Acte 11 - La vieille dame
La première chose que remarqua Camille lorsqu'il arriva sur le lieu de l'estimation, c'était la petite taille de la maison. Elle était de plein pied et ne devait avoir qu'une seule chambre, ce qui était dommage, car le prix de vente s'en fera ressentir, la plupart des gens qui cherchent une maison préfèrent qu'elle ait au moins deux chambres. Mais pour Camille, il ne fallait pas juger un livre à sa couverture, et l'extérieur possédait du potentiel, le terrain était assez grand, on pourrait facilement y aménager une piscine ou un potager. Aussi, le nombre élevé de fenêtres promettaient une bonne luminosité à l'intérieur. Même si la façade en brique jaune pâle faisait un peu démodé, il y aura sûrement des personnes qui seront intéressées par ce côté un peu "kitsch".
Le jeune agent immobilier appuya sur la sonnette d'entrée, en tenant contre lui les divers documents que la propriétaire lui avait fourni auparavant. Après quelques secondes d'attente, la porte en bois d'acajou s'ouvrit. Une femme âgée de petite taille aux cheveux grisonnants, portant des lunettes à verres épais sur le bout du nez, une longue robe verte pomme et des charentaises aux pieds les accueillit. Elle observait les deux hommes, comme elle contemplerait deux clowns.
- « Bonjour ! Comment allez vous ? Oh, bonjour petite fille ! Tu veux un bonbon au réglisse ? » Dit-elle en ébouriffant les cheveux de Camille.
Le plus petit fit un pas en arrière rapidement, vexé et furieux, mais gardait tout de même son calme. A côté de lui, Ivan était en larmes et avait bien du mal à se retenir de hurler de rire, il se griffait le bras et se mordait les joues pour essayer de se contenir, sans grand effet.
- « Madame Bique. Je suis votre agent immobilier, monsieur Aall. Je suis venu pour estimer votre maison. » Expliqua rapidement et calmement Camille. A la fin de sa phrase , il lança un regard assassin à Ivan, qui arrêta de rire presque immédiatement en le voyant.
La dame âgée se mit alors à réfléchir quelques secondes, et dans un éclair de lucidité lança :
- « Ah, mais bien sûr ! Où avais-je la tête, vous êtes ce gentil petit agent immobilier à qui j'ai donné des papiers ! Entrez, je vous prie ! »
Les deux acolytes entrèrent donc dans la maison de la petite dame, et Camille y sentit directement une odeur qui lui était familière. Elle était légère mais présente, une sorte de mélange doux et amer... Seulement, il ne parvenait pas tout de suite à se souvenir où il avait déjà bien pu sentir cet effluve. Sur un marché ? L'odeur d'un plat ? Tant pis, l'arôme était de toute manière trop faible pour se rappeler précisément de quoi il s'agissait. Il remarqua directement une autre chose, Ivan semblait à présent pensif, soucieux même. Ce dernier regardait partout, en faisant attention à garder Madame Bique dans son champ de vision. Décidément, Camille le trouvait de plus en plus louche. Que pouvait-il bien cacher ?
Les trois personnes s'assirent donc dans le salon qui était plutôt petit, mais surtout très vieillot, le papier peint à fleurs jauni par le tabac était vraiment repoussant, et les meubles datant presque tous de l'avant guerre pouvait faire plaisir à un collectionneur, mais certainement pas à un jeune couple voulant s'installer à Reims. Après avoir bu un thé ensemble, ils se levèrent pour aller analyser les différentes pièces. Durant la petite visite, l'agent immobilier notait sur son petit carnet tous les éléments qui retenaient son attention, et pendant ce temps, Ivan réussi à s'éclipser discrètement.
- « Madame Bique, vous m'aviez dit que vous aviez une cave à vin, non ? » Demanda Camille, tout en relisant ses précédentes notes.
- « C'est exact, mon petit monsieur ! Vous pourrez y allez tout seul après, je suis bien trop vieille pour descendre cet escalier, voyez vous. » Se plaignait la petite vieille.
Soudain, un bruit de vaisselle qui se brise retentit dans toute la maison, ce vacarme venait de la cuisine. C'est au même moment que le maître de stage remarqua l'absence de son stagiaire, il se mit alors à foncer vers la cuisine en grommelant :
- « Putain de bon dieu de merde. Me dites pas que c'est ce débile. »
Arrivé dans la cuisine, il vut un incroyable spectacle pourtant bien réel devant ses yeux. Ivan, debout sur une chaise, était en train de fouiller dans une armoire à verres, dont la moitié de son contenu était à présent par terre, en miettes. Camille se précipita sur son stagiaire en le tirant de la chaise tout en lui chuchotant :
- « Mais t'as un véritable problème mental, qu'est-ce qui te prend ?! »
- « Et bien, qu'est-ce qu'il c'est passé ici ? Oh non ! Mes beaux verres ! » s'exclama la cliente en arrivant à son tour dans la cuisine.
Ivan regarda la petite vieille, et lui dis d'un air insouciant :
- « Ce n'est rien madame, c'est moi, j'ai trébuché sur cette armoire ! Mais notre société va vous rembourser, ne vous en faites pas ! »
Camille se retenait de toutes ses forces de lui en coller une, et ne put qu'acquiescer pour éviter de perdre sa cliente. Il s'excusa tout de même envers la vieille dame :
- « Oui, oui. Pardonnez-le madame, c'est mon stagiaire et il est un peu empoté. D'ailleurs il va venir m'accompagner tout de suite à la cave. Suis-moi Ivan. »
Il pris la main d'Ivan et le tira jusqu'à la porte de la cave à grands pas. Il l'ouvrit, et une fois la lumière allumée, ils descendirent les vieux escaliers en bois. Camille se tourna vers le plus grand et lui dit :
- « Maintenant, tu vas m'expliquer ce que t'as foutu. Et en vitesse. »
- « Pardonnez-moi, monsieur ! Mais en fait, j'avais un peu soif, alors je me suis mis à chercher un verre d'eau ! Et pis y'en à un qui m'a glissé des mains, et tout est tombé ! » S'expliqua Ivan.
Le plus petit poussa un long soupir, comme pour essayer de rejeter toute la frustration de son corps. Il se frottait le front avec son pouce et son index, et d'un air désespéré rétorqua :
- « Bon, allez. Ce que l'on va faire maintenant, c'est vérifier l'état de la cave. Vérifier les possibles... Hey ! Tu m'écoutes ?! »
Pendant que Camille expliquait la suite des opérations, son stagiaire s'était encore carapaté et commençait à fouiller la cave de fond en comble. Il retournait les cartons, cherchait derrière des vieux vélos, inspectait en dessous de vieux meubles poussiéreux. Pris d'un violent accès de colère, son maître de stage déboula sur lui, le tira par la main et lui hurla :
- « Bon ça suffit, espèce de merde ambulante ! Qu'est-ce que tu fous encore ?! J'en ai plus qu'assez de toi, on se casse ! »
Il tirait de nouveau son stagiaire par le bras et montait les escaliers le plus vite possible. Une fois arrivé en haut, il remarqua que la porte était fermée. Étrangement, il ne se souvenait pas l'avoir fermée avant de descendre. Peu importe, il agrippa la poignée, la tourna et commença à pousser, à tirer. Rien n'y faisait, elle semblait bloquée, ou verrouillée de l'extérieur. Le jeune homme écarquilla les yeux et pensa à haute voix :
- « Mais, elle est bloquée, cette porte. »
Soudain, à ces mots, Ivan passa devant le plus petit, prit de l'élan et asséna un violent coup de pied sur la poignée de la porte. Ce geste d'une rare violence fit sursauter Camille, il se mit à reculer dans les escaliers, se demandant ce qui arrivait à son stagiaire. La peur commença à l'enlacer doucement. Le plus grand foudroya à nouveau la porte d'un coup de pied, et cette fois ci, elle commença à s'entrouvrir, laissant apparaître les rayons du soleil dans son entrebâillement.
- « Mais, arrête ! Qu'est-ce qui te prend, Ivan ?! » Hurla Camille d'une voix terrifiée, il était d'ailleurs totalement en retrait, comme tétanisé.
Le dernier coup ouvrit finalement la porte en grand, et le vandale sortit vite tout en regardant à droite et à gauche, puis il se retourna vers son maître de stage, lui pris doucement la main, s'approcha au plus près de son oreille et lui murmura :
- « Partons vite d'ici, monsieur. »
Avant même que Camille ne comprenne ce que venait de lui dire son stagiaire, cette fois-ci c'était ce dernier qui le tirait par la main. Tout deux sortirent en courant de la cave et se dirigèrent vers la sortie. L'odeur qu'avait senti Camille au début était maintenant beaucoup plus prononcée. C'est en sortant du foyer, et en apercevant madame Bique qui les fixait face à une fenêtre avec un regard vide, que le plus petit se souvint où il avait déjà senti cette odeur auparavant : dans le restaurant où il avait rencontré Ivan.
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