1 - 4 Départ

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C’est avec les honneurs que la famille d’Hedwige reçu Opale. Cela impliquait une paillasse fraîche, de l’eau réchauffée pour se laver les mains et le visage, et la mère projetait de faire une soupe avec du lard.

— Ne vous donnez pas cette peine pour moi ! supplia la comtesse en devenir, j’ai mangé tout mon saoul et j’espère que vous aussi avez suffisamment profité du festin.

— Mais vos aut'y avez vos habitud's, on voudrait point vous manquer d'respect. Pis vot' père, i s’occupe déjà bin d’Hedwige au castiau. Y lui apprend comment bin parler et tout ça. Eh pis y veut l’engager, nous aut’, in veut vous r’merchi bin.

— Je vous assure que j’ai bien mangé madame. C’est déjà très gentil de votre part de m’accueillir.

La brave dame capitula, eux aussi avaient profité du repas et de ce fait personne n’avait vraiment faim, mais l’hospitalité des gens du pays était telle qu’ils ne pouvaient s’empêcher de donner plus qu’ils ne possédaient.

— Pour votre bon accueil, j’ai une bonne une histoire ! Cela vous plairait ?

Hedwige insista auprès de ses parents et la magie opéra. Le bonheur des mots emplit les oreilles des enfants et s’étendit aux parents qui en tant que simples villageois ne connaissaient pas les contes du soir.

— Merchi bin bonne Dame, vos avez bin amusé nos pauv’s oreilles.

L’heure était enfin venue pour chacun de s’endormir. Les maisons rurales de l’époque n’étaient constituées que de deux salles, une grande salle à vivre et une pour stocker la nourriture. Les cinq enfants dormaient chacun sur une paillasse, une plus grande servait aux parents. Hedwige dormant en général au château, ses frères et sœurs s’étaient déjà disputés afin de savoir qui récupérerait la paillasse de la comtesse.

Au petit matin, parents et enfants vaquèrent à leurs occupations. Hedwige proposa à Opale de l’accompagner un bout de chemin, histoire de papoter une dernière fois avant le départ définitif.

— Alors raconte-moi, où en es-tu avec ce Gautier qui te plaît tant ? Tu lui as parlé ?

— Pas encore, mais tu vois hier, pendant le repas, il s’était mis en face de moi. Je crois qu’il m’a remarquée. Il faisait de jolis sourires, tu aurais vu…

— Ah je suis contente pour toi, ça avance. Il travaille aux écuries, c’est signe que c’est un bon garçon, mes parents choisissent méticuleusement leurs palefreniers. Les chevaux sentent les bonnes gens.

Les encouragements d’Opale allaient droit au cœur d’Hedwige, que ferait-elle lorsque son amie serait partie au loin ? Elle la laissait là, avec ses doutes. Mais puisqu’il fallait qu’elle voyage…

— Tu sais ce que tu vas faire dans cette fameuse quête ?

Le regard d’Opale de Montbrumeux se perdit dans le vague.

— Pas encore, non. Mon père m’a dit de me laisser guider par l’instinct, ma mère m’a conseillé d’aider les gens les plus pauvres.

— Et alors, ce fameux « Cœur du monde » tu as une idée de ce que c’est ?

— Pas du tout, je vais demander autour de moi. Peut-être que quelqu’un saura me le dire.

— Moi je pense que c’est un bijou, un gros diamant, tu vois ? Comme ceux qu’on a vu dans les livres.

— Ou tu sais, ma mère elle parlait des volcans, cette lave rouge comme elle disait, ça pourrait faire comme un cœur ?

— En tous cas je me rappelle qu’elle disait qu’il fallait pas s’approcher, alors fais bien attention à toi. Ou une chose mythologique, s’il fallait que tu traverses le Styx ! Si tu vois cerbère tu vas faire comment ?

— Un gros nonos pour chaque tête et ça devrait aller !

Elles rirent toutes deux un instant, se regardèrent. L’une était déjà dans son voyage, l’autre la suivait en rêve. Des larmes troublèrent leur vision, l’instant fatidique approchait :

— Bon, c’est maintenant qu’on se dit au revoir ?

Les deux amies se serrèrent dans les bras, chose que la comtesse évitait en général. Opale récupéra Clythia et monta en selle. Un dernier petit signe de la main, et elle disparut dans la forêt.

Un sentiment de solitude la saisit. Afin de le conjurer, elle caressa l’encolure de sa jument.

À peine partie, tu ne vas pas déjà flancher !

Elle se recentra sur l’objectif de la journée, elle avait vu sur une carte un village à une distance raisonnable. Si les circonstances se montraient favorables, elle atteindrait sa destination en milieu d’après-midi.

Sur le sentier tout semblait calme, elle admirait faune et flore, écoutait le chant des oiseaux humait l’air frais de la forêt sur un chemin que bordait un ruisseau. Quand elle eut faim et soif, elle s’arrêta et puisa dans le cours d’eau une boisson limpide et fraîche. Avec ses réserves, elle se constitua un pique-nique qu’elle consomma, son dos appuyé contre un vieux chêne. Personne ne la pressait, elle s’accorda un instant de repos.

Il lui fallait ensuite repartir, le soir viendrait vite. Une fois enfourchée elle laissa Clythia donner le son rythme. La jument avait envie de se dégourdir les pattes et piqua un petit galop pendant quelques minutes au bout desquelles elle ralentit et reprit à son pas habituel.

Quelques heures plus tard, la forêt s’éclaircit et quelques toitures apparurent. Son périple journalier tirait à sa fin. La journée avait été longue, la fatigue du voyage commençait à se faire sentir, et Clythia donnait des signes d’épuisement… Surtout, son haubert pesait lourdement sur ses épaules.

Mettant pied à terre la jeune femme, suivie par le brave animal, entreprit de faire le tour du village, composé au plus d’une vingtaine d’habitations. Sur son chemin les paysans la dévisageaient avec curiosité. Que faisait cette femme en armes dans leur village ?

Elle repéra rapidement une maison à la toiture délabrée. Dans le poulailler quelques poules étiques grattaient le sol. Elle entra. À l’intérieur, tout en faisant les cent pas, une femme berçait dans ses bras un bébé en pleurs. C’est bien ma veine. L’occupante resserra l’étreinte sur son enfant et recula devant cette personne toute de mailles vêtue.

Opale comprit le malaise et leva une main en signe de paix.

— Ne craignez rien, bonne dame. Je souhaiterais simplement l’hospitalité pour la nuit.

— Mais j’ai rin à vos donner à minger. Ch’est pas qu’j’voudrais point, mais j’ai d’jà rin à béqueter pour mi. Pi vous êtes qui ?

— Je suis la fille du comte. Opale de Motbrumeux pour vous servir. Vous n’avez pas à me craindre. Je m’occupe de chercher de quoi manger. Je peux poser mes affaires ?

La femme se détendit.

— Si vos l’disiez. Vos pouvez mett’ vos affaires ichi.

Elle désigna un coin dans la pièce. Opale ôta son haubert qu’elle y déposa.

— Ouh, ça fait du bien d’enlever tout ça. C’est lourd à porter toute une journée.

La femme remarqua avec surprise que cette femme bardée de fer était constituée de chair et d’os. Les gens des châteaux étaient finalement eux aussi sensibles à la fatigue et à la douleur.

La femme s’approcha alors de la comtesse et lui montra son enfant. Opale lui fit quelques grimaces et ses pleurs se calmèrent.

— Elle t’aime bin. Assis-toi un brin par ichi. Te r’poser, ch’te f’ra point d’mal.

Autour d’une table bancale, elle désigna une chaise qui l’était tout autant et déposa la petite qui s’endormait dans son berceau.

— Oh, vous avez raison, j’irai chercher à manger plus tard.

Elle s’assit à côté de la femme en soufflant. Puis elle s’étira en arrière.

— Ça fait du bien de se poser un peu.

Elle tourna sa tête vers l’hôtesse et s’enquit :

— Alors ? Et vous comment vous nommez vous ? Vous vivez seule ?

— Mi c’est la Gisèle. Ah, ma pauv’ tchiote dame, mon homme, i est parti l’an dernier, quind j’avos cor la p’tite dins l’ventre. L’était dja ben malade depuis un temps.

— Et vous vous retrouvez toute seule quel malheur. Vous faites comment pour vivre, ça doit pas être simple.

— Bin aveuc la cht’iotte, j’peux point trop travailler. Faut s’en occuper.

La jeune fille fut prise de compassion pour la malheureuse. L’imaginer devoir s’occuper de son enfant tout en trouvant de quoi manger la révoltait. Elle quitta promptement la table et se dirigea vers la sortie.

— Je vais voir ce que je peux faire pour votre approvisionnement, et aussi pour manger ce soir.

Pas moyen de laisser cette pauvre veuve dans cet état. Elle acheta quelques denrées dont un grand sac de farine aux habitants du village et demanda la livraison à un jeune garçon. Mais elle n’allait pas s’arrêter là.

En repartant, il ne lui fallut que quelques secondes pour dénicher la motte castrale abritant le seigneur local. D’un bon pas, elle atteint la construction quelques minutes plus tard. À l’entrée du château, elle énonça son nom au garde en faction et brandit sa chevalière d’un geste princier. Impressionné par la prestance de la Dame et son titre, le planton courut chercher le sergent :

— Attendez-moi ici quelques minutes si vous le voulez bien, indiqua celui-ci.

Pendant l’attente, elle examina la bâtisse en bois. Comparé à Montbrumeux, c’était tellement petit et mal architecturé. Ils ne tiendraient pas un siège.

Il ne fallut pas longtemps avant de voir un jeune homme grand et large qu’elle reconnut pour avoir participé à son envoi en mission. Arrivé à la hauteur de la fille de ces suzerains, il se présenta.

— Godefroid d’Aubressac, Madame, je suis bien aise de vous recevoir. Je vais faire préparer une chambre pour cette nuit, vous prendrez bien un repas avec nous.

Ces manières serviles dégoûtaient Opale. D’un autre côté, c’était le moment d’en profiter.

— Je loge au village. Ne vous donnez pas cette peine. Je suis venu pour une autre affaire.

— Je suis votre humble serviteur madame.

Mais bien sûr, on va voir ce que tu me répondras quand je t’aurai présenté ma requête.

— Je loge chez une pauvre veuve du nom de Gisèle. Son toit est dans un état lamentable, elle n’a rien à manger et doit s’occuper seule de sa petite.

L’homme prit un air désolé.

— C’est bien regrettable Madame la comtesse.

— Le mot est dit. Et moi aussi je le regrette. Comment est-ce possible que sur les terres d’un vassal de mon père on traite de telle manière ses humbles sujets ? J’exige que le toit soit réparé et que la dame dispose d’au moins un sac de farine chaque mois, d’un bidon de lait, du grain pour son poulailler ainsi que du bois en hiver. Elle a une enfant à nourrir.

— Mais Madame, ce n’est point de mon ressort…

La jeune femme se dressa de toute sa hauteur, qui, malheureusement n’atteignait pas des sommets conséquents.

— Il est du ressort d’un seigneur de veiller au bien être de ceux qui habitent sur ses terres. Je peux envoyer une missive à mon père si vous n’êtes pas d’accord.

Godefroid bouillait d’envoyer balader cette prétentieuse. Mais il avait prêté allégeance, et ce n’était pas dans ses intérêts de se mettre le comte à dos, pour quelques bricoles.

— Bien madame, ce sera fait.

— Je repasserai en retour de mission, j’espère que Gisèle aura eu de quoi manger pendant ce laps de temps. Sur ce, je vous souhaite le bonsoir.

— Bonsoir Madame.

Opale de Montbrumeux tourna les talons sans regarder derrière elle, adoptant une démarche royale. Elle revint bien vite à la maisonnette de Gisèle qu’elle trouva toute heureuse en train de préparer des galettes avec de la farine et un œuf.

— Un si gros sac d'farine, ch’est bin gentil d’ta part, mi, j’sais point qué dire pour t’r’merchier.

— Partager le repas de ce soir me suffira, Gisèle.

Quand elle se coucha ce soir-là, Opale de Montbrumeux était fière d’elle. Elle avait secouru une pauvre femme dans le besoin et avait assuré sa survie. Elle put paisiblement rêver à sa belle inconnue.

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