Je me souviens...

"De quoi te souviens-tu à peu près Tom ?" me demande la jeune docteur.

C'est l'assistante de l'autre m'a dit papa. Moi, j'ai déjà oublié. Elle note chacun des mots que je prononce.

- Je me souviens...du feu.

- Le feu ? Tu me parles de l'accident ?

- De quoi voulez-vous que je vous parle ?

- De ce dont tu te souviens. Poursuis je t'en prie.

- Bon. Le feu. La voiture brûle. Puis les pompiers. Plutôt leurs sirènes. Dans le tunnel il fait noir, car c'est la nuit...oui. Mais le brasier éclaire absolument tout. Je me retrouve couché sur une civière. Cinq visages que je ne connais pas me porte.

- Très bien. Parle moi plutôt de bons souvenirs.

- Hmm...Il n'y a plus grand chose en fait.

- Concentre-toi, cela te servira pour plus tard. Je veux de bons souvenirs.

- L'odeur. L'odeur du parquet. Papa le changeait souvent. Mais l'odeur de vieux persistait. Je me souviens la texture de celui-ci. Ancien. Il grinçait par endroits. Papa avait beau le changer il continuait de grincer. Maman...Maman détestait ça...

- De bons souvenirs Tom s'il-te-plaît.

- Oui...pardon...Je me souviens de quelques visages du collège. Tammie. Elle était jolie. Brune. Yeux bleus. Des tâches de rousseur. Au collège son casier est juste à côté du mien. Elle tire ses cheveux en arrière avant de l'ouvrir. Comme si elle avait peur de se les bloquer dans la porte de casier. Il y avait Joël aussi. Une tête brûlée. Mais on était ami. Il me disait toujours d'approcher Tammie. On rigolait de ma timidité. On jouait dans la chambre avec Joël. A ce jeu là, dans lequel il faut créer une famille, une maison et tout le tralala. Je ne me souviens plus du nom. On jouait sur mon ordinateur perso. Papa me l'a acheté. J'ai négocié pour l'avoir dans la chambre mais j'ai réussi. Je me souviens les touches du clavier. De grosses touches. Le "y" ne fonctionnait pas. Le "t" non plus. Du coup Joël s'énervait souvent, et je rigolais de lui. On finissait toujours par rire tout les deux comme deux ahuris. Je me souviens mon lit aux couvertures de Toy Story. J'adorais ce film étant petit et voilà que je ne peux plus m'en séparer. Je n'ai jamais pu. La balle au sol, celle que j'ai lancé et qui a cassé une fenêtre, je la vois. Maman n'était pas contente...

- De bons souvenirs Tom.

- Je me souviens les livres de cours qui jonchent le sol. Je ne les rangeais jamais. Contrairement à ma bibliothèque...mon étagère de livres...

- Parles-moi de cette étagère, c'est parfait Tom."

Je me de tout cela à mesure que je me dirige vers le fond de la chambre.

Les souvenirs des entretiens avec les docteurs deviennent plus clairs. Comme si à mesure que je réapprends à me mouvoir correctement, la clarté augmentait. Je me sens dans un rêve. Au milieu d'un rêve merveilleux. Une silhouette me fait arrêter tout mouvement. Là, sur la gauche, à côté de la porte d'entrée couvert de mini posters des groupes de musiques que j'écoute le plus, quelqu'un est debout, face au mur. Non, ce n'est pas un mur mais...une rangée de casiers. Des casiers gris, comme...comme au collège... Ce quelqu'un tire ses cheveux longs et bruns vers l'arrière avant d'ouvrir son casier...elle porte une jupe à carreaux rouges et une chemise blanche rentrée dans la jupe. Tammie.

C'est elle. Debout, dans ma chambre. Mon coeur bat la chamade. Mes jambes, mes nouvelles jambes se mettent à trembler. Le souvenir entier se met à trembler. Jusqu'à ce qu'elle se retourne. Merveilleuse...Des yeux d'un bleu plus bleu que bleu et des tâches de rousseur couvrant ses joues. Elle me sourit, tout paraît si réel... Cette chambre...Cette pièce est un coffre à trésor, un trésor inestimable plus vrai que nature qui représente ma mémoire...celle-ci se reconstitue peu à peu...

"C'est tout l'objet de ce nouveau genre de rééducation mon petit. Nous mettrons tout en oeuvre pour te reconstruire Tom." me murmure la voix du médecin au loin, très loin de l'univers paradisiaque et nostalgique de la chambre.

Tammie ouvre la bouche.

Magnifique. Un Ange.

"Dis-moi Tom." Sa voix me vient de très loin, pourtant elle se trouve à deux pas, là, entre le collège et le parquet ancien de mon père. Deux réalités s'emboîtant en une seule. "Dis-moi de quoi te souviens-tu...je veux tout savoir."