Chapitre 2 : Une conversation animée (partie 1)

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Zayn se réveilla en sursaut ; la porte de son appartement vibrait encore à cause des martèlements qu’elle avait reçus. Il était terrorisé, il ne put bouger jusqu’à ce que la deuxième vague de martèlement éclate sur la porte, le tirant de sa paralysie. Il fit une roulade sur son lit et se glissa vers la kitchenette, marchant à pas de félin. Il ouvrit silencieusement le tiroir en dessous de l’évier et en sortit un couteau à viande. Il jeta un coup d’œil à l’horloge accrochée à son armoire : il était trois heures du matin. Il fallait qu’il se décide vite ; le panel de choix était mince. Zayn s’approcha en un éclair de son lit, prit son téléphone et étouffa un juron quand il découvrit qu’il n’avait pas de réseau. Au même moment, une voix d’homme, d'une cinquantaine d'années, s’éleva de l’autre côté de la porte :

“Allons, Mr Mistrot… Nous n’allons pas jouer au chat et à la souris encore longtemps. Vous savez que je vous vois avec votre chemise trempée de sueur et votre couteau à viande dans la main.” La voix poussa un rire tonitruant et ajouta avec malice : “vous comptez faire peur à qui avec votre joujou ? À une grand-mère du quartier ? Ouvrez donc cette porte.”

Zayn garda le silence ; son cœur battait à tout rompre. La personne était peut-être armée ; si ce n’était pas le cas, il pourrait peut-être la maîtriser facilement. Il ne savait pas ce qu’il devait faire. Son appartement était à plus de douze mètres du sol ; impossible de s’enfuir par la fenêtre. La seule issue possible se trouvait devant lui ; il devait réfléchir vite. Il n’était plus si sûr d’avoir envie de rencontrer ces gens. C’était peut-être une mafia comme ceux qui kidnappent les jeunes étudiants pour les envoyer dans des contrées lointaines. Il ne pouvait pas fuir ; il allait falloir qu’il se batte pour sortir vivant de cette soirée. Il s’approcha de la porte avec sa démarche féline et passa un œil à travers la visière. Un homme habillé en tweed gris, avec une chemise bleu ciel, se tenait devant la porte. Il tenait une canne en bois incrustée d’un rubis de la taille d’un œuf.

“Mais puisque je vous dis que je vous vois !”

Zayn eut un cri de frayeur et recula jusqu’au fond de la pièce. L’homme approcha son œil de la visière en rigolant, il recula d’un pas, brandit sa canne et dit clairement :

“Ostus !”

Le double loquet de la porte de son appartement sauta de l’intérieur et l’homme repoussa la porte avec sa canne. Il tourna la tête en s’émerveillant :

“C’est très coquet chez vous !”

Zayn hurla, jeta son couteau sur l’homme en tweed, qui l’esquiva et bondit en avant. Aussitôt, celui-ci s’écria :

“Occulus ! Vous allez commencer par vous calmer, jeune homme !” Dès qu’il prononça le premier mot, des cordes en laine s’étirèrent du bas de son tweed, de ses manches ainsi que de son col, et ligotèrent Zayn qui tomba à la renverse. “Aha ! Vous voilà fait comme un saucisson, mon cher ami. Je pense que nous allons enfin pouvoir discuter tels des personnes civilisées.”

Les cordes l’avaient bâillonné, il se débattait violemment mais rien à faire ; il était complètement immobilisé. L’homme s’accroupit en se rapprochant ; il avait un bouc et ses cheveux étaient plaqués en arrière, une légère odeur de parfum envahit les narines de Zayn, qui était contraint de fixer les chaussures parfaitement cirées de l’homme en tweed. Celui-ci se releva, tourna le dos à Zayn et alla fermer la porte. Il dit avec calme :

“Ne vous débattez pas ; les cordes serreront plus fort. Je vous promets que, si vous vous calmez, je vous libère. Mais pour l’instant, nous allons être contraints d’entamer la conversation dans ces conditions. Je vais commencer par vous ôter les bâillons dans votre bouche, mais attention, n’essayez pas d’hurler ; l’ensemble de la rue a été figée, et j’ai aussi bloqué le réseau téléphonique à 1 km à la ronde.”

L’homme en tweed fit tourner sa canne puis la reposa délicatement.

“Faisons un test !” L’homme prit sa canne, la leva au ciel et frappa le sol une fois ; les bâillons de Zayn tombèrent au sol, il se mit à crier aussitôt :

“AU SECOUUUURS ! AAAAAAAAH ! À L’AIDE.”

L’homme en tweed soupira, leva sa canne et la frappa au sol de nouveau ; les bâillons sautèrent dans la bouche grande ouverte de Zayn. Des larmes coulaient sur son visage et commençaient à se perdre dans sa chevelure frisée. L’homme ne put s’empêcher de se pincer les lèvres et s’accroupit :

“Jeune homme, je ne suis pas là pour vous faire du mal. Le monde de la magie comporte des gens mauvais, certes, mais la communauté magique s’efforce de les garder loin des jeunes poulains comme toi,” dit la voix avec une infinie douceur.

Il s’approcha de Zayn et passa sa main dans ses cheveux affectueusement. Il ajouta, en le fixant profondément :

“Laissez-vous faire !”

Il recula de deux pas et cria haut et fort :

“Lestia !” Un sofa apparut aussitôt de nulle part et il se laissa tomber dedans. “Je vais vous libérer, mais ne me le faites pas regretter. Je suis ici pour parler de Barbelle et du monde magique ; je vous promets que nous n’allons pas vous kidnapper ou, Dieu sait, ce que vous avez pu imaginer. Et puisque vous avez grandi comme un sans-don, il va falloir vous expliquer beaucoup de choses.”

Il brandit sa canne et frappa le sol de nouveau ; les cordes commencèrent à se plier et se retirer doucement vers son tweed. Après une dizaine de secondes, Zayn était de nouveau libre. Il devait se rendre à l’évidence, il ne pouvait pas combattre cet homme bien que ses aptitudes physiques soient extraordinaires pour un jeune de son âge. Il opta pour le seul échappatoire possible : garder son calme et l’écouter dans l’espoir que celui-ci veuille s’en aller à la fin de la conversation. Il se releva en faisant attention à ne pas faire de geste brusque ; la moindre mauvaise interprétation de la part de son geôlier pouvait lui valoir la camisole de nouveau. Ses genoux tremblaient, des frissons parcouraient son corps et il avait la nausée.

Il venait d’assister à de la magie, dans son appartement parisien. En l’espace de cinq minutes, cet homme venait de faire voler en éclats toutes ses certitudes. Le monde tel qu’il le connaissait s’effritait devant ses yeux. Le tweed de cet homme l’avait complètement immobilisé, et les loquets de son appartement s’étaient levés comme par magie. Ce qui était sûr, c’est qu’il ne lui voulait pas de mal et qu’il était un magicien. Zayn dut se le répéter à trois reprises pour forcer le rythme de sa respiration à revenir à la normale. Sa peur s’estompait petit à petit, et sa nausée se calmait. Il n’avait qu’une envie : écouter ce que l’homme en tweed avait à lui dire. Son tweed avait pris vie et l’avait saucissonné à terre… Son tweed l’avait mis à terre… Son tweed magique… Un combat s’engageait en son for intérieur ; il voulait garder le silence pour laisser l’homme lui expliquer comment il avait fait pour le contraindre, mais il ne pouvait se résoudre à rester silencieux ; c’est comme ça que la première question fusa :

“Vous avez fait de la sorcellerie ?”

“Était-ce de la sorcellerie ou de la magie ?”, serait la bonne question. “Je dirais que j’ai employé les deux. Je vous ai jeté un sort pour vous calmer, ouvrir la porte de chez vous et faire apparaître ce magnifique sofa de l’époque victorienne. Vous savez, je ne le sors de ma réserve qu’en de très grandes occasions,” ajouta-t-il fièrement. “J’ai utilisé de la magie pour vous enlever vos bâillons. La magie est plus puissante et plus subtile. Elle ne nécessite pas de formule magique, seulement des gestes.”

Zayn buvait ses paroles, une soif insatiable venait de se découvrir en lui. La magie existait et il avait l’occasion, non… le droit d’en savoir plus. Ce soir, il venait d’assister à une merveille que tout l’or du monde ne saurait acheter… Les frontières du possible s’étendaient à toute vitesse dans son esprit.

“Qui est le grand lion de Barbelle ?”

“Erbie Sacrebleu, l’un des plus puissants enchanteurs du monde actuel. Il siège également au conseil de l’ordre, l’équivalent du parlement dans votre monde. La politique ne l’intéresse pas vraiment sauf quand cela concerne les Terres Infinies et les compagnies qui s’y engagent.”

Zayn acquiesça sans rien comprendre à ce que l’homme disait et voulut lui poser une autre question mais, il s’arrêta juste à temps pour se rattraper. Il s’assit sur son lit puis se sentit mal à l’aise en repensant qu’il avait essayé de frapper un homme de cinquante ans. Il devait avoir l’air bien idiot maintenant qu’il était calme ; il aurait peut-être dû commencer par discuter. Il avait complètement perdu ses moyens quand il avait compris que son invité pouvait le voir à travers la porte. Il voulait savoir ce qu’étaient les Terres Infinies et comment il avait fait pour le voir à travers un obstacle en bois épais de cinq centimètres mais il décida d’essayer de faire preuve d’un minimum de politesse :

“Voulez-vous que je vous fasse un thé, ou que je vous serve un jus ? Avez-vous faim ?”

“Très bonne idée, jeune homme, pouvez-vous me faire un thé ? Je m’excuse, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter, je m’appelle Mathias De Fontenais, et oui, c’est bien un nom onomastique.”

Zayn commença à s’affairer aussitôt, il avait une boîte de cake au chocolat qu’il avait cachée dans un des placards près de l’évier. Zayn ne recevait pas souvent d’invités, mais il avait toujours des réserves de nourritures et de boissons pour accueillir n’importe quel hôte comme il se devait. Il se baissa, ramassa le couteau de cuisine discrètement et le remit dans l’évier puis il mit de l’eau à chauffer. Il mit deux cuillères de thé chinois dans le récipient, ajouta dix morceaux de sucre qu’il prit le temps de compter deux fois pour être bien sûr. Il aimait bien servir son thé sucré à la mode marocaine. Il disposa ses morceaux de cake, soigneusement coupés, dans deux assiettes, puis finit par verser l’eau qui avait bouilli dans sa théière. Il servit son invité.

“Monsieur De Fontenais, qu’est-ce que sont les Terres Infinies et comment avez-vous fait pour me voir à travers la porte ?”

“Appelez-moi Mathias,” répondit-il amicalement. “Par où commencer … Nous avons un protocole bien précis à suivre : je ne dois pas vous en dire trop la première fois que nous nous voyons. Je vais faire une exception… mais toutefois, sachez que si vous voulez nous rejoindre à Barbelle, il va falloir que nous nous revoyions une deuxième fois et que vous vous établissiez dans le XXIᵉ…”

“Le XXIᵉ ? Qu’est-ce que c’est ?”

Il existait vingt arrondissements dans Paris intra-muros, mais il n’avait jamais entendu parler d’un vingt et unième arrondissement.

“Le nom d’un arrondissement de Paris caché aux yeux des sans-dons. Promettez-moi d’abord que nous nous reverrons une deuxième fois au moins ! Je comprends maintenant pourquoi ils ont voulu que j’atterrisse ici aussi vite. Le don s’exprime si fougueusement chez vous, c’est magistral : un orphelin doué de pouvoirs dont il ne soupçonnait même pas la moindre existence, vous êtes vraiment fait pour rejoindre Barbelle !”

Zayn ne put s’empêcher de répondre tout de suite après que Mathias ferma sa bouche ; il voulait enfermer Mathias pour être sûr que celui-ci ne s’enfuie pas avec toutes les réponses à ses questions :

“Vous avez ma parole !”

Mathias se leva et se dirigea vers la fenêtre, il leva les yeux et fixa le ciel parisien. Il posa sa canne contre le bureau et revint s’asseoir. Il hésita un instant, puis se leva, reprit sa canne, se réinstalla dans son sofa, et finit par reposer sa canne sur ses genoux nerveusement.

“Je vais briser le protocole, j’espère que tu n’en diras point mot. Je compte sur toi.”

Mathias inspira, claqua des doigts et sa canne se mit à flotter dans les airs. Il souffla puis la reprit :

“N’as-tu pas remarqué que depuis une année ou deux tu ne vieillis plus ?”

“Ce sont des problèmes d’hormones,” répondit Zayn ne sachant plus où il voulait en venir. “Les médecins m’ont expliqué que pour une raison qu’ils ignorent, mon corps ne grandit plus normalement. C’est pour cela que mon visage ne prend pas un seul poil alors que j’ai 17 ans et que ma voix n’a pas encore mué comme elle le devrait.”

“Non, c’est un phénomène qui arrive à l’ensemble des doués autour de leurs vingt-cinq ans après avoir été diplômés. Le don est extrêmement développé chez toi ; cela ne m’étonnerait pas que tu descendes d’une lignée de paladins extrêmement connus et qu’ils t’ont déposé en orphelinat lorsque tu étais encore bébé, pour une raison ou une autre ils ont voulu cacher ta naissance. Terre Magique traverse un moment difficile depuis une décennie ; qui sait, peut-être qu’on a voulu te protéger d’un mal qui te menaçait. Ce qui m’échappe c’est qu’il y a 17 ans, les eaux n’étaient pas aussi troubles. Peut-être que je me trompe sur toute la ligne. Il faut que tu saches que les doués vivent généralement entre 250 et 350 ans ; les plus puissants vivent généralement 200 à 300 années de plus. Le vieillissement est retardé ; leur musculature est surdéveloppée comme la tienne. Tu es sûrement plus fort que la majorité des sans-dons de ton âge et ça ne m’étonnerait pas que tu dépasses en force la majorité des sportifs de haut niveau d’ici moins de six mois. Mais ça sera différent quand tu te compareras aux autres doués de Barbelle ; tout le monde a un talent caché susceptible de renverser n’importe quelle situation à son propre avantage.”

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