Chapitre 12
Le lendemain matin, Daniela se réveilla avec une impression étrange. Sa meilleure amie était à ses côtés, mais il y avait comme un mur entre elles, une distance invisible. Et ce depuis que Joy avait rencontré cette femme. Daniela n’était pas jalouse, seulement inquiète. Elle voulait que son amie lui parle, lui explique pourquoi elle avait tant besoin de lui parler, pourquoi elle ne le faisait pas avec elle. Peut-être n’était-elle pas une si bonne confidente que ce qu’elle pensait. Pourtant, elles s’étaient toujours partagées leurs moindres secrets, du plus drôle au plus sérieux.
Daniela soupira si bruyamment qu’elle en réveilla sa meilleure amie. Joy, encore à moitié endormie, vit Daniela assise sur le rebord du lit, l’observant avec tendresse.
— Ça va ? murmura Joy, sa voix encore ensommeillée.
Daniela hésita, avant de hocher la tête.
— Ça te dit de sortir ?
Mais avant que Joy ne puisse décliner, comme elle avait l’habitude de le faire, la jeune femme continua.
— Que toutes les deux. On va à notre rocher… Ça fait longtemps.
“Notre rocher”, c’était le nom qu’elles avaient donné à ce gros caillou qui surplombait le grand lac de leur ville, alors qu’elles n’étaient qu’au collège. Elles s’y retrouvaient pour discuter, ou simplement se ressourcer.
Daniela guetta avec attention la réaction de Joy, et lorsqu’elle vit un sourire sur son visage, elle s’empressa de s’affaler sur le lit pour l’entourer de ses bras. Leurs rires finirent par remplir la pièce d’une bonne humeur nouvelle, à la grande satisfaction de Daniela.
À l’entrée du petit sentier menant à leur rocher, le soleil avait déjà pris sa place haut dans le ciel. Tout présageait à une belle matinée, d’autant plus que Joy semblait radieuse. Elle riait, souriait, discutait. Elle ne parlait pas de tout, mais elle parlait.
Pas à pas, elles montèrent ce chemin qu’elles avaient dû emprunter une centaine de fois et, pourtant, ce même frisson d’excitation les parcourut. Cette sensation de pouvoir contempler leur ville de là-haut les avait toujours fait rêver.
Arrivées au bord du lac, leur imposant rocher était toujours là. Elles gravirent une petite pente, puis s’assirent dessus, les jambes pendant dans le vide. Désormais, il y avait un silence à la fois apaisant et lourd de non-dits entre elles. Daniela fixait l’eau aux reflets d’or sous leurs pieds.
C’était là qu’elles avaient partagé leurs premiers secrets, leurs premières peines, et tant de promesses. Et c’était là que Joy ne lui disait maintenant pas la vérité. Elle tourna la tête vers son amie, espérant que ce moment les aiderait à retrouver cette connexion.
Après plusieurs minutes à se remémorer leurs souvenirs d’enfance, Daniela se décida.
— Joy… J’ai besoin de savoir qui elle est.
Son amie tourna légèrement la tête.
— On en a déjà parlé.
— Tu me connais, j’ai besoin de tout savoir.
— Je t’ai dit ce que tu avais à savoir.
Le ton soudainement froid de Joy interloqua Daniela, mais elle n’abandonna pas.
— S’il te plaît…
— Dani, c’est pour ça qu’on est là ? demanda fermement Joy qui avait furtivement laissé entrevoir son visage à son amie, qui remarqua ses yeux remplis de larmes.
— Non ! C’est juste que… Il s’est passé beaucoup de choses ces derniers temps.
— On a déjà abordé le sujet.
Le silence qui suivit la dernière phrase de Joy n’avait rien d’apaisant cette fois-ci. Daniela sentait une froideur s’installer, presque palpable.
— Tu ne peux pas comprendre pas, Dani, dit Joy d’un ton tranchant.
Daniela resta figée, surprise par la dureté de sa voix. Elle essaya de rassembler son courage, de trouver un moyen d’apaiser la situation, mais tout lui échappa.
— Alors aide-moi à comprendre, tenta-t-elle, presque suppliant.
Joy tourna la tête vers l’horizon, refusant de croiser le regard de Daniela. Son visage était fermé.
— Ça ne sert à rien.
La jeune femme avait l’impression de ne plus reconnaître son amie, celle avec qui elle partageait tout autrefois. Une boule se forma dans sa gorge, et elle baissa les yeux vers le sol.
— Joy, murmura-t-elle, on se disait tout, avant. Pourquoi tu ne peux plus le faire maintenant ?
Joy serra les dents, son visage toujours impassible.
— C’était avant.
Le ton de sa voix était presque tranchant, et Daniela sentit son cœur se serrer davantage. Elle avait espéré que ce moment sur leur rocher les rapprocherait, mais tout semblait empirer.
— C’était avant ?
Joy soupira.
— Dani, arrête de faire semblant de ne pas comprendre. Je veux qu’on arrête de parler de ça, maintenant.
Joy se leva soudainement, ses mouvements brusques, comme si rester là, sur leur rocher, lui devenait insupportable. Elle tourna le dos à Daniela, les bras croisés, le regard perdu dans l’immensité du lac. Mais lorsqu’elle observa furtivement son amie, elle vit son regard qui la suppliait d’obtenir une réponse à sa question.
— Peut-être que je ne veux plus que ce soit comme avant, murmura-t-elle finalement, sa voix presque brisée.
Ce fut la phrase de trop pour Daniela qui sentit tout en elle se dérober. Elle n’avait plus rien à faire, plus aucun argument pour essayer de sauver ce qui semblait déjà perdu. Alors elle se leva à son tour et, sans un mot de plus, elle tourna les talons et descendit la pente, tentant de ravaler ses larmes.
Désormais, ce rocher n’était plus le symbole de leur amitié, mais de l’endroit où tout avait basculé.
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