Chapitre 30 (1/2)

9 minutes de lecture

Suivi de près par les cadavres des nains, qu’il n’avait pas eu grand mal à retrouver, Liel se promenait, d’apparence presque tranquillement, dans le secteur proche de celui où se trouvaient Valion et Calderon. Il comptait se servir de cette nouvelle compagnie comme arme, en les jetant sur le groupe qu’il s’apprêtait à rencontrer. Mais, avant cela, l’Archonte devait d’abord prendre le contrôle des deux abyssaux de faible rang qui rôdaient non loin.

Il évolua ainsi dans plusieurs couloirs et d’autres grandes salles, son imposante cape traînant légèrement derrière lui. Les lieux étaient en tous points similaires à ceux actuellement traversés par Garance, tant dans leur décoration, leur aspect figé ou ce silence qu’était celui des profondeurs de la cité souterraine. Silence qui se voyait maintenant troublé par la déambulation et les quelques gémissements de la demi-douzaine de ces corps trépassées.

Sur son chemin, il finit par faire face à une grille en fer qui séparait la petite arrière-cour, où il se trouvait, d’une autre galerie. Tout en la traversant tel un fantôme, il déverrouilla l’obstacle d’un simple geste de la main et conduit le groupe à l’ouvrir. Une fois tout le monde passé de l’autre côté, Lielandr’ath poursuivit sa route. C’est au bout de ce nouveau couloir, qu’enfin, il trouva sa cible, errant plus ou moins dans une grande salle rectangulaire comportant de larges balcons sur deux niveaux. De facture simple mais élégante, ils entouraient la pièce et laissaient une large ouverture au centre de laquelle, au sol, trônait un petit « jardin » dont la nature même avait été altéré par l’Inconnu. Il mourrait pendant une heure puis revenait à la vie pour une heure supplémentaire et ce cycle perdurait maintenant depuis près de six siècles.

La créature, dont l’apparence était en tout point similaire à celles des abyssaux du rêve de Garance, déambulait sans but apparent sur le balcon du premier étage. L’abyssal arborait néanmoin quelques traits distinctifs : des restes de vêtements propres aux savants appartenant au Valshtrarn et un médaillon unique qui l’identifiait comme l’un des anciens collègues de Kaerolyn, Rolf Arn-Kotorn. Dans cette tragique histoire, les conteurs diraient certainement qu’il s’était trouvé moins chanceux qu’elle.

Lorsque Lielandr’ath et sa suite entrèrent dans la pièce, l’Abyssal s’arrêta et tourna sa tête dans leur direction. Bien qu’il eût perçu la présence de chacun des membres de cet original groupe, c’est surtout Liel qu’il remarqua le plus et qu’il regardait maintenant d’un air presque curieux. Au rez-de-chaussée, Lielandr’ath, lui, se souvenait fort bien des collègues de Kaerolyn ; en particulier de leur agonie, de leurs supplications à son égard et de leur lente mais certaine descente dans la folie et de l’état dans lequel ils se trouvaient tous désormais.


*****


Un cri perçant et assourdissant fut entendu peu avant le désastre. Dans les abords immédiats du sombre monument, une brume noire apparut de partout et de nulle part à la fois, puis, l’instant d’après, une violente onde de choc émanant du monolithe traversa en quelques secondes les niveaux inférieurs de la cité souterraine.

L’implosion de la stèle ne fut pas sans conséquences. Le plafond de la pièce s’était effondré partiellement, emportant une partie de la salle du trône qui se trouvait au-dessus. Le sol du temple avait lui aussi chu et emporté à son tour en partie le sol des deux étages en-dessous, créant une ouverture béante au cœur de l’ancien édifice. Le monolithe avait disparu mais personne ne semblait certain de cela.

Dans les lieux et ses alentours, toute lumière naturelle s’était à nouveau tue ; ne restait que la lueur de l’authrium, une roche cristalline née de l’influence du monolithe et de l’Inconnu et de laquelle émanait un mélange de teintes bleutées et violettes.

Autour de la cavité nouvellement créée, les cinq chercheurs gisaient au sol, sonnés, douloureux et, pour certains, sombrant déjà dans la folie.

Kaerolyn avait étrangement perçue l’arrivée de la catastrophe, seulement quelques secondes avant qu’elle ne se produise. Elle avait ainsi réussi à dresser un semblant de bouclier au dernier moment, la protégeant de l’onde de choc et des dégâts direct que celle-ci avait provoqué. Vanas avait réussi à amortir la chute en arrière mais souffrait de plusieurs entailles provoquées par la projection de nombreux fragments de roches. Des tâches noires commençaient déjà à apparaître sur son corps, en particulier sur ses bras et ses mains. Rolf avait été projeté contre un pilier et ne sentait déjà plus ses jambes. Assis, le dos contre la pierre, il sentait les murmures, et les voix qui les suivaient, s’approcher lentement de lui. Milliandrë avait atterri sur un tas d’os qui masquait un pied de candélabre brisé et rouillé ; le morceau de métal lui avait traversé l’abdomen et elle se vidait maintenant lentement de son sang. Les autres pouvaient l’entendre supplier, d’une voix tremblante, qu’on l’épargne, sans que nul ne soit présent près d’elle. Samson gisait au sol, le corps immobile et brisé à de nombreux endroits, les yeux révulsés et le regard vide. Les ombres s’emparaient lentement de son esprit ; bientôt, il cesserait d’être.

Observant leurs camarades d’un air épouvanté, Kaerolyn et Vanas se rendaient compte qu’ils avaient échappé au pire, du moins, pour le moment. Au fond d’eux-mêmes, ils savaient que cela était loin d’être le cas. Ils devaient partir, quitter les lieux et rejoindre la surface, au plus vite. Leurs alliés devaient savoir ce qui s’était tristement joué ici. Seulement, Kaerolyn ne pouvait pleinement se résoudre à les abandonner ici. Elle s’approcha de Rolf, le plus proche d’elle.

— Je… Levez-vous, mon ami. Nous devons partir et vite.

En guise de première réponse, le nain toussa.

— Il…Il est déjà trop tard pour moi. Je ne sens plus mes jambes.

La Mortis lui offrit un sourire triste et prit une de ses mains qu’elle serra délicatement entre les siennes.

— Vous, partez. Quittez ces lieux. Il est trop tard pour moi…pour nous.

— Je…

— J’ai seulement une requête à formuler.

Rolf retira alors de son index gauche, une bague en or sertit d’une émeraude. Il la tendit à la dame à sa droite.

— Si vous le pouvez… Retrouvez la caravane. Retrouvez mon garçon et… (Il prit une profonde inspiration.) Dites-lui que je l’aime et que je suis désolé de ne pouvoir assister à son trentième anniversaire.

— Vous avez ma parole, répondit-elle tout en se saisissant de la bague.

— Partez maintenant.

La dame en bleu se leva, contenant avec peine son émotion, et rangea le précieux objet dans une petite poche de sa tunique.

— Kaerolyn, nous ne pouvons plus attendre. Venez.

Vanas avait récupéré son épée ainsi qu’une torche qu’il venait de rallumer. Sa collègue, elle, ramassa une besace en cuir qui contenait quelques-unes de ses affaires, les plus importantes, dont deux journaux. Ensemble, ils s’avancèrent vers la sortie. Juste avant de quitter les lieux, elle adressa aux trois restants un geste d’adieu.


***


Dix minutes à peine depuis le départ de Kaerolyn et Vanas, la brume commença lentement à s’épaissir jusqu’à ce que, de l’union des petits fragments qu’elle forma, une figure émerge. Au milieu du désastre et du désordre, Lielandr’ath, partiellement libre, parvint à se manifester physiquement pour la première fois depuis six siècles. Même si sa personne demeurait encore liée à sa prison de l’Entre-deux, qui séparait l’Athran du cœur de l’Inconnu, il avait désormais plus de liberté pour agir à sa guise dans ces environs.

Il observa d’abord Millliandrë. Elle continuait de supplier, d’une voix cette fois-ci terrifiée, tantôt qu’on l’épargne et tantôt qu’on la tue et ce, tout en se tortillant sur le sol et aggravant à chaque mouvement la blessure qu’elle portait. L’archonte se détourna d’elle et tandis qu’il s’éloignait, l’elfe se redressa brusquement avant de se jeter violemment en arrière contre le sol sans qu’un mot ne soit prononcé. Un craquement net fut entendu mais le pouvoir qui hantait ces lieux se refusa à la laisser mourir.

Lielandr’ath ne savait que penser de cette situation. L’esprit encore confus de cette « libération » aussi partielle soit-elle, il éprouvait un sentiment étrange mêlé de déception et de colère à l’égard de ce groupe qui avait trahi ses attentes. « Il n’y a rien de pire que les faux espoirs. » lui dit un jour un ancien associé dont il ne se souvenait ni du nom ni du visage.

Soudain, Samson, demeuré immobile et impassible jusque-là, hurla. Tout en se redressant, comme si un marionnettiste redressait sa poupée, son bras désarticulé se remit en place seul. Il se mit alors à marcher, comme si une main le guidait d’en haut, en direction de l’ouverture béante au cœur du chœur du temple. Puis il hâta le pas jusqu’à se mettre courir avant de se jeter dans le trou en hurlant d’un ton empli de haine le prénom de celle à la tête de cette expédition.

Lielandr’ath n’accorda à sa fin, ou son début, que peu d’intérêt. Libre à lui d’aller se noyer dans le Sang Noir qui suintait toujours du monolithe brisé.

Au bout d’un moment, il finit par constater que deux érudits manquaient à l’appel dont sa « préférée », la Mortis héritière de l’Aethelsild. Ne restait qu’en direction de la sortie qu’un nain incapable de se tenir sur ses deux jambes. Celui-ci montrait encore une certaine lucidité mais elle ne durera pas bien longtemps. Son discours était confus maudissant parfois Kaerolyn de les avoir laissés tout en oubliant qu’il l’avait incité à partir. L’archonte se rapprocha alors de lui, curieux du contenu du reste de son discours. Mais arrivé à un mètre de lui, ce sont des mots bien différents que prononça plaintivement le nain tandis qu’il redressait sa tête.

— Pitié… Aide… De l’aide, par pitié…

Lielandr’ath ravala un rire de colère.

— T’aider ? Pourquoi le ferais-je ? Vous m’avez promis la liberté et regardez-donc où nous en sommes maintenant.

Et quand bien même il le pourrait, il était déjà trop tard pour eux.

— Vous n’obtiendrez rien de plus de moi.

Le nain baissa la tête sans un mot de plus. Une unique larme, la dernière, coula sur sa joue.

— Meurs en silence.

Ce jour-là, ces mots furent les derniers qu’il eut pour eux.


*****


Sans crier gare et sortant Lielandr’ath de ses pensées, l’Abyssal sauta du balcon et s’avança vers lui d’un air qui se voulait ici plus menaçant. L’Archonte se tint là devant lui, sa capuche sur la tête et son manteau couvrant les trois-quarts de sa personne. Derrière, les corps des nains s’arrêtèrent d’avancer et titubaient sur place.

Au bout de plusieurs secondes de silence, L’Abyssal hurla d’une voix déchirante et se prépara à attaquer Liel. Il se jeta sur lui de tout son corps difforme mais l’Archonte le maîtrisa rapidement. Ses yeux s’illuminèrent d’un violet sombre plus intense encore tandis qu’il levait la main en tendant le bras avant d’abaisser son index et son majeur vers le bas comme s’il intimait à un chien de se coucher au sol ; acte que l’Abyssal exécuta.

L’entité ainsi maîtrisée, un fin sourire sombre macula à nouveau les lèvres de Liel. Il tourna alors le dos à la créature puis reprit sa route en « bonne et agréable compagnie », avançant tel un roi accompagné par sa cour. Ce petit groupe ainsi réunit, il se rendit dans une autre partie de ce secteur afin de reproduire la même manœuvre avec un autre Abyssal qui se trouvait plus ancien que le premier. Le groupe enfin complet aux yeux de Lielandr’ath, il s’avança d’un pas plus assuré en direction de celui de Valion.


*****


Cela faisait maintenant plusieurs minutes qu’ils avançaient dans le cinquième en formation serrée. A l’avant, Calderon guidait le groupe aux côtés de Valion. Derrière ces deux guides se trouvaient les hommes du seigneur Nimra et les cultistes de Zinnar. Nirnante se trouvait au milieu du groupe et gardait un œil attentif sur ceux autour de lui.

Calderon avait entre ses mains le second journal de Kaerolyn dans lequel elle avait retracé le chemin inverse à sa fuite, dans l’espoir qu’il puisse servir à quelqu’un. Quelle ironie qu’il ait finit entre les mains d’un frère qui lui était devenu étranger et dans de telles circonstances avec de telles motivations. Et ce frère guidait le groupe en suivant les « instructions » écrites prestement par sa jeune sœur. Il indiquait au fur et à mesure les directions à prendre.

— Il nous faudra prendre la troisième sortie sur la droite à la prochaine salle.

A ses côtés, Valion s’agaçait de plus en plus, le groupe n’avançant pas suffisamment vite à son goût, même si pour le moment, celui-ci ne le montrait pas.

Non-loin, Lielandr’ath, qui les observait attentivement, perçut sans difficultés cet agacement. Il avait bien l’intention de fortement développer ce sentiment chez lui. Toujours en compagnie de sa « garde personnelle », il décida de se rapprocher un peu plus. Arrivé à une distance qu’il jugea suffisante, l’Archonte indiqua alors de son doigt le groupe de Valion et Calderon.


« Tuez-les. »


*****

Annotations

Vous aimez lire Cassandra Mortis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0