1 - 6 - Noces campagnardes
Avant de quitter Gisèle le lendemain matin, la future chevaleresse, s’enquit du “Cœur du monde”. Sans résultats. Elle prit alors congé de la malheureuse qui la remercia vivement. En partant, elle croisa une enfant qui apportait un setier de lait à la veuve. Première victoire.
Elle n’était pas peu fière d’elle, le torse bombé, elle chevauchait Clythia se figurant que sa volonté serait acceptée à chaque endroit visité. Ce qui s’avéra plus ou moins, disons, jusqu’à son arrivée dans le comté Vermandois où elle ne put en aucun cas faire valoir son nom. De là, elle continua ensuite son périple vers le sud-est.
Toujours à la recherche de la compagne de ses rêves, elle dormait parfois dans des familles où habitait une jeune fille belle à ses yeux, dont elle aurait pu faire connaissance et pourquoi pas… séduire. Hélas, en matière de séduction, elle ne s’y connaissait guère et aucune des jeunes femmes rencontrées ne semblait intéressée.
En arrivant à ce village du Comté de Vitry, Opale avait repéré une jolie personne qui puisait son eau. Elle s’approcha et offrit ses services.
— Bonjour, puis-je vous aider dans votre tâche ?
La belle se tourna vers elle, intriguée par la maille brillante.
— C’est point que je voudrais pas, mais ce genre de travail n’est point pour les gens d’votre genre. Md’ame… sauf vot’respect.
— Opale de Montbrumeux, pour vous servir. Pas de souci, je prends l’anse par la droite. Vous vous prénommez ?
— Lanthilde.
Elles marchèrent jusqu’à une habitation de belle taille et correctement entretenue.
— Je cherche un hébergement pour cette nuit, voire quelques jours. Je peux aider aux champs s’il faut. A-t-on besoin de bras quelque part ?
Depuis qu’elle avait quitté le comté, elle trouvait sa nourriture en rendant des services, là où il y en avait besoin.
— Comme j’me marie dans trois jours, mes parents y z’ont pas mal b’soin d’aide.
Elle se marie, c’est bien ma veine. Tant pis, elle me plaisait bien. Encore un coup dans l’eau.
— S’ils m’acceptent, c’est d’accord.
— J’vais d’mander, attendez ici je r’viens.
Lanthilde disparu dans la maison. Quelques minutes plus tard, un petit bonhomme au teint rougeaud et à la mine avenante se trouvait en lieu et place de la belle.
Je préférais la fille.
— Odilon, fit-il en tendant la main. Mais que fait une Dame de votre classe dans un village aussi misérable ?
Opale saisit la main tendue.
— Je recherche : “Cœur du monde”.
— Prrt, connais pas. Mais vous pouvez rester un peu ici, ma fille m’a dit. J’ai b’soin de bras. Y a les tables, des chaises à déplacer, la cuisine à faire, des tas de choses, on est débordé, vous s’rez pas de trop.
— C’est bon pour moi.
Ainsi pendant deux jours, Opale participa à la préparation des réjouissances. Le lendemain, elle aiderait au service. Odilon, bien surpris de voir une dame de grande naissance travailler, ne le manifestait le moins possible.
Au soir du deuxième jour, elle proposa l’un de ses fameux contes de la comtesse conteuse, pour tous ceux du village qui le souhaiteraient. Quand il se termina, Odilon courut féliciter la Dame qu’il hébergeait, manifestant son admiration pour les beaux mots qu’elle utilisait.
— J’pourrais vous d’mander quequ’chose ?
— Mais bien sûr Odilon.
Opale s’était bien habituée à la jovialité du bonhomme et le trouvait sympathique.
— Si vous êtes d’accord ça vous dispens’ra d’faire le service. Ma femme trouvra bien un jeune. On a pas tous les jours une comtesse à la maison, et vous qui parlez si bien. Et faut que j’vous dise, on vous aim’ bien dans la famille.
Elle ne put retenir un sourire gêné.
— Je vous écoute.
— Ce s’rais… d’faire un beau discours pour ma pt’ite Lanthilde.
Le rire clair d’Opale éclaira la nuit tombante.
— Oh bien sûr ! Mais je ne peux pas tout inventer. Il faut que vous me racontiez qui elle est. Des anecdotes de son enfance, des choses qu’elle apprécie, et quelques détails sur le couple aussi. Racontez-moi !
— Ben, ma Lanthilde, c’est comme un beau soleil. Le jour où elle est née, c’était l’printemps, y avait tout plein d’oiseaux…
*
Le lendemain, le village réuni dans l’église célébrait les noces des deux tourtereaux. La chorale chantait, le curé prêchait, les enfants de chœur servaient et les deux jeunes amoureux rayonnaient. Le moment des échanges d’alliances fut émouvant et tout le monde se partit d’applaudissements.
Ce mariage d’amour suffit pour remplir de joie le cœur d’Opale. Elle n’avait que peu parlé à Lanthilde, mais elle avait senti cette flamme lorsqu’elle parlait de son Castin.
Malgré tout, il y avait quelque chose dans leur regard à tous deux, et dans celui de leurs parents. Une sorte d’appréhension. Opale ne savait quoi en penser, mais quelque chose ne tournait pas aussi rond qu’on voulait bien le faire croire.
Après la messe, on passa à table. Heureusement le beau temps bénissait l’union du jeune couple et les tables dressées à l’extérieur accueillaient toute la population de la petite bourgade. Le cochon tué au matin même, accompagné de nombreuses volailles, grillait sur un immense feu, attisant la gourmandise des invités.
Les plats se succédaient, les danses s’envolaient rythmées par un tambour et un flûtiau portait la mélodie. Autour de la table, les gens mangeaient, buvaient et riaient. Personne ne manquait de rien. Il subsistait cependant l’odeur d’un effroi inexprimé.
C’est alors qu’ils arrivèrent.
Au milieu chemin, un homme aux allures distinguées, flanqué de huit gardes armés jusqu’aux dents, approchait du lieu des réjouissances. Le voyant arriver, tout le monde se tut instantanément.
Parvenu à proximité, il s’arrêta.
— Alors, on n’invite pas son bien aimé seigneur aux noces de sa fille ?
Odilon s’approcha de l’homme et posa genou à terre.
— Par pitié monseigneur, non. Je peux vous payer.
Ledit seigneur toisa l’assemblée et ricana.
— Ce n’est pas pour de l’argent que je suis venu, nous verrons cela au moment des impôts, mais je note que tu n’es pas démuni. La petite Lanthilde a bien grandi, elle est plutôt jolie. Ne serait-il pas normal, que son seigneur puisse la déflorer à son aise avant qu’un manant ne la touche ? Les bonnes traditions se perdent !
— S’il vous plaît, non !
Lanthilde et Castin se reculèrent terrorisés.
— Gardes, saisissez-moi ces…
Il n’eut pas l’occasion de terminer sa phrase. Un gantelet de mailles s’était envolé et lui avait percuté la face avec force, avant de tomber au sol. Les gardes attendaient la suite de la phrase, pendant que le noble se tenait douloureusement le nez.
Lorsqu’il se redressa, une personne au regard meurtrier et vêtue un haubert complet se campait devant lui.
Il recula d’un pas, avant de se stabiliser.
— On ne relève pas le défi ? On recule ? On n’a pas d’honneur ? Les bonnes traditions se perdent.
Une femme ? Il aspira une grande bouffée d’air afin de retrouver son calme.
— Qui êtes-vous et que faites-vous sur mon fief ?
— Je suis la comtesse Opale de Montbrumeux. Ton pire cauchemar. Je viens de te lancer un défi. L’usage est de ramasser ce gant et de me le rendre. Tu fais dans tes braies ? Ce serait amusant que tout le village te voie manquer à ton honneur.
— Un défi lancé par une gamine, mais laissez-moi rire.
— Une gamine qui pourrait bien te ridiculiser si tu ne ramasses pas ce gant. Je t’ai donné mon nom, j’aimerais savoir qui je vais tuer.
Il ricana, une sorte de rire un peu forcée, de ceux auxquels on ne croit pas soi-même.
— Seigneur Anthonin de Bellevoie, finit-il par dire.
Il ramassa rapidement le gant qu’il lança à sa porteuse.
— Quelles sont vos conditions ?
— Sur le champ, et à mort.
La détermination de l’héritière de Montbrumeux était sans appel. Ils tirèrent leur arme du fourreau.
Le curé s’avança et fit signe aux hommes en armes de s’écarter.
— Le duel doit s’exécuter conformément à la loi, faites place.
Tout le monde recula obéissant au prêtre.
— Qu’on en finisse, cracha Opale qui ne décolérait pas.
Elle se mit en garde.
De Bellevoie s’approcha d’elle comme un promeneur, s’appuyant sur son épée comme sur une canne. Opale ne bougeait pas, son regard bouillait de haine. Tout à coup, il déclencha une attaque fulgurante esquivée d’un pas sur le côté. Sa feinte n’avait pas fonctionné.
Sitôt l’attaque esquivée, la comtesse lança une contre-attaque malheureusement parée. Les coups s’enchaînèrent de part et d’autre. L’un cherchant la faille que l’autre laisserait apparaître.
Les passes s’enchaînaient à un rythme effréné, les adversaires soufflaient bruyamment. Mais notre héroïne évitant un coup à la tête, trébucha, se retrouva au sol, son arme vola à plus d’un mètre devant elle. Le seigneur se précipita sur elle, épée en avant mais ne rencontra que le sol. D’un mouvement rapide elle avait roulé sur le côté et tout en accrochant ses jambes à celles de son ennemi, le fit chuter.
Autour de la lice improvisée, les villageois encourageaient Opale de toutes leur force. Après ce qu’avait dit le curé, ils n’osaient pas intervenir directement.
Les belligérants avaient lâché leurs armes devenant encombrantes en combat rapproché, et un pugilat s’était engagé. Coups de poings, de coudes, de genoux s’échangeaient avec violence. Tout à coup, de Bellevoie se dressa fièrement à califourchon sur une comtesse immobilisée.
Il attrapa son épée et s’apprêtait l’empaler de sa lame.
— On n’utilise pas une arme contre un adversaire désarmé, cria le curé.
De Bellevoie lâcha un grognement et s’immobilisa à contrecœur. Du public jaillit une petite masse qui atterrit tout droit dans les mains de la comtesse. Celle-ci en profita pour frapper son adversaire de toutes ses forces entre les jambes.
— Meurs par là où tu as péché, hurla-t-elle en abattant une deuxième fois son bras.
L’homme se plia en deux, les mains sur sa blessure qui pissait littéralement le sang. Opale le repoussa avec ses pieds pour se dégager et se leva.
De Bellevoie, geignant lamentablement, se vidait de son sang.
Lanthilde et Castin accoururent pour soutenir leur sauveuse chancelante. Odilon arriva, la deuxième masse entre ses mains.
— J’ai pas eu le temps de vous lancer la deuxième.
Un léger sourire apparut sur les lèvres de la jeune fille qui se laissa aller dans les bras qui la soutenaient. On la conduisit à un siège le temps qu’elle reprenne ses esprits.
— Vous voulez un peu de vin ? lui proposa-t-on.
À cet instant, des nausées lui vinrent et elle rendit sa nourriture à la terre.
*
Sur le chemin, une dame, accompagnée d’un garde marchait d’un bon pas en direction de la scène. Elle s’arrêta devant de Bellevoie agonisant. Elle l’observa un instant avant de lâcher :
— Bien fais pour toi, pourriture. Gardes, débarrassez-moi de ça.
Puis elle se tourna vers les paysans assemblés.
— Qui dois-je remercier ?
Elle vit d’elle-même la jeune femme en armes au teint blafard et accourut à elle.
— Vous avez soulagé une Dame et tout un village d’un poids impossible. Je vous en serai à jamais reconnaissante.
Elle tendit une main dont Opale se saisit, rassembla tout son courage et se leva. L’inconnue passa ses bras autour de son cou et se mit à pleurer d’émotion. Ainsi bercée, la comtesse sentit contre elle ce corps chaud et doux tandis que les larmes de sa propriétaire s’écoulaient le long de sa gorge.
Elle n’aimait pas qu’autrui la touchât, mais ce contact lui redonna des forces.
C’est juste son émotion, rien de plus, je ne dois pas me faire de fausses idées. Non.
Doucement elle repoussa la Dame.
Seul dans son coin, le seigneur du village rendit l’âme alors que tous admiraient leur sauveuse.
Les noces furent interrompues comme on peut l’imaginer après ce qu’il s’était produit. Mais elles reprirent le lendemain et Odilon put écouter le discours de la comtesse.
Dans la nuit, Opale rêva à nouveau de l’assaut de Montbrumeux. À la différence près que désormais, elle participait à la défense de sa forteresse.
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