Épilogue
Pierri, Doron… Je me suis effondré, ne m’intéressant plus à rien. La soutenance approchait, j’étais loin d’avoir tout repris, cela n’avait plus aucune importance. Je n’avais même plus la force de me foutre en l’air.
Un jour, par distraction, je suis revenu sur le site de cette publication. J’ai été choqué de son indécence. En même temps, des bouffées du bonheur passé remontaient. Quel gâchis !
J’avais un message privé : « Toute serrure se force ! Surtout avec un professionnel… ». Suivait un 06.
J’ai appelé sans réfléchir. Il était effectivement serrurier, sur Paris. Il me fallait maintenant organiser la chose, avec ou non le consentement de Pierri. Simplement le délivrer pour lui redonner le choix.
Le printemps arrivait et beaucoup de stations étaient à reprendre. Je voyais bien que la perspective de repartir tous les deux n'enchantait pas Pierri, encore fatigué et surtout, ne souhaitant plus partager avec moi.
Moi, je voulais tout recommencer ou tout finir. Avant de disparaître, autant essayer l’autre solution. Je me retrouvais à foncer sans réfléchir, comme avant.
Pour ne pas brusquer Pierri, je lui proposais une journée de cadrage sur la station de Fontainebleau.
J’avais repéré un hôtel devant le siège et réservé une chambre pour la journée entière.
Je le vis arriver de loin, le cœur chaviré par sa silhouette. Pierri, Pierri…
Un bonjour distant. Qu’il était donc brisé en profondeur !
— Oh, zut ! J’ai oublié mes papiers. Je vais les chercher.
— Tu ne vas pas retourner à Marcadet ?
— Non ! Je ne t’ai pas dit : avec Doron, on n’est plus ensemble. J’ai pris une chambre à l’hôtel. Il est juste en face. Tu m’accompagnes ?
Il me suivit.
— Pierri, avant de partir, j’attends une livraison. C’est pour ça que nous sommes revenus. Ça ne devrait pas tarder (j’avais vu le mec à l’accueil).
Aussitôt, on frappa. Un jeune gus entra.
— C’est bien ici, pour … l’opération spéciale ?
— Oui.
— Où est la fille ? Mon patron m'a parlé de…
— Chuttt ! Pierri, monsieur est serrurier. Tu peux te libérer !
— Ah, parce que c’est sur un homme que je dois intervenir ?
— Cela vous gêne ?
— Ben… je n’ai pas trop l’habitude…
Je ne lui demandais pas si ce manque d’expérience concernait les ceintures de chasteté ou les hommes, préoccupé que j’étais par Pierri.
Il serrait les mâchoires. Il sentait le piège où je venais de l’entraîner. Que faire ? J’attendis.
Pas longtemps ! Pierri se dirigeait vers la porte.
— C’est ça, pauvre con. Casse-toi ! Tu n’as plus de couilles, ta salope te les tient. Plus de vie, plus rien. Tu n’existes plus.
Son regard de chien battu me lança des flèches. Il avait la main sur la poignée.
— Et moi, qu’est-ce que je fais ?
— Vous pouvez partir !
Je sortais un billet que j’avais préparé. En même temps, je rattrapais Pierri, le collait au mur.
— Tu me tues, tu sais. Ce soir, je n’existerai plus. Mort. Pas châtré comme toi. Pierri, une dernière faveur : laisse-toi retirer ce machin. Prends la journée pour réfléchir. Ce soir, tu pourras retourner te faire attacher. Ou tu pourras être libre. Avec moi ou sans moi, mais libre. Pierri, regarde-moi, je t’en supplie !
Il se dégagea, me cracha à la gueule. Je me laissais glisser à terre.
— Vous, là, avant de partir, faites votre boulot ! lui lança-t-il.
Tassé sur le sol, j’assistai à ce pour quoi je m’étais battu. Pierri se dévêtit entièrement. Il avait maigri, mais il restait splendide, malgré la tache de métal qui assombrissait son bas ventre.
— Comment on fait ?
— Le mieux est de vous asseoir. Euh, je peux vous toucher ? La serrure est petite…
Pas de réponse. L’ouvrier s’accroupit devant lui. Il prit son temps. Apparemment, ce n’était pas facile.
— Ah, ça y est ! Voilà, c’est ouvert.
Pierri ne bougea pas. Le serrurier entreprit alors de défaire la cage et de la retirer. Machinalement, il frotta le sexe de Pierri pour achever son travail.
— Oh, pardon… Je ne voulais pas… Je fais quoi de l'objet ?
Ni Pierri ni moi ne répondîmes. Il mit le trophée dans son sac et partit sur un :
— Salut les filles ! Ça a été un plaisir de travailler pour vous. Ça me fera des souvenirs !
Je me levai pour lui laisser le passage, accompagné d’un autre billet.
Pierri était toujours assis, nu et droit dans le fauteuil.
— Pierri…
— …
— Pierri, s’il te plait…
Il avait accepté de se laisser défaire, mais il restait bloqué. Quelle douleur de le sentir si loin !
Faute de mots, je lui pris la main, sans croiser ses yeux. Il se laissa mener au lit, se mettant en chien de fusil en me tournant le dos. Que son petit derrière restait charmant, même s’il m’était interdit d’y toucher !
Je m’allongeais à côté de lui, sans le frôler. Harassé par cette crise, je m’endormis immédiatement.
Je me réveillais vers midi. Pierri dormait, allongé sur le dos, son sexe enfin libre dressé. Affamé, je descendis chercher de quoi manger. Il dormait toujours à mon retour.
Je me rallongeais. Quand j’émergeais, il n’était plus là. Pas un mot. Pas un message. J’avais raté. C’était fini.
Je rentrais à pied, me faisant délivrer les ordonnances dans plusieurs pharmacies. Je savais les doses, les produits et ce qu’il fallait raconter aux médecins pour les obtenir. Trois mois que je les avais en poche. Ce soir, elles me serviront à partir. Tout était calculé, car Doron était en séminaire. J’avais l’appartement pour accueillir Pierri ou pour mourir tranquillement.
Plus rien n’avait d’importance. Une brisure s’était faite, définitive et irrémédiable. C’était fini et je l'acceptai.
J’avais prévu de me bourrer la gueule avec mon malt préféré. Pas le courage.
Je me suis étendu. Je voulais que Doron me trouve comme endormi. Je préparai les cachets, jetai les boîtes dans le recyclable.
Dans une demi-conscience, j’avalais les comprimés.
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