2.6
Les jours suivants, nous continuerons à nous affairer sur nos équipements. Nous nous connaissons et nous maitrisons bien le travail. Pour rattraper le retard, nous mettons les bouchées doubles, littéralement, car nous arrivons à installer deux stations par jour si leur distance le permet. Nous démarrons à cinq heures du matin pour rentrer tard et exténués. Cela évite de trop penser à ce qui se passe entre nous. En cette saison, la nature est resplendissante et nous sommes tous les deux très sensibles à cette débauche de beauté, de fleurs, de senteurs, de vie. Souvent, nous partageons un moment d’émotions devant un paysage, une fleur, un papillon.
Dès qu’un moment de relâche se présente, nous reprenons nos discussions, avec cette avidité insatiable d’écouter l’autre se livrer. Les regards en disent long. Les mots ou les gestes tendres sont absents, comme si nous savions leur danger.
Le vendredi après-midi, nous remontons vers Paris, dans un TGV désert. Deux autres personnes seulement occupent cette grande salle. Nous sommes côte à côte, nos bras nus se touchant sur l’accoudoir. La vieille, comme chaque soir, nous nous sommes quittés sur un simple : « Bonne nuit ! ». Je sais qu’il attendait un baiser, comme celui avec Arnaud, que je lui avais raconté. Je ne pouvais pas. La digue était trop fragile, j’avais peur de moi.
Je lui demande ce qu’il allait raconter à Clarisse.
— Rien ! Que je fais équipe avec un mec super sympa et que ça se passe très bien !
— C’est tout ?
— Ben oui ! Il ne s’est rien passé entre nous !
— Pourquoi ne pas lui dire que tu es tombé amoureux d’un mec, même s’il ne s’est rien passé ?
— L’embrouille ! Je ne suis pas sûr qu’elle comprendrait. C’est pourtant une fille ouverte et tolérante.
— Tu ne veux pas dire ce que tu ressens ?
— Ce n’est pas ça ! Je ne connais pas les mots pour dire ce qui se passe.
— Je peux vérifier quelque chose ?
— Bien sûr ! Quoi ?
Je mets ma main sur son sexe.
— Tu vois, contrairement à moi, tu ne bandes pas.
— Normal ! Je ne suis pas gay. C’est un grand professeur en gaytitude qui me l’a dit ! Même si j’aime ton contact physique, ça ne déclenche rien !
Je mélange mes doigts avec les siens. Je pose ma tête contre son épaule. Moi non plus, je n’ai pas de mots. Je ne comprends toujours pas ces sentiments qui me transportent. Ils sont si différents de ceux que j’ai pour Doron, pour Manon, pour Arnaud. J’ai hâte de voir ce dernier. À ma demande, Doron l’a invité, avec Louise, ce soir.
Sur le quai, avant de se séparer dans cette gare effrayante de vide, un simple
— Salut ! À lundi. Bon weekend !
— Pierri…
Je l’approche. Ce n’est pas possible ! Ne pas se voir pendant deux jours ! Cela semble le laisser indifférent. Je lui prends la tête et presse brièvement mes lèvres sur les siennes, avant de lui souhaiter aussi un bon weekend. Je pars presque en courant. Putain ! Je ne vais pas me mettre à chialer comme un gosse !
Je ne contrôle plus rien ! C’est vraiment trop intense. Il faut avoir vécu cela pour comprendre, tu comprends ?
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