Chapitre X

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Éléonore ouvrit les yeux. Elle mit un moment à comprendre pourquoi tout son corps lui faisait mal, pourquoi elle n’était pas dans un lit. Elle cligna des yeux pour s'habituer à la luminosité ambiante. Elle était allongée sur un tas de feuille, entourée d’arbres. Sa gorge sèche la brûlait et son ventre grondait.

Combien de rêves vais-je encore faire ?

« Tout dépendra de toi. »

Éléonore se figea. Un félin qu’elle ne reconnaissait pas se tenait non loin d’elle.

- Qui... Qui es-tu ? C’est toi qui m’a parlé ?

Il la regarda, s’étira puis fit demi-tour.

- Eh ! Attends ! lui cria-t-elle

Elle suivit cette étrange apparition. Il la mena à une rivière. Éléonore mit aussitôt les mains en coupe pour soulager sa gorge rèche et s’asperger le visage. Après quoi, elle se tourna vers lui :

- Merci.

Elle prit alors le temps de le détailler. C’était un félin, elle en était sûre.

Mais lequel?

Il en possédait toutes les caractéristiques. Les pinceaux du lynx. À certains endroits, le pelage changeait de couleur. Parfois, il y avait des tâches, des rayures, des ocelles ou juste un pelage uniforme.

Éléonore comprit alors.

C’est le mélange de tous les félins... de mes rêves !

Elle lut l’approbation dans son regard quand il la regarda.

« Je suis content que tu t’en ai rendu compte. »

- Qui êtes-vous ? redemanda Éléonore.

« Une moitié de ton âme. »

- Co... comment ça ?

« Je suis la fusion de onze félins. À notre mort, nous avons fusionné et créer un félin, quoique immatériel. Quand cela se produit, ce qui est extrêment rare, nos âmes se lient aussi avec celle d’un humain. »

- Mais... je ne comprends pas. À quoi cela sert-il ?

Il ne répondit pas tout de suite, ses yeux oranges la transperçant. La forêt même sembla devenir silencieuse, comme si elle retenait son souffle.

« Les humains ne comprennent plus la nature. La plupart la détruisent, d’autre l’ignorent. Or la nature est notre habitat à tous, même des humains. Cette fusion permet aux humains de comprendre ce que la nature est et ce qu’elle représente pour nous. »

Tout allait trop vite. Elle devait réfléchir. Pendant un long moment, elle ne bougea pas, perdue dans ses pensées.

- Si j’ai bien compris..., finit-elle par dire, je deviens un intermédiaire pour transmettre ce message...

« Pas forcément. Tu as le choix. Je fais partie de ton âme mais si tu ne veux pas transmettre le message, ce sera ton choix. Je le respecterais. »

Éléonore soupira. Elle regarda ce qui l’entourait et fut happé par la beauté du lieu. Les arbres aux feuilles colorées, les buissons de verts différents, les quelques fleurs qui décoraient le sol, le cours d’eau et ses nuances de couleurs. Elle ferma les yeux. La forêt n'était jamais vraiment silencieuse contrairement à ce qu'elle pensait. Les battements de son coeur ralentirent. Elle pouvait sentir la forêt. Elle en eut le souffle coupé. Ses yeux se rouvrirent et elle regarda le félin.

- Je ne laisserai personne faire du mal à la nature...

« Je savais que tu le ferais. »

Il s’approcha d’elle. Éléonore tendit doucement ses doigts et toucha son museau.

- Tu disais être immatériel...

« Tu es la seule à me voir et à pouvoir me toucher. »

Elle sourit, se sentant elle-même et en confiance avec lui.

- Je suis nulle en informatique et en écriture, faut voir... Il va falloir que je trouve un moyen...

« Chacun fait ce qu’il peut à sa manière et à son niveau. Il n’y a pas que les mots qui peuvent transmettre un message. »

Éléonore mit un moment à comprendre de quoi il parlait.

- Tu veux dire que... je pourrais transmettre ce message avec... des dessins ?

« C’est un moyen. Mais la musique est tout aussi efficace. »

- Hmm...

Elle caressa le pelage doux du félin en reprenant son assurance et ses points de repères.

- Il y a plusieurs personnes dans le même cas que moi ?

« Il y a d’autres entremêlés mais avec d’autres animaux. »

- Entremêlés ?

« C’est le nom donné aux personnes liées à un être comme moi. Car les âmes sont entremêlées pour l’éternité. »

- J'aime bien ce mot. Les entremêlés servent-ils seulement d’intermédiaire, ou ont-ils d'autres fonctions ?

Il se tut un moment en continuant de la fixer de ses yeux magnifiques.

« Les humains et les animaux ont des points communs, bien plus qu’ils ne le pensent. Mais les différences sont d’autant plus grandes. Les humains peuvent apprendre des animaux mais l’inverse est irréalisable. Un animal obéira toujours à ses instincts, ce n’est pas dans sa nature d’observer pour ensuite comprendre et copier. Les humains ont aussi des instincts mais ils ont des... qualités en plus que les animaux n’ont pas. Ils peuvent réfréner leurs instincts, prendre en compte le monde qui les entoure, mais d’une autre manière que celle des animaux. Votre perception diffère. Mais vous ne saisissez pas tout. Car si il y a bien une chose que les humains ont tendance à oublier : c’est la liberté. Vous les humains, vivez dans votre bulle, votre travail, vos problèmes et tout le reste. Et vous oubliez qui vous êtes vraiment. Et d’où vous venez.

Il y a des milliers d’années, vous viviez dans le même lieu que nous. Vous cohabitiez avec la nature. Puis vous vous êtes installés dans un endroit en particulier et en vous développant, vous avez oublier que quoi qu’il arrive, la Terre est et restera notre mère. Je ne dis pas que l’Homme doit redevenir l’être primitif qu’il était il y a des milliers d’années et dans les mêmes conditions, je n’ai pas dit ça et ne le pense pas. Mais il y a un juste milieu à trouver. Et c’est pour ça que les entremêlés existent. »

Éléonore cligna des yeux. Ce qu’il venait de dire trouvait écho en elle. Le félin ajouta :

« Pour sauver la planète, il faut d’abord se sauver soi-même. »

Elle caressa le dos soyeux de son entremêlé puis ferma les yeux.

***

« Éléonore ? »

- Oui ?

« Viens. La nuit est tombé. »

Il se leva et huma le vent puis s'engagea dans une direction sans aucune hésitation. Elle le suivit en toute confiance. Son entremêlé brillait légèrement dans la pénombre de la forêt. Au début, elle ne voyait rien. Tout était sombre et ses pieds ne cessaient de se prendre dans des racines. Elle faillit, plus d'un fois, s'étaler par terre.

« Laisse tes yeux s’accoutumer à la lumière de la nuit. »

Éléonore inspira profondément l’air chargé de senteur de la forêt puis commença à distinguer certaines choses, qui lui permettaient d’éviter les plus gros obstacles.

« Nous sommes intimement liés. Tes sens vont se développer pour être en osmose avec les miens. Cela prendra du temps mais je sais que tu ressens déjà un changement. »

Elle acquiesça dans le noir. Ses yeux percevaient de plus en plus de différentes nuances de noir et de gris qui l'aidait à se situer. Ses narines inspiraient l’air et arrivaient à savoir de quoi il s’agissait : du pin par là, les feuilles mortes mouillés tapissant le sol de la forêt. Ses oreilles percevaient le bruit d’un cours d’eau non loin, les bruissement de pas discrets, le vol des insectes. Elle sentait l’air frais de la nuit contre sa peau.

Elle ne sut combien de temps elle avait passé dans cette sorte de transe quand elle remarqua qu'ils marchaient sur un sentier. Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant la maison d’Ophélie. Son souffle se bloqua dans sa gorge. Son entremêlé se frotta contre sa jambe droite.

« Vas-y. Je ne serais pas loin de toi. »

- Merci. Merci pour tout, lui dit-elle.

Éléonore caressa sa fourrure soyeuse du félin puis le lâcha à regret. Elle alla vers le chalet de sa grande-tante. Étrangement, la porte n’était pas fermé à clé. Elle fronça les sourcils. Toutefois, elle entra silencieusement. Tout était éteint, pas un bruit mis à part sa respiration et ses pas. Sa nervosité monta d’un cran. Elle fit le tour des pièces en appelant Ophélie mais ne trouva personne.

Sa grande-tante, d’ordinaire toujours ordonnée, avait laissé trainer des chaussures, du papier, un carnet avec d’innombrables numéros de téléphone ainsi que d’énormes ratures, des crayons. Éléonore monta dans la chambre qu’elle occupait.

Où est Ophélie ? Peut-être qu’elle me cherche. J’ai disparu sans qu’elle s’en rende compte. Elle doit s’inquiéter...

Elle descendit dans l’entrée. Elle prit le fixe et allait taper le numéro de sa grande-tante quand elle remarqua le téléphone.

Évidemment, elle l’a oubliée.

Elle poussa un énorme soupir. Finalement, elle prit un bout de papier, écrivit dessus : Je suis dans la chambre, Éléonore.

Elle n’avait pas faim, pas soif. Elle prit une douche rapide puis alla se coucher. Éléonore fixa le plafond pendant un long moment, sans réusir à s’endormir. Son entremêlé se glissa alors auprès d’elle. Elle sourit et posa une main sur son dos. Là, elle trouva enfin le sommeil, au côté d’une partie de son âme.

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