Chapitre V
Éléonore se réveilla, en sueur et chancelante. Elle se sentait épuisée mais incapable de rester quelques minutes de plus sans bouger.
Mes rêves sont de plus en plus réalistes. À moins que ce soit moi qui prête plus attention aux détails...
Soudain, on toqua à la porte de sa chambre. Elle se leva et entrouvrit la porte. À sa plus grande surprise, elle découvrit sa mère qui fronça les sourcils et lui dit d'un ton sec:
- Change-toi et descends dans la cuisine. Sans faire de bruit, ajouta-t-elle pour finir.
Pourquoi ?
Éléonore obéit rapidement pour ne pas se faire disputer. Quand elle franchit le seuil de la cuisine, elle vit que ses parents l’attendaient tous les deux, les bras croisées et le regard dur.
- Bien, commença son père. Suite aux problèmes que tu as... provoqué et ton comportement à revoir, nous avons contacté une... personne de la famille qui accepte de te garder minimum une semaine, mais plus si tu en as besoin.
- Ah..., fut tout ce qu’Éléonore réussit à dire.
- Tu pars aujourd’hui. Nous avons déjà fait ta valise. Ta mère va t'y emmener.
L’angoisse la saisit.
Il est tout juste six heures du matin et je dois rencontrer une personne inconnue qui doit me garder ?
Elle tourna les talons. Elle connaissait sa mère. Si elle ne faisait pas vite, elle allait se prendre une raclée monumentale.
Le seul avantage serait que je ne verrai plus mes parents pendant plusieurs jours. Je n’aurai pas à supporter les moqueries de l’école. Tout compte fait, je préfère être garder par cette personne de la famille. Père n’a même pas jugé bon de me dire son prénom... C’est tout lui... C'est sûrement cette Ophélie.
Elle prit un petit sac à dos et y mit les livres sur les félins, celui sur le dessin et les quelques dessins qui avaient survécu à Laura. Elle sortit de sa chambre et passa devant celle de son frère.
Est-il au courant que je pars ? Pourquoi est-ce que je me pose cette question ? Il s’en fiche complètement, après ce qu'il a fait.
Étrangement, elle ressentit un léger pincement au cœur en pensant cela. Sa mère l’attendait déjà devant la porte d’entrée de la maison. Éléonore mit ses chaussures sous son regard perçant.
- Dépèche-toi, nous n'avons pas toute la journée devant nous.
Elles sortirent et Éléonore monta dans la voiture. Sa mère se mit au volant et fit démarrer la voiture.
- Mère... où allons-nous ? voulut-elle tout de même savoir.
Je ne te fais pas confiance. Je veux au moins connaitre ma destination.
- À la maison de la tante de ton père.
- Ah... et c’est loin ?
Sa mère l’ignora superbement et s’engagea dans la circulation déjà dense malgré l'heure matinale. Éléonore soupira et entreprit de regarder le paysage à travers la vitre. Elle voyait les arbres, les champs, les villes et villages défiler sous ses yeux. Tout se ressemblait. Elle n'y faisait pas attention, fixant un point invisible. Un silence pesant flottait dans la voiture, l’étouffant complètement. Au bout d'un moment, elles firent une pause de dix minutes. Respirer un peu d'air frais lui fit du bien malgré le vacarme des voitures roulant sur l'autoroute. Après cet arrêt, elle remarqua qu’elles allaient vers les montagnes. Trois quarts d'heure après, elles traversaient plusieurs villages. Le paysage lui plaisait beaucoup plus avec les falaises, les forêts...
Elles s'engagèrent dans une petite route de montagne qui slalomait dans tous les sens. Sa mère ralentit une demi-heure plus tard en entrant dans une commune dont elle retint pas le nom. Les maisons se ressemblaient toutes. Un toit gris et des mur en pierre. Éléonore remarqua alors une vieille dame aux longs cheveux blancs qui faisait les cents pas près d'une petite fontaine. Elle n’était pas grande mais contrairement à beaucoup de personnes âgées qu’elle avait déjà rencontré, la dame semblait être en très bonne santé. Elle n’avait pas de canne et marchait d'un pas vif. Elle s’arrêta en voyant la voiture.
- Nous sommes arrivés, déclara sa mère.
Elles sortirent et Éléonore vit la vieille dame s’avancer vers elles. Elle remarqua qu’elle avait de beaux yeux verts.
- Jeanne, dit la vieille dame.
- Ophélie, répliqua sa mère.
Les deux femmes se regardèrent avec colère.
Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ladite Ophélie se tourna alors vers Éléonore. Elle la jugea d’un simple coup d’œil.
- Pff..., commenta-t-elle. Je comprends mieux...
- Il n’y a rien à comprendre, Ophélie, déclara froidement la mère de l’adolescente.
La vieille dame rit.
- Comme tu veux. Au revoir, lui dit-elle. Suis-moi, ajouta-t-elle à l’adresse d’Éléonore.
Cette dernière ouvrit la bouche tandis qu’Ophélie s’éloignait. Sa mère regagna la voiture en lui tournant le dos, ralluma le moteur et repartit.
Surtout, ne me dis pas au revoir...
Cette pensée la ramena à la réalité. Éléonore courut rattraper la vieille dame. Elle fut surprise de constater qu’elle marchait vite, très vite. Ophélie l’attendait au bord d’un croisement. Puis elle repartit sans l'attendre plus longtemps. Elle demanda finalement :
- Où allons-nous ?
- Chez moi, pardi ! C’est logique.
- Euh... d’accord... Et comment ? Tu ne vis pas dans le village?
La vieille dame leva les yeux au ciel, l’air de dire : Mais c’est pas possible... Ils ne savent plus réfléchir...
- À pied, répondit Ophélie. Et je vis un peu à l'écart des maisons.
- ... D’accord.
Mes grands-parents ne marcheraient jamais comme ça... ils prendraient je ne sais pas quel engin pour faire ce chemin.
Elles marchèrent en silence. Éléonore n’avait pas l’habitude de marcher en pleine nature. Elle observa tout ce qui l’entourait avec une curiosité qu’elle ne se connaissait pas. Tout regorgait de vie. Les insectes bourdonnaient, les oiseaux communiquaient entre eux. Les arbres étaient paré de feuilles rouges, orange, jaune et un peu de vert par-ci par-là, ce qui les rendait très chaleureux. Des fleurs poussaient sur les bords du chemin et apportaient d'autres couleurs.
- Tes parents n’ont jamais pris la peine de vous faire faire une randonnée ? demanda soudainement Ophélie.
La question prit l’adolescente à dépourvue.
- Non.
- Pfff, ça ne m’étonne pas d’eux, dit-elle avec dédain.
Elles arrivèrent alors devant une maison. En réalité, elle ressemblait plus à un chalet qu’une maison.
Après tout, Ophélie vit dans la montagne, ça doit être logique.
Le chalet était composé de deux étages : les murs du bas étaient en pierre et le premier étage en bois, vu de l’extérieur du moins. De petites fenêtres avec des volets rouges lui donnaient un aspect plutôt accueillant, accentué par le balcon parsemés de fleurs. Sur le devant du chalet, il y avait une terrasse en bois avec quelques barrières autour. Une cheminée ressortait légèrement du toit. Le tout était entouré d’un potager d’une grande surface bien entretenue. Non loin, une mare reflétait les rayons de soleil. Éléonore inspira l’air frais des montagnes.
- Je vais te montrer ta chambre, annonça alors Ophélie,
Elle acquiesça. Elles entrèrent dans la maison et Éléonore fut aussitôt subjugée par l’ambiance qui s'en dégageait.
Le premier étage était constitué d’une grande pièce avec au fond deux petites portes, l’une avec une pancarte indiquant WC, l’autre n’en avait pas. Non loin de la porte d’entrée se trouvait un escalier. La pièce principale était coupée en deux parties : la cuisine et le salon avec une immense bibliothèque. Cette découverte l’enchanta. Le canapé d’un certain âge faisait face à la bibliothèque et une petite cheminée. Juste derrière le canapé commençait la cuisine en forme de U avec un lavabo. Il n’y avait pas de lave-vaisselles, ni de micro-ondes. Contre le mur du fond se trouvaient diverses étagères pour stocker la vaisselle. Le four n’était pas bien grand. Un comptoir permettait de préparer des plats. Une table pour plusieurs personnes collait le lavabo.
- C’est par là, lui dit sa grande-tante.
Elles montèrent l’escalier. Éléonore regarda le couloir devant elle, perdue.
- Troisième porte à droite, lui indiqua Ophélie.
Elle s’éxécuta et franchit le seuil de la chambre. Un lit collé contre le mur du couloir faisait face à une grande fenêtre, qui elle-même donnait sur une vue des arbres. Un bureau en bois massif occupait le mur de droite. Divers clous étaient enfoncés au-dessus mais rien n’y étaient accrochés. Ce détail l’intrigua. Mais en se tournant vers Ophélie pour lui poser la question, elle comprit en voyant son regard que ce sujet était banni. Juste à côté du bureau, une grande armoire en bois avec de magnifiques gravures lui permettait de ranger ses maigres affaires.
- Occupe-toi comme tu peux, je vais commencer à préparer le diner.
- Mais il n’est que treize heures et quart ! s’étonna l’adolescente.
- Une fois que se sera fait, je ne m’en préoccuperais plus. Ca s’appelle prévoir.
Sur ces mots, sa grande-tante lui tourna le dos.
Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
Légèrement indignée par cette réaction, Éléonore se mordit les lèvres.
Pourquoi est-ce que chaque personne que je rencontre me déteste ?
Pour chasser cette sombre pensée, elle rangea ses quelques affaires. Ensuite elle ouvrit en grand la fenêtre pour observer les alentours. De sa fenêtre, elle pouvait voir les arbres autour du chalet, un bout du toit du voisin le plus proche et le ciel gris.
Elle n’avait jamais vécu en pleine nature. Ses parents les avaient, elle et son frère, toujours emmenés dans les grandes villes célèbres et non les petites villes montagnardes. Elle voulait sortir, sentir l'air plus pur de la montagne. Son enthousiasme vacilla en voyant les nuages gris foncé qui recouvraient entièrement le ciel. Alors, elle ouvrit légèrement la fenêtre, puis prit son carnet de dessin déchiqueté. À sa vue, elle ressentit une colère contre Laura, elle avait passé tellement de temps dessus. Elle le mit à plat et pendant le reste de l'après-midi, tenta de le réparer. En vain. Éléonore se prit le visage entre les mains en soupirant.
Il ne me reste plus qu'à recommencer...
Ophélie passa alors sa tête à travers l'embrasure de la porte.
- Le dîner est prêt. Tiens? Tu dessines?
Éléonore cacha ses croquis à la va-vite.
- Non. C'est rien.
Sa grande-tante haussa les sourcils mais n'insista pas.
- Tu viens ?
- Tout de suite !
Elle attendit qu'Ophélie commence à descendre les escaliers pour ranger son carnet dans son sac.
Je ne me sens pas de les montrer à qui que se soit, alors à une inconnue...
Elle rejoignit ensuite sa grande-tante dans la cuisine-salon. Au menu, salade verte avec un peu de butternut et champignons chauffés à la poêle.
- Si tu en veux encore, dis-le moi. Il reste un peu de champignon.
Éléonore acquiesça et commença à manger. Contre toute attente, elle dévora son plat. L'ambiance était un peu lourde, mais ça ne changeait pas des repas avec sa famille.
- Bon, écoute. Dans quelques jours, il y a la fête de fin des transhumances, déclara soudaiement Ophélie.
- Les transu-quoi?
- Tu ne sais pas ce qu'est une transhumance?
- Jamais entendu ce mot, lui avoua Éléonore.
Sa grande-tante soupira bruyemment.
- Comment t'expliquer ça? En été, les éleveurs envoient leurs troupeaux dans des paturages en montagne. Cette période s'appelle transhumance.
- Ah. D'accord. Mais pourquoi fêter la fin?
Ophélie soupira.
- C'est une tradition qui perdure depuis des générations. Et à cette occasion, tout le village habille les costumes traditionnels. Cela te permettra de faire la connaissance avec les familles.
- Euh... D'accord, répondit Éléonore.
Attends... costume traditionnel?
- Mais, ça veut dire que je vais devoir me déguiser pour cette fête?
- Ce n'est pas un déguisement! s'indigna sa grande-tante. C'est un costume.
Elle baissa la tête, penaude.
- J'ai peut-être une robe à ta taille. Sinon, je demanderai à une voisine, réfléchit Ophélie à voix haute.
- Bon... Je n'ai jamais porté un costume traditionnel. Je suis vraiment obligé?
Sa grande-tante la regarda, les yeux plissés. Éléonore s'avoua vaincue.
- D'accord...
Peu après, elle monta dans sa chambre et s'effondra sur le lit, vidée d'énergie. Il y avait eu trop de changement en une seule journée.
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