Chapitre VII
Éléonore se réveilla lentement. Ce rêve n’avait pas été très excitant : il n’y avait pas eu de chasse mais il y avait eu une cohésion dans cette famille de lions qu'elle n'avait jamais vécue. Elle se sentait calme, encore transportée. Elle s’étira lentement, comme un chat et se leva. Elle se remémora alors ce qu’il s’était passé la veille. La tension réapparut en elle.
Bon, autant aller la voir pour le lui dire. Je ne suis pas obligée de rester.
Elle s’habilla puis descendit l'escalier en baillant. La fenêtre près de la porte était ouverte, un peu d'air entrait dans la grande pièce. Éléonore s'en approcha et respira à plein poumons le vent frais. Elle commençait à prendre l'habitude de vivre dans ce chalet et appréciait de plus en plus le calme ambiant et la nature qui l'entourait.
En se retournant, elle vit qu’Ophélie était dans le salon et regardait fixement le gribouillis qu’elle avait remarqué la veille. Sa grande-tante semblait absorbé dans sa contemplation, plongée dans une bulle.Éléonore fronça les sourcils avant de prendre une tartine dans la cuisine et de mordre dedans. Ophélie parut alors seulement la voir.
- Tu es là depuis longtemps ?
Éléonore répondit :
- Même pas deux minutes.
La discussion se clôt sur cette phrase.
- Je peux… visiter le village ? finit-elle par demander timidement.
- D’accord mais s’ils te demandent d’où tu viens, dis-leur que tes parents sont aussi ici.
- Euh… d’accord.
Éléonore sentit que si elle lui demandait pourquoi, Ophélie risquait de se mettre en colère et se montrer encore plus distante qu’elle ne l’était déjà. Elle ravala sa question et sortit. Le temps était plus clément que la veille et étonnemment, le rhume qu'elle avait attrapé était déjà passé. Elle se surprit à accélérer le pas, comme si elle était pressée d’arriver. Il n'y avait personne dans les rues.
À croire que personne ne vit ici...
En approchant de la maison de Marie, elle entendit de la musique mais elle était trop loin pour que se soit distinct. Il y eut un court silence puis une nouvelle chanson débuta. Elle fut aussitôt transportée par le son de la flûte. Le thème fut ensuite repris par les violoncelles. Un sourire apparut sur son visage. Elle s’arrêta devant la maison, subjuguée. Pendant tout le temps de la chanson, elle resta sur place. Seule sa tête bougeait au rythme des mélodies. Marie la surprit ainsi en ouvrant la porte.
- Oh ! Une nouvelle fan… Viens, entre !
Elle obéit et la musique se tut au moment où elle pénétrait dans la maison.
Comment les compositeurs parviennent-ils à créer de telles chansons ?
La jeune femme la coupa de son ébahissement:
- Comment vas-tu depuis hier?
- Euh... Je ne sais pas vraiment... Mais je sens que je suis plus détendue, plus calme... moins stressée.
Marie lui sourit.
- Un peu de gâteau?
Elle acquiesça.
- Qu’est-ce que c’était comme chanson ? demanda-t-elle en s'asseyant à une chaise.
- Impossible de Two Steps From Hell. C’est beau, non ?
- Oui.
- Qu’est-ce que te font écouter tes parents ?
- Ils n’ont jamais pris le temps de nous faire connaître des groupes qu’ils aiment… Un petit peu de rap, de la pop… Pas grand chose d’autres.
Avant qu'Éléonore ne puisse ajouter une phrase, elle entendit un jappement dans son dos. Un chien déboula dans la cuisine et se jeta sur Marie.
- Arka!
Elle bougeait dans tous les sens, réclamant des caresses. Sa queue frétillait. Éléonore sentit ses muscles se tendrent imperceptiblement. La chienne la regarda alors et émit un bref aboiement avant de se taire. Elles s'observèrent un instant sans bouger. Après quoi, elle s'allongea aux pieds de la jeune femme.
- Arka, qu'est-ce qui se passe? Excuse-moi, d'habitude elle est accueillante avec les gens qu'elle ne connait pas...
- C'est pas grave.
- Tu es sûre?
- Oui. Ne t'en fais pas.
Il y eut un silence.
- Tu veux m’aider dans l’étable ?
Elle acquiesça. Elles changèrent de pièce. Elle dut nourrir les chèvres, les poules, les deux vaches, les moutons. Aucun des animaux ne réagit bizzarement et elle se détendit. Après quoi, Marie lui montra comment brosser son cheval surnommé Beethoven. Cette activité la détendit. Elle ne vit pas la matinée passer, ainsi qu’une partie de l’après-midi. Ce n'est qu'une fois qu'elle eut mis un peu de foin dans la mangeoire. Ell s’étira.
Pfiou… c’est fatigant, surtout quand on n’a pas l’habitude.
- Miaou !
L’adolescente sursauta et se retourna. Un chat siamois était assis sur la barrière de l’enclos, au soleil. Il la regardait droit dans les yeux.
J’ai cru qu’il m’avait appelé. Ou il a miaulé pour attirer mon attention.
Elle tendit sa main pour le caresser. Le chat la renifla, méfiant puis frotta son museau contre. L’adolescente sourit. Elle fit glisser sa paume sur le pelage soyeux, il se mit à ronronner. Il la fixa, elle plongea son regard dans le sien. Il lui sembla qu’ils communiquaient entre eux. Elle sourit. Le chat miaula doucement, puis sauta de la barrière. Elle le laissa partir.
- C’est étonnant qu’il se soit laissé aussi rapidement et facilement, lui dit Marie. D’habitude, il ne veut pas qu’on l’approche. Même avec moi il ne se laisse pas caresser comme ça. C'est lui qui décide quand il veut des caresses. Étonnant…
- Ah. Il faut que je rentre. Je crois que je suis restée trop longtemps ici.
La jeune femme acquiesça.
- J’aimerais juste te montrer un exercice. Encore cinq minutes, ça te va ?
- C’est important ? la questiona-t-elle.
- Disons que oui.
Elles rentrèrent dans la maison et s’installèrent à table.
- C’est un exercice qui permet de se concentrer sur le moment présent. Détends-toi, d’accord ? C’est l’exercice 5-4-3-2-1. Il y a trois étapes : regarder, écouter, ressentir. D’abord tu regardes cinq choses, tu écoutes cinq choses et tu ressens cinq choses. Quand je dis ressentir, ça peut être en sensation physique ou dans les émotions. Ensuite tu refais la même chose mais plus cinq fois mais quatre. Et ainsi de suite, jusqu’à un. Tu comprends ?
- Euh.. je crois.
- On va le faire ensemble, tu comprendras.
Elles les firent et Éléonore se sentit plus reposée quand elle le termina.
- Essaye de le faire au moins une fois par jour, d’accord ? Ca te va ?
Elle fit oui de la tête et courut jusqu’au chalet d’Ophélie. Sa grande-tante arrachait les mauvaises herbes, calme et absorbée.
À croire qu’elle n’a pas remarqué mon absence…
Elle la regarda quelques minutes puis finit par rentrer. Elle prit une longue douche pour détendre ses muscles. Elle prit son temps, savourant l’eau chaude sur sa peau.
Si mes parents le savaient…
Elle sortit, se changea puis reprit ses dessins dans sa chambre. Elle les continua, les améliora comme elle put. Elle recourba le dos, essaya de rajouter des muscles, des griffes puis les mit en couleur. Elle contempla le résultat final.
Ils sont mieux maintenant. Mon coup de crayon semble plus sûr.
Elle les colla dans son cahier puis ajouta des annotations. Elle fut tellement absorbée par sa tâche qu’elle n’entendit pas Ophélie frapper à la porte.
- Éléonore !
Elle sursauta et faillit tracer un énorme trait à travers tout son cahier.
- Préviens s’il te plait ! s'écria-t-elle.
- Tu ne m’as pas entendu ?
- Non.
- Bon. On mange, lui dit sa grande-tante.
- J’arrive tout de suite.
Elle rangea ses dessins puis rejoignit Ophélie dans la cuisine. Au menu, ratatouille faite maison avec patate. Elles mangèrent en silence mais elle remarqua que sa grande-tante l’observait à la dérobée. Elle finit par poser ses couverts pour lui demander :
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien. Tu veux faire une randonnée demain ? J’ai regardé les prévisions météo. Ce n’est pas très fiable mais bon… Je pense que le temps s’éclaircira un peu avant. Après, dans quelques jours, ça risque d’être plus compliqué de prévoir quelque chose.
- Je veux bien faire une randonnée. Il faut un début à tout.
La dernière phrase fit sourire Ophélie.
- Bien. Alors on part demain matin assez tôt pour avoir suffisament de temps. Tu veux un sandwich avec quoi à l’intérieur ?
- Peu importe. Je mange de tout, et je n’ai pas d’allergies, donc…
- Bon alors tu me laisses décider et tu n’auras pas intérêt de te plaindre demain. Compris ?
- Parfaitement. Je finirai mon sandwich jusqu’à la dernière miette.
- On verra bien…
Éléonore hocha la tête et monta dans sa chambre. Elle se brossa les dents mais avant de s’endormir, elle alluma son téléphone pour la première fois depuis son arrivée ici. Elle ouvrit Deezer et remit la musique qu’elle avait entendu chez Marie. Elle s’endormit sous cette chanson.
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