Avant-propos
De 2008 à 2012, j’ai chanté les filles en vers et en rimes. Des mots pour dire leurs corps. Dans ce qu’ils ont de beau, d’original et unique, de sexué, de violent, de désiré et de désirant. J’ai parlé d’amour et de désir, de rencontres, de mélanges. Les impressions ressenties au contact d’une autre, suite à une rupture, au croisement des phéromones d’une jolie fille : tout cela nourrissait mes poèmes. Je cherchais à dire l’amour sans le A majuscule.
Moi qui avais toujours suspecté de misogynie cette tradition de la chanson française faisant des femmes, ou plutôt de « la Femme », un fond de commerce, une source privilégiée d’inspiration – une tradition regroupant aussi bien Léo Ferré que Damien Saez –, voilà que j’empruntais le même chemin ! Une route de célébration, certes, mais pas seulement. Car chanter les filles c’est signifier combien on les aime, les admire, combien elles nous fascinent ; mais c’est également les cantonner dans un espace à part de l’humanité, en quelque sorte les reléguer au rang de faire-valoir de l’artiste (toujours masculin).
Je ressens donc le besoin de mieux expliquer ma démarche ! Entre 2008 et 2012, c’est une longue période où, d’adolescent timide jusqu’au handicap, je devenais garçon plutôt charmeur, voire entreprenant. J’ai vécu mon lycée avec une bande-son clairement punk. Au rythme scandé des Nyark Nyark, je cultivais une envie de liberté et une volonté de vivre dense. Le drapeau pirate pour emblème, « sensualiser le monde » pour mot de désordre et les corps comme champ de bataille. Ces corps qui s’étaient trop longtemps refusés à moi du fait de ma timidité, je les ai investi avec passion une fois que le temps des amours libertines était venu. On peut lire les textes qui suivent comme le carnet de bord d’une immersion dans le monde des sens, des contacts de peau.
Le présent recueil a un deuxième but : tourner la page, changer de cap, d’orientation, larguer les vieilles amarres pour mieux partir vers des aventures nouvelles. Parce que l’écriture se doit d’être perpétuelle invention, lutte contre la facilité et la routine, je préfère, avec Nuits salines, poser un point qui serait à la fois d’honneur et final à ces chants d’amour-désir.
J’aimerais ensuite témoigner des foules furieuses qui débordent derrière mon Je. Regarde ! Des tribus bigarrées et des animaux mythologiques, une troupe de bohémiens, quelques jongleurs de mots, un feu qui danse, des cueilleurs de cerises et un pourfendeur de vents, des masques, un pirate nomade, une caravane de randonneurs improvisés, des truqueuses de haut-vol… C’est quand le Je devient Jeu que je me sens vivre. Quand je me sais mélange, mescladís comme on dit en occitan. Si mon Moi est une forteresse, j’ouvre grand les portes ; je veux le carnaval sur ma peau, que ma lymphe se multicolore, mon sang devienne lave. Les nuits salines, ce sont tous ces moments où la sensualité me désarme, où mes poings s’ouvrent enfin. Parce que mon corps n’a rien d’une autoroute, qu’il est plutôt dense réseau de squats sauvages, archipel de champs en friche. J’ai chanté les filles ; souvent fantasmées, quelquefois croquées… Je cultive les graines qu’elles ont laissées en moi. Si j’écris ce livre c’est aussi pour dire : « Elles peuplent ».
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