'une oreille attentive, une amie qui tenait à elle. Mais une autre partie d'elle sentait que quelque chose n'allait pas, que quelque chose de bien plus sombre était en train de se dérouler.
— Joy... murmura la Dame du parc en lui tendant doucement la main pour l'inviter à s'asseoir à ses côtés.
Sans un mot, Joy s'assit, incapable de décider si elle devait lui faire confiance à nouveau. Mais une chose était sûre : ce lien étrange entre elles devenait de plus en plus fort, de plus en plus envahissant.
Elle se sentait prise au piège, comme si la Dame du parc savait exactement quels fils tirer pour la garder près d’elle.
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