Semaine 2 (8 au 14 octobre)
À coup de matraquage publicitaire, Gruny était devenu la nouvelle mascotte d’une célèbre marque de jouets. Au bout de quelques jours, malgré son prix excessif, ce petit canard de bain, sans bisphénol A, fut en rupture de stock dans tous les magasins. Ses courbes esthétiques, ses couleurs chatoyantes avaient conquis les petits comme les grands. La chaîne de production tournait à plein régime. Dans des conditions déplorables, des enfants, esclaves du système, s’activaient pour les emballer le plus vite possible.
Manu était un jeune papa exemplaire, et il avait succombé à son désir d’achat. En rentrant chez lui, sous le regard amusé d’Estelle sa femme, fièrement, il présenta à son fils le dernier canard à la mode.
Une demi-heure plus tard, pendant qu’Estelle cuisinait, complètement gaga Manu prit son fils dans les bras en chantonnant :
— Gabin c’est l’heure du bain !
Heureux, le petit brandissait le canard en gazouillant.
***
Gruny était né dans une usine. Prisonnier à l’intérieur d’un corps en plastique, il avait parcouru des milliers de kilomètres entassé dans un container avec des congénères décérébrés avant d’être entreposé dans une grande surface. Il avait été mis en rayon par une stagiaire et contre son gré Manu l’avait acheté.
Maintenant, le petit Gabin n’arrêtait de le mordre et ça l’agaçait profondément. Agrippé, Gruny était secoué dans tous les sens et lorsque Manu fredonna « Gabin c’est l’heure du bain ! », il voulut déguerpir.
Quelques minutes après, écrasé entre les grandes mains de Manu, Gruny fut plongé dans l’eau tiède. Il voulait retourner à la surface pour respirer, mais on l’obligea à boire la tasse. Une fois gorgé d’eau, il fut brandi comme un vulgaire revolver et pressé violemment. Il cracha un filet l’eau et, surpris, Gabin s’exclama.
Au fil des jours, lors des séances de torture, Gruny décela une faille dans le cœur de l’enfant. Il était bloqué dans ce corps inerte, mais insidieusement il pourrait s’immiscer dans la vie cet être innocent.
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