Chapitre 17 - Mère-fille
Maéline prend une profonde inspiration avant de pousser la porte de la chambre maternelle. Ses yeux ont besoin de quelques instants pour s’habituer à l’obscurité, et son nez a du mal à se faire à l’odeur de renfermé.
— Maman, appelle-t-elle doucement.
— Maman ! réitère l’adolescente plus fort devant l’absence de réaction.
La rouquine s’approche du lit, constate l’emballage de somnifère vide sur la table de chevet et en déduit qu’elle s’est plus abrutie que de coutume pour tenter d’oublier ou plus probablement fuir sa réalité. Il est impossible d'oublier...
Elle secoue sans ménagement le corps endormi, sachant que la douceur ne la fera malheureusement pas émerger, accompagné d’interpellations de plus en plus appuyées. Des grognements et un geste pour la pousser accompagne le réveil de Brigitte.
— Maman, la matinée est passée, il ne faut pas trop te décaler.
— Mmmh, je suis... fatiguée…
— Je sais mais le médecin a insisté pour garder un minimum de rythme. Pour essayer de récupérer.
— D’accord… Je…
— Prends ton temps, je vais ouvrir les volets et aérer la pièce.
Pendant que sa mère essaie de repousser les limbes artificielles, Maéline ouvre la fenêtre, replie les volets et inspire une grande bouffée d’un air déjà réchauffé par le soleil estival. Elle se retourne pour ramasser le plateau à peine entamé, récolter les quelques habits qui traînent au sol et remettre de l’eau fraîche dans la carafe près du lit. Brigitte baille et s’étire pour tenter d’outrepasser les effets des médicaments.
— Ta sœur… est là ?
— Non, elle est chez Erwan. Elle rentre demain je crois pour se plonger dans les révisions du bac de français.
— Désolée de te laisser… la charge, s’excuse Brigitte en baillant.
Maéline ne sait pas quoi répondre, sa mère en profite pour reprendre :
— J’ai essayé hier, j’ai pu aller prendre ma douche, mais après j’étais trop…
— On fait tous du mieux qu’on peut maman, coupe-t-elle court en déposant une bise sur le front maternel avant d’aller en cuisine.
L’afférée met en gamelle les restes de la veille, sort un plat de riz au curry qu’elle passe au micro-onde, verse la moitié du contenu dans une assiette creuse qu’elle place sur le plateau (l’autre partie restant sous cloche dans le four) puis repart vers la chambre pour laisser le plateau sur la table basse posée près du lit parental.
— Tiens maman, tu n’as pas beaucoup mangé hier soir, essaie de finir le riz. J’ai mis une pêche et un yaourt en fonction de ta faim.
— Merci, ma fille. Tu pourras m’apporter le courrier ? Je me suis fixé de traiter le règlement des factures avant la fin de la semaine.
— Je mange et je descends à la boîte aux lettres.
— Viens là, ma chérie, suggère Brigitte en tendant les bras dans sa direction.
Maéline s’approche du lit.
— Merci, dit-elle en serrant sa cadette dans ses bras et en déposant un baiser sur chacune de ses joues. Montre-moi tes mains.
La jeune fille s’exécute docilement.
— Je peux te mettre du vernis cette après-midi, si tu veux.
— Avec plaisir, maman.
En refermant la porte, Maéline sent une nostalgie bienheureuse l’enveloppée. Elle profite par anticipation de ce moment mère-fille devenue si rare. Elle se rappelle quand, à l’école maternelle, elle se faisait reprendre par la maîtresse alors qu’elle était arrivée les ongles brillants en oubliant de l’ôter pour le retour à l’école.
La rouquine passe le déjeuner à scroller des vidéos d’instagrameuses mode avant de partir chercher le courrier pour le déposer à sa mère qui est encore éveillée.
— Ah merci ! As-tu rapporté le vernis ?
— Non, je pensais que tu te serais rendormie.
Maéline se hâte vers sa chambre, attrape un vernis bronze et revient s’installer au bord du lit. Sa mère attrape la main fraîche qu'elle pose au creux de la sienne. Maéline frissonne à ce contact. Elle prend un coton qu'elle imbibe avant de nettoyer méthodiquement chaque ongle des restes de l’ancienne couche. Puis Brigitte attrape le petit pinceau et applique, avec une minutie limitée par les tremblements provoqués par les anxiolytiques, la couleur cuivrée. Lorsqu’elle a terminé, la mère souffle :
— Je vais me reposer un peu... avant d’ouvrir le courrier. Tu fais quoi... aujourd’hui ?
— Emma vient manger une pizza à la maison.
— C’est bien.
L’adolescente voit sa mère se recroqueviller sur le matelas, se couvrir du drap et fermer les yeux. Maéline sort doucement de la pièce, ferme sans bruit la porte et s'installe derrière l'ordinateur du salon pour faire une session de code. Avant de démarrer, elle profite encore de la saveur de ce moment partagé. Bien que de courte durée cette parenthèse de complicité a déposé un baume rafraîchissant sur son âme.
Annotations
Versions