Chapitre VI
Éléonore ouvrit les yeux, surprise. Les rayons du soleil inondait sa chambre, aggressant ses yeux encore non accoutumés.
J'ai oublié de fermer les volets?
Elle se releva en songeant à ce nouveau rêve qu'elle venait d'avoir.
C'est moi ou celui-là avait beaucoup plus de détails que les autres?
Machinalement, son regard se porta sur sa montre posée sur la table de chevet.
10h23 ?
Elle se frotta les yeux.
Ophélie m'a laissé dormir... Depuis quand est-ce que je n'ai pas fait la grasse mat? Ca fait un bien fou!
Elle se leva et se changea. Éléonore descendit dans la cuisine. Ophélie lisait un livre sur le canapé. Celle-ci leva les yeux vers elle.
- Il y a du pain sur la table, sers-toi.
Elle obéit. Ce n'était pas une baguette et il avait une forme inhabituelle.
- C'est du pain fait maison? voulut-elle savoir.
- Oui, répondit Ophélie. T'es parents n'en ont jamais fait?
Éléonore hocha négativement la tête. Elle se servit une tranche et la tartina avec de la confiture de groseille. Elle remarqua alors que sa grande-tante l'observait. Ne sachant comment réagir face à ce regard, elle dit la première phrase qui lui traversa l'esprit:
- Le pain est très bon.
- La confiture aussi?
- Euh... Oui, la confiture aussi.
Ophélie se replongea dans son livre. Elle haussa les épaules et finit de manger. Éléonore remonta dans sa chambre. Après s'être lavé les dents, elle sortit le livre sur les félins emprunté au CDI.
Si j'en crois le bouquin, mon rêve parlait donc d'un jaguar.
Elle trouvait les photos magnifiques. Du bout des doigts, elle caressa le papier en s'imaginant caresser un vrai jaguar.
Scénario invraisemblable, impossible même. Mais ça fait rêver. Mais peut-être que j'en croiserai un vrai... Un jour...
Doucement, elle sortit un crayon de papier et tenta de reproduire la photo. Elle s'avoua vaincue au bout d'une heure.
- Je n'y arrive pas! Le jaguar est disproportionné!U Une queue trop grosse, une patte trop longue et une trop courte... une tête minuscule, un ventre trop gros... Il n'y a rien qui va! Il doity avoir des conseils dans le livre de la bibliothèque...
Elle le prit et le feuilleta.
Bon... Il faut d'abord dessiner les formes principales avec des figures géométriques poour avoir une base.
Elle soupira de lassitude.
J'ai besoin de faire autre chose.
Elle ouvrit la fenêtre et contempla la nature autour d'elle. Éléonore remarqua alors le jardin.
Il est plus grand que ce que j'imaginais. Je n'ai que vu un bout seulement.
Elle sortit le découvrir. Le potager était assez vaste, composé de plusieurs rangées de terre avec des piquets comportant le nom des plantes.
- Carottes, patates, choux fleurs, salade, butternut, radis, radis noir, tomates, tomates cerises, courgettes, oignons, oignons doux des cévennes. Oh! Et là, il y a un framboisier, un fraisier, un myrtillier, des vignes... Ça fait beaucoup de sortes de fruits et légumes.
Elle avisa des arbres non loin.
- Un pommier, un poirier, un prunier... Comment fait-elle pour aussi bien l'entretenir?
Elle s'éloigna du potager et s'approcha de la mare. Elle entendit un plouf et vit une grenouille s'enfoncer sous l'eau. Elle resta alors à bonne distance et observa la vie dans la mare. Elle était assez grande et des plantes aquatiques la décoraient. Éléonore remarqua une rampe.
Pour empêcher un animal de se noyer?
Elle aperçut alors un espèce d'abri fait de bouts de bois maintenus par des cordes avec une petite entrée légèrement caché dans un buisson et plus loin, un muret de trente centimètres de haut et assez large.
Qu'est-ce que c'est?
Ophélie sortit de la maison. Elle se tourna vers elle:
- Qu'est ce que c'est? Un abri? demanda-t-elle en le désignant.
- Un abri à hérisson.
- À hérisson? Tu en as déjà vu en vrai? s'enthousiasma-t-elle.
- Plus aperçu que vu. Ils sont nocturnes. Donc difficilement repérables.
- L'abri a déjà servi? Je peux le voir?E Et le muret, il sert à quoi?
- Calme-toi, lui ordonna sa grande-tante. Oui, il a déjà utilisé. Mais évite de trop t'en approcher. Les hérisons préparent leurs hibernations, je ne pense pas qu'ils apprécient qu'on les dérange. Le muret sert d'abri aux lézards.
Éléonore était déçue.
J'aurais tellement voulu en voir un... Pourquoi est-ce que je suis aussi excitée? C'est un animal, sauvage qui plus est...
- Je dois aller récupérer certaines choses, lui annonça sa grande-tante. Je vais devoir te laisser seule. Je peux compter sur toi?
- Oui oui.
Ophélie la regarda, comme si elle doutait de sa réponse.
- Bon. Il y a une soupe de butternut au frigo. Tu sauras la réchauffer?
Elle se sentit agacée.
Je ne suis pas une gamine non plus!
Sa grande-tante partit. Elle resta un petit peu dehors pour explorer le jardin et découvrit des nichoirs, une plaque de plexiglas et deux composts. Le temps commença à changer. Éléonore rentra dans la maison. Comme elle n'avait pas d'appétit, elle décida d'explorer la bibliothèque. Elle parcourut les rayonnages en touchant les reliures.
- Les Misérables, La bête humaine... Tiens? Qu'est-ce que c'est? Boostez votre mémoire, de Jean-Yves Ponce...
Elle lut le résumé puis replaça le livre à sa place.
- Des livres de fantasy? J'ignorais qu'elle avait ce genre de goût... Qu'est-ce que c'est? Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une, de Raphaëlle Giordano. Ophélie lit d'étranges livres quand même...
Elle feuilleta les livres un à un pendant un long moment, ennuyée.
- Il n'y a rien d'intéressant... Tiens?
Elle venait de remarquer des gravures sur le côté de l'étagère.
On dirait un gribouilli...
Elle plissa les yeux et tenta de comprendre ce que ces marques dans le bois pouvaient bien faire ressortir. Elle s'avoua vaincue au bout de quelques minutes. Alors qu'elle se relevait, les murs de la maison se mirent soudain à tournoyer devant ses yeux. Elle les ferma, s'appuya contre le mur et se laissa glisser jusqu'au sol en s’obligeant à se focaliser sur sa respiration. Au bout de quelque minutes, elle se releva et sortit en enfilant un ciré.
Il commençait à pleuvoir. Elle resta devant l'entrée sans bouger, indécise. Elle n'avait pas envie de rentrer à nouveau et ne voulait pas rester dehors avec cette température. Finalement, elle traversa le jardin. De fines gouttes tombaient, planquant ses cheveux. Un léger vent soufflait. Éléonore frissonna. Elle ne savait pas pourquoi elle était partie de chez Ophélie. La pluie formait un étrange rideau que ses yeux avaient du mal à percer. Elle emprunta la route qu’elles avaient prises pour rejoindre le chalet en sens inverse. Elle passa devant plusieurs maisons. Les rues entre elles n'étaient pas toujours très espacées sauf dans la place où se trouvait la fontaine. Il n'y avait qu'une route suffisament larges pour que deux voitures puissent se croiser en même temps. Elle la longea et finit par longer une clotûre. Elle frissonna à nouveau. La pluie avait cessé mais le vent frais continuait de souffler. Elle serra ses bras contre elle pour se réchauffer.
Éléonore vit alors un cheval blanc dans l’enclos. Elle s’appuya à la barrière pour l’observer. Il broutait et l’ignorait complètement. Étrangement, ca ne la dérangait pas. Elle se contentait de le regarder mener sa vie tranquillement. Elle finit par éternuer, ce qui attira l’attention de l’équidé. Il la fixa quelques secondes puis reprit son activité, c’est à dire brouter.
- Tu es nouvelle ici ?
Éléonore se retourna et découvrit une jeune femme d’une vingtaine d’années. Elle avait des cheveux blonds, des yeux marrons rieurs et un visage avec des joues légèrement creuses avec de petites fosettes. Elle portait un T-shirt au gris passé, un jean bleu lui aussi usé et pour terminer le tout, elle avait de grosses bottes vertes en plastique. L’adolescente cligna des yeux, perdue et éternua une nouvelle fois.
- Tu es tombée malade ? Question idiote! Pourquoi est-ce que je n’ai pas encore remarquée tes cheveux mouillés ? Excuse-moi, viens je vais te donner de quoi te sécher.
La jeune femme lui tendit la main. Elle ne réagit pas.
- Je m’appelle Marie.
- Éléonore.
- Très beau prénom.
Marie remit sa main dans la poche de son jean et lui donna un mouchoir.
- Tiens.
- Merci.
Elle se moucha bruyamment. La jeune femme lui fit signe et siffla en s’engageant sur une petit sentier juste à côté de l’enclos du cheval. Elle la suivit. Au bout de l’allée, elle vit une maison assez grande. Le rez-de-chaussée était en pierre et la porte d’entrée en bois massif avec deux fenêtres sur les côtés. À gauche, un peu en arrière par rapport au bâtiment principal une pancarte affichait Étable sur la porte. Le deuxième étage avait lui des murs en bois avec un toit en ardoise. Une cheminée dépassait de celui-ci. Marie lui ouvrit la porte.
- Installe-toi, je vais te chercher une couverture.
Elle revint deux minutes plus tard avec un plaid qu'elle drapa sur les épaules d'Éléonore qui venait de s'asseoir sur une chaise de la cuisine.
- Merci.
- Tu veux un chocolat chaud ?
Elle hocha la tête. Marie sourit et ouvrit un tiroir dont elle sortit tout le nécessaire. Elle la regarda faire. Cette femme dégageait une assurance et une grande confiance en soi qui la détendait.
- Tiens.
Éléonore entoura la tasse de ses mains gelées pour les réchaufer. Elle but le liquide doucement. Quand elle se sentit suffisament revigorée, elle dit :
- Je ne vous ai pas encore dit merci pour votre aide.
- Mais je t’en prie. Tu n’avais pas l’air perdue, enfin pas tout à fait. Juste en besoin de changer d’air. Je me trompe ?
- Non.
- D’où viens-tu ? Je ne t’ai jamais vu auparavant, lui demanda Marie. Il y a peut-être un touriste tous les... ans. Mais une adolescente seule...
- Je... suis une nièce, ou plutôt une petite nièce d’Ophélie.
- Ophélie ? répéta la jeune feme. L’Ophélie qui vit dans ce village ?
- Euh... oui. Pourquoi ? Ça vous surprend qu’elle habite encore ici ? s’étonna Éléonore.
- Non, répondit-elle en souriant. C’est juste étonnant qu’elle recoive quelqu’un. Ecore plus une adolescente.
- Mes parents voulaient que je me reprenne. C’est pour ça. Elle a accepté. Je ne sais pas pourquoi... Elle est tellement distante. Mais elle, elle me laisse me débrouiller, pas comme mes parents qui contrôlent tout...
L’adolescente se mordit la langue.
Qu’est-ce qui me prend de raconter ma vie à une personne que je ne connais pas ?
Elle jeta un regard à Marie. Celle-ci la regardait attentivement, sans jugement.
- Tu sais, l’adolescence est un passage difficile.
- Qu’est-ce que vous en savez ? demanda-t-elle d’un ton brusque.
La jeune femme sembla réfléchir à comment répondre.
- Quelle âge as-tu ?
- Quatorze ans.
- Hhm. Je t'en aurais donné seize. Te sens-tu... décalée par rapport aux autres adolescents de ton âge ? Plus mature ? Solitaire ?
Éléonore ouvrit la bouche, surprise.
Comment a-t-elle deviné ?
Marie la regardait avec bienveillance. Elle avait posé ses bras sur la table et semblait attendre qu’elle parle, qu’elle raconte, explique ce qui se passait.
Éléonore sentit toutes les barrières qu’elle s’était érigées s’abaisser une à une. Face à quelqu’un d’attentif, compréhensif, elle ne pouvait pas se taire. Elle avait besoin de parler, de laisser couler tous ses mots, ses paroles qu’elle avait rejetés pendant toutes ses années au plus profond d’elle-même. Le début fut dur, les phrases étaient hachées, incompréhensibles. Seuls quelques mots parvenaient à passer la barrière de ses lèvres. Puis, petit à petit, tout se fluidifia. Elle parvint à raconter la sévérité de ses parents qui voulaient que leurs enfants réussissent selon leurs critères, sa solitude à l’école quand elle voyait les autres s’entendre à merveille, sa relation avec son frère. La seule chose qu’elle ne mentionna pas fut ses rêves.
Marie l’écouta sans l’interrompre et elle lui en était reconnaissante intérieurement. Quand elle termina son récit, elle pleurait à chaudes larmes. Elle sentit deux bras la bercer et se laissa faire. Au bout de quelques minutes, elle se reprit.
- Excusez-moi…
- Ce n’est rien. Il ne faut pas ravaler. Laisse couler, c’est important. Ton corps, tout comme ton mental en a besoin, lui dit Marie.
Elle regarda sa montre et soupira :
- Il est déjà 19h passé. Ecoute, je te ramène chez Ophélie et si jamais tu as besoin de revenir me voir demain, je suis là sans problème.
- Je ne veux pas vous déranger... lui dit-elle.
- Tu ne me déranges pas. Sincèrement. Tu en as besoin alors n’hésite pas.
Éléonore haussa les épaules en reniflant. La jeune femme la raccompagna chez sa grande-tante qui heureusement n’était pas encore revenue. Elle sortit un petit peu de soupe du frigo et la réchauffa.
- Tu veux que je reste encore un peu avec toi ?
Elle fit non de la tête.
- Comme tu veux. Bonne soirée et bonne nuit.
Marie s’en alla. Elle pesta alors.
J’ai oublié de lui dire de garder tout ça pour elle !
Elle n’y pouvait rien, elle se mordit les lèvres et espéra qu’elle ne dirait rien à Ophélie. Une fois la soupe chaude, elle la mangea rapidement, fit la vaisselle pour ne pas être réprimandée et monta dans sa chambre.
Éléonore se changea et s’enfouit sous la couette.
C’est la première fois que quelqu’un m’écoute…
Sur cette pensée, le sommeil l’emporta loin.
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