Chapitre 2 - Solitude

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Son pouce tremble au-dessus de l'écran lumineux.

Depuis que Jennifer est à côté d'elle en cours de maths, elles se sont mises à discuter et se sont découvert une passion commune, celle du shopping et du maquillage. Jennifer est même arrivée en début de semaine avec le vernis à ongles qu'elle lui avait conseillé. La rouquine en avait été à la fois surprise et flattée.

Mais c'est la première fois que l'adolescente reçoit une invitation de sa part. Maéline sent ses joues chauffer doucement, son cœur battre un peu plus vite. Cette tiédeur repousse quelque peu le vent givré qui la secouait quelques instants plus tôt.

Les doigts cherchent dans le carnet de contacts ; s'arrêtent sur le prénom d'Emma.

Salut ma belle, je viens de recevoir une invitation de Jennifer pour ce soir, t'en es ? Bises !

La réponse ne tarde pas.

Salut Maé, non rien reçu. Y'a une chanceuse parmi nous ;) Vas y et raconte-moi tout lundi ! Kiss kiss.

Y aller seule ? Son ventre se noue. Sa main hésite davantage.

Refuser ? Ce serait prendre le risque que Jennifer s'éloigne, mais surtout, cela signifie rester ici, dans cette coquille vide, à fêter ses quinze ans derrière une porte désespéramment close.

L'adolescente se redresse, ferme les yeux et inspire profondément. Elle expire d'un coup tout en secouant sa volumineuse tignasse frisée. Ne pas réfléchir ! De toute façon, ici c'est pourri ! Qu'est-ce que je risque après tout ?

Salut Jennifer, je rapporte quelque chose ? Tu peux me filer ton adresse ?

À demain. Trop hâte !

La rouquine se laisse tomber sur le matelas, un sourire aux lèvres. Qui sera là ? Il y aura forcément Louane et Elodie. Charlie avec ses potes. Donc, Mattéo devrait être là aussi. Faut trop que j'essaie de lui parler ! Qui ne tente rien, n'a rien. Mon top dos nu sera parfait. Je crois qu'il aime pas trop le maquillage appuyé donc un truc sexy mais léger : un peu de vert sur les yeux, et si j'ose le rouge à lèvres acheté ce weekend... Trop pétant la couleur ? Un gloss ? C'est trop dur de choisir !

Nouveau sms à Emma :

-Gloss à paillettes ou le rouge à lèvres qu'on a pris ensemble le weekend dernier ?

-Le rouge sans hésiter. Personne pourra te résister ;)

-Même Mattéo ?

-Surtout Mattéo, fonce, t'es la plus belle. Qui pourrait dire non à une fille au sourire ravageur, toujours de bonne humeur ?

-Merci, t'es trop chou. J't'adore.

-Attends de savoir combien je facture mes conseils ;)

-Les ragots de la soirée.

-Vendu !

Rassurée, Maéline se perd en rêverie auprès du beau Mattéo. Elle perd la notion du temps et le froid fait place à une chaleur pétillante.

D'un coup, son ventre gargouille. Discrètement d'abord, puis bruyamment. Coup d'œil au téléphone : presque vingt et une heures. La jeune fille soupire, fait la moue puis se laisse rouler sur le bord du lit avant de se mettre sur pieds.

Encore une soirée en tête à tête avec mon assiette.

Elle souffle.

Sortie de sa chambre, Maéline évite la chambre maternelle et se dirige directement en cuisine où elle se met à couper carottes et pommes de terres puis un oignon. Une fois le tout mijoter, elle sort deux plateaux sur lesquels elle dispose un couvert complet avant de servir chaque assiette. Maéline souffle à nouveau, les épaules basses. Autant se débarrasser de la corvée. Elle se hâte vers la chambre de sa mère, toque et, sans attendre la réponse qui ne viendra pas, ouvre.

— Maman, il faut te réveiller.

Elle secoue doucement le corps endormi. Légers grognements.

— Maman, tiens le dîner.

Les grognements se poursuivent jusqu'à ce que Brigitte ouvre des yeux recouverts d'un voile médicamenteux.

— Ahh, Maé. Tu en as préparé beaucoup.

— Il faut au moins manger ça, pour ta santé.

Sa mère se frotte les yeux, bâille.

— Je vais faire de mon mieux, répond-elle la bouche pâteuse.

— Merci maman, se force à répondre Maéline.

Cela fait une bonne quinzaine de jours que l'adolescente s'est résignée à ce rôle d'aide-soignante devant affronter une patiente sans énergie, au moteur interne cassé. Elles ont essayé avec sa sœur de la secouer mais la douceur même forcée apporte des résultats plus satisfaisants. Si l'on peut parler de positif face à une assiette peu garnie souvent mangée à demi.

Brigitte tend la main pour caresser mollement la joue de sa fille avant de la laisser choir sur la couverture. Des larmes glissent silencieusement jusque sur le plateau.

— C'était le plat réconfort de ton père. Simple et efficace. Il...

Les mots restent bloqués. C'est bien mieux ainsi. Maéline ne supporte plus les sempiternelles évocations d'une vie révolue où sa mère se morfond et se complaît au lieu d'aller de l'avant. L'adolescente est incapable d'identifier quelle émotion l'engloutit davantage : la colère ou la tristesse. Colère de se sentir ainsi abandonnée de tous et en particulier de celle qui jusque-là était sa complice, sa confidente et son épaule. Tristesse de voir la femme dynamique et souriante vampirisée de la moindre énergie vitale.

Elle retient du mieux qu'elle peut un soupir, dépose un baiser sur le front de sa mère et sort en silence.

Maéline attrape son plateau, s'assoit sur le canapé et allume la télévision. Une romance à l'américaine. Et si c'était ce qui l'attendait demain, à la fête ?

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