Chapitre I
Éléonore se réveilla en sursaut dans son lit. Son cœur battait lentement.
Que m'arrive-t-il? Il m'arrivait d'avoir de drôles de sensations, d'accord. Des rêves aussi... Mais jamais, au grand jamais, je n'avais encore vécu ca. Jamais encore mes rêves n’avaient été si réels...
Elle sentait encore la famine la tenailler, le froid et le vent glacial, le camouflage, l'adrénaline de la poursuite.
Que m'arrive-t-il? Dois-je raconter mon rêve à mes parents? Sûrement pas, ils ne me comprendraient pas.
Éléonore s'obligea à respirer profondément. Une question surgit alors :
Peut-on sortir de son corps et se transformer pendant qu’on dort, tous ça dans un endroit parfaitement inconnu?
Mal à l’aise, l'adolescente s'allongea dans son lit et regarda l'heure. 06h31. Elle devrait se lever dans à peu près un quart d'heure. Elle fixa le mur et essaya d'oublier son rêve. Mais certaines images et sensations l'imprégnaient toujours, malgré tous ses efforts pour détourner son attention. Elle ressentit l'agacement monter en elle.
Le cerveau a la fâcheuse manie de faire ce qu'il ne doit pas faire, et de ne pas faire ce qu'il devrait faire.
Son réveil sonna brusquement. Le trille suraigu lui perça les tympans. Éléonore se boucha les oreilles. Le son s'estompa et elle l'éteignit d'un coup sec de la main.
Je ne comprends plus rien... Certes, se faire réveiller par une sonnerie est toujours désagréable mais là... ce n'est plus un réveil mais un objet de torture.
Elle ouvrit les yeux et respira un grand coup. L’adolescente se leva, s’habilla et descendit dans la cuisine encore vide prendre son petit déjeuner. Un léger bruit derrière la porte de son frère lui apprit qu’il était déjà debout. Étrangement, elle n’avait pas faim. Comme si le fait d'avoir mangé dans son rêve l’avait réellement rassasiée. Il lui restait un arrière goût bizzare et la dégoutait intérieurement.
Sa mère entra à son tour dans la pièce et appuya sur un bouton de la machine à café. Sa fille sursauta légèrement.
- Mange Éléonore.
Elle détestait quand sa mère parlait sur ce ton, elle avait l'impression d'être un soldat face à un haut gradé.
- Je n’ai pas faim.
- Tu me réponds? répliqua-t-elle durement. Tu dois manger, un point c'est tout.
Sa mère était une dame grande, mince. Elle se tenait toujours droite. Ses cheveux blonds formaient un chignon serré qui l’intimidait toujours. Ses yeux bruns ressortaient grâce au maquillage noir d'encre qui cernaient ses paupières. Son regard n'avait jamais été chaleureux. L’adolescente soupira mais obéit. Elle mâchonna mollement un bout de pain, se força à le finir et s'esquiva rapidement.
Après s’être lavé les dents, Éléonore et son frère se rendirent au collège.
Malgré qu’ils soient jumeaux, ils ne se ressemblaient pas. Éléonore était de taille moyenne, fine et mince. Ses longs cheveux noirs encadraient son visage, faisant ressortir ses yeux bleu et brun. Son frère lui avait déjà fait remarqué que ses yeux verrons lui donnait un air sauvage. Peut-être était-ce pour cela qu’elle n’avait pas d’amis. Ca ne la dérangeait pas pour autant, étant de nature plus solitaire. Elle aimait être seule et s’occuper comme elle l'entendait. Elle passait beaucoup de temps à lire dans un coin de la cour. Son frère, Martin, était tout son contraire. Il était plus grand qu’elle d’au-moins une tête. Il avait les cheveux courts blonds et un visage souriant. Il avait les yeux verts. Il était populaire et détestait être ignoré.
Souvent, quand les professeurs découvraient qu’ils étaient jumeaux, ils avaient de drôles de réactions. La plupart les regardait pour remarquer les ressemblances. L'un d'eux leur avait même demandé un jour si ce n'était pas une erreur. Cette remarque avait crée une légende dans leur classe. Bon nombre de camarades disaient qu’Éléonore n’était qu’une soeur adoptive ou alors une cousine éloignée dont les parents avaient voulu se débarasser, ce qui l'aurait arrangée. Les deux jumeaux s’étaient eux aussi déjà questionné mais leurs parents avait certifié qu’ils étaient bien frères et soeurs.
Perdue dans ses pensées, l'adolescente ne remarqua tout de suite qu'ils étaient arrivés. Martin fut accueilli par ses amis qui lui demandèrent ce qu’il avait fait pendant le week-end.
Comme si ils ne le savaient pas. Il n’a que fait publier des photos sur le groupe WhatsApp et sur Insta...
Éléonore alla se ranger à l’arrière du rang. Elle vit alors un garçon qu’elle n’avait encore jamais vu. De sa taille, les épaules carrées, un visage avenant aux cheveux roux. Il avait de beaux yeux marrons clairs. Elle fronça les sourcils, comme si quelque chose n'allait pas. Mais elle ne savait pas quoi...
La sonnerie retentit mais elle l'entendit à peine sous le bruit des conversations. Le professeur de mathématiques arriva. Ils montèrent en classe. Une fois arrivé, il leur présenta le nouveau camarade.
- Chers élèves, je vous présente Florian. Il vient d’arriver et je souhaiterais que vous l’accueilliez comme il se doit.
- Oui, monsieur ! répondirent les élèves en choeur.
- Alors... Où est-ce que je vais te mettre? Florian, va t’installer à côté d’Éléonore, au fond de la classe, lui indiqua le professeur.
L’adolescente s’empêcha de grimacer.
Zut, la seule place libre... Il fallait que ça tombe sur moi. J'ai rien demandée! Je veux être seule, je suis très bien.
Le garçon obéit. Il sortit ses affaires en silence et le cours commenca.
Ca fait un mois qu’on parle du théorème de Pythagore... Il n’y a pas autre chose à faire ?
Elle finit les exercices donnés au tableau en quelques minutes et sortit un livre. Seulement, elle était encore trop occupée à se ressasser le rêve qu’elle avait eu cette nuit. Trop de questions sans réponses. Finalement, elle prit une feuille de papier et écrivit en prenant soin de faire en sorte que ledit Florian ne puisse rien lire.
- Ca fait combien de temps que vous êtes sur ce chapitre ? lui demanda alors son nouveau camarade.
Surprise, elle fronça ses sourcils.
- À peu près un mois.
- Eh bien... Dans mon ancien collège, on l'a déjà terminé.
Il y eut un silence. L’adolescent reprit la parole :
- On a quel cours après ?
- Euh... on a anglais.
- Éléonore ! On ne bavarde pas en cours ! la reprit le professeur. À moins que vous ne vouliez un mot dans votre carnet... Me suis-je fait comprendre ?
- Oui monsieur, répondit-elle en serrant les poings sous sa table.
- Monsieur, c’est de ma faute, avoua Florian. Je lui ai posé une question sur le fonctionnement du collège, comme je suis nouveau.
Le professeur soupira :
- Vous feriez mieux de ne pas vous faire remarquer lors de votre premier jour de cours.
- Oui, cela ne se reproduira plus.
Éléonore plissa les yeux, étonnée.
C'est le premier à prendre ma défense.
La sonnerie retentit alors. De nouveau, l’adolescente eut l’impression qu’on avait monté le son de la sonnerie. Elle grimaça. Toutefois, ce fut le vacarme que produisirent les chaises râclant le sol et les bavardages qui l'assomèrent.
- Ca va ?
Éléonore ne lui répondit pas. Elle se leva et sortit du cours.
- Je suis désolé pour tout à l’heure, ajouta Florian.
L’adolescente s’arrêta et se retourna.
- Pourquoi as-tu menti au prof ?
- Si je lui avais dit que je voulais savoir quel cours on avait après, il aurait cru que je trouvais son cours ennuyant. Il m’aurait prit en grippe, expliqua le garçon.
- Tu ne trouves pas ses cours ennuyants ?
- Si.
Éléonore sourit.
Décidément, il est étonnant.
Soudain, sa pire ennemie, Laura, vint vers eux.
- Florian, c’est ca ?
- Oui, confirma-t-il.
- Viens, je vais te montrer où se trouve la salle d’anglais.
- Euh... d’accord.
L’adolescente haussa les épaules. Toutefois, elle ressentit une colère monter en elle.
Le restant de la journée, Éléonore fut seule, comme d’habitude. Laura ne lâcha pas une seule seconde Florian. Elle aurait aimé se dire qu’elle s’en fichait. Or, ce n’était pas le cas et cela l’étonnait.
C’est l’une des premières personnes qui me parle sans commenter mes yeux ou je ne sais quoi d’autre. Non, ce n’est pas ca. Je me sens à l'aise avec lui. Qu’est-ce qui m’arrive ? Après ce rêve étrange, lui. ... Pfff... Laissons-le de côté pour le moment. Je vais faire des recherches ce soir à propos de l'interprétation des songes.
Ainsi le soir même, elle ouvrit son ordinateur et alla sur Internet. Elle posa la question qui la taraudait depuis le début de la journée. Pourtant elle n’obtint pas des réponses concrètes. La plupart des sites parlaient de paralysie du sommeil, voire de mort imminente. Ce qui n’était absolument pas son cas. Elle soupira de déception.
- Éléonore ! On mange, l’appella sa mère.
L’adolescente referma son PC et descendit dans la salle à manger. Elle n’avait pas spécialement faim. Au repas, il y avait salade verte et boulettes de viande. L’ambiance était comme tous les jours, c’est à dire silencieuse et pesante. Chacun mangeait dans son coin. Finalement, son père l’interpella :
- Alors, ma fille... Qu’as-tu fais aujourd’hui ?
- Oh, rien de spécial.
- Ce qu’elle oublie de vous dire, continua Martin, c’est qu’il y a un nouveau dans la classe et notre professeur principal l’a installé à côté d’elle. Je suis sûre qu’elle en pince pour lui. Pendant toute la journée, elle était pensive.
Elle faillit s’étouffer avec sa salade.
Mais... C'est faux. C'est pas à cause de lui, c'est mon rêve.. Je ne vais pas leur raconter mon rêve ! Ils vont penser que je l’ai inventé et que je fais ca pour changer de sujet.
Sa mère sourit :
- Tu as discuté avec lui ?
- Maman ! Je ne suis pas amoureuse de lui !
- Je viens de te poser une question, la rabroua sa mère.
Éléonore inspira profondément.
Certes, il m’a troublé, mais de là dire que je suis amoureuse...
- Oui, j’ai discuté avec lui, avoua-t-elle. Notre professeur principal l’a installé à côté de moi, comme il y avait de la place.
- Tu n’as pas bavardé en cours tout de même ? s’enquit son père, les sourcils baissés.
L’adolescente se crispa. Quand son père prenait cette tête-là, il valait mieux faire attention à se qu’on disait.
Je déteste cette ambiance, on dirait à chaque fois un interrogatoire.
- Il... m’a posé deux questions. J’ai répondu à la première.
- ÉLÉONORE ! Je t'ai déjà dit qu'on ne bavardait pas en cours! Ce n’est pas comme ca qu’on t’a éduqué ! lui hurla son père.
Elle voulut baisser la tête. Mais une colère qu’elle n’avait encore jamais ressenti, du moins aussi forte, l’en empêcha.
- Petite effrontée ! continua son père. Monte dans ta chambre et fais tes devoirs ! Je veux qu’ils soient faits et impeccables dans vingts minutes.
- Oui.
- Bien.
Au moment où elle sortait de la cuisine, elle croisa le regard de son frère. Elle y lut de la satisfaction. Elle eut l’impression de recevoir un coup de poings en plein ventre. Ses relations avec son frère n’avait jamais été stables, mais jamais, au grand jamais, elle n’aurait imaginé que son frère soit capable de tels coups bas. Éléonore se réfugia dans sa chambre. Après avoir pleuré quelques minutes, elle fit son devoir d’anglais et d'autres exercices. Elle les termina rapidement et ouvrit un livre. Quand ses parents vinrent la voir, elle était assise sur son lit.
- Ton agenda ! ordonna son père.
L’adolescente ouvrit son sac et le lui tendit. Il lut les devoirs marqués pour les jours suivants.
- Au moins, tu notes tes devoirs.
Je me doutais qu’il allait regarder sur la plateforme du collège avant de venir.
- Où est ta rédaction d’anglais ? voulut savoir sa mère.
- Dans mon cahier.
Elle le lui donna.
- Tu fais des fautes que tu ne devrais plus faire !
Sa mère les lui énuméra.
- J’espère que tu as compris la leçon, commenta son père.
L’adolescente s’obligea à répondre :
- Oui.
- Bien, bonne nuit et à demain !
Éléonore s’enfouit sous sa couette.
Comment est-ce que je vais faire pour tenir encore quatre ans avec eux ?! Chaque jour, c’est pareil. C’est pas une vie !
Des larmes silencieuses ruisselèrent sur ses joues. Elle les essuya d’un geste rageur. Elle se recroquevilla et ressentit soudainement l’envie de voir le ciel étoilé. L’adolescente ouvrit ses volets et la fenêtre. Les lampadaires étaient déjà allumés, l'éblouissant et cachant le ciel nocturne. Dépitée, elle referma sa fenêtre et se recoucha.
Juste avant de le sommeil ne la gagne, elle sentit un frisson la parcourir. Elle s'endormit et un paysage se dessina alors devant ses yeux clos.
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