Chapitre I
Le vieux manoir
Le manoir se dressait, imposant, entouré de grands arbres dépouillés de leurs feuilles, sa façade sombre en pierre se reflétant sur la surface lisse du lac qui le bordait. Un oiseau au plumage noir le survola, scrutant les jardins avec ses yeux sombres à la recherche de visiteurs incongrus. Les yeux de Varda, eux, se levèrent vers le ciel blanchâtre. Chacune de ses expirations formait un petit nuage devant son visage. Elle frotta ses mains l'une contre l'autre, enfouissant son nez rougi sous son écharpe en laine.
Elle faisait face à un immense portail de fer forgé, orné de ronces épineuses sculptées avec soin entre ses barreaux. Une œuvre titanesque. Elle attendit quelques minutes de plus avant que celui-ci ne s'ouvre dans un grincement strident. Varda avala sa salive, hésita quelques secondes. Elle aurait encore pu faire demi-tour. Après tout, ce n'était pas à elle d'accomplir cette tâche. Mais elle inspira profondément et ramassa finalement sa valise en cuir marron, puis passa le portail, accédant à une longue allée bordée d'arbres et de buissons mal entretenus. Varda marcha lentement, tentant de reprendre le contrôle de ses jambes presque complètement engourdies par le froid, ses collants fins offrant peu de protection. Elle se souvint avec regret de ne pas avoir été mieux préparée en descendant du train, dans cette petite gare désolée où personne, sauf elle, ne semblait vouloir faire escale.
— Bien le bonjour, mademoiselle, l'accueillit un vieil homme vêtu d'un manteau noir en queue de pie, se tenant droit avec une posture impeccable, scrutant Varda derrière ses petites lunettes rondes.
— Bonjour, articula la jeune femme avec une certaine difficulté.
— Je suis surpris de vous voir seule. Votre organisation peine-t-elle autant à recruter ?
Varda hocha légèrement la tête, esquissant un sourire crispé face à cette pique soudaine. Elle réalisa qu'il ne semblait pas prêt à annuler sa demande malgré son apparence désemparée.
— Suivez-moi, je vous prie, lui indiqua-t-il avant de se détourner, sans vérifier si elle le suivait.
Varda resserra sa prise sur la poignée de sa valise. Peut-être avait-il été froissé par sa réponse hésitante ? Elle se mordit l'intérieur de la joue, jetant un regard à l'ange de pierre drapé dans une large capuche, assis les jambes croisées sur un rocher à moitié immergé dans l'eau, où flottaient quelques feuilles mortes. La jeune femme rattrapa le vieil homme le long d'un chemin en terre qui déboucha sur un pont perdu dans un brouillard opaque. Varda frissonna, ses mains devinrent moites et ses jambes tremblantes.
L'homme s'engouffra dans le voile nuageux, disparaissant rapidement du champ de vision de la jeune femme. Elle tenta de se rassurer, en vain. La blonde ferma les yeux et inspira profondément, passa une main sur son front humide et pénétra à son tour dans le nuage de brume. De fines gouttes de pluie s'écrasèrent sur son visage.
— Varda, lui susurra une voix.
Ses talons claquèrent sur les pavés alors que son cœur fit un bond dans sa poitrine. Des crapauds sculptés dans la pierre brandissaient chacun une lanterne pour éclairer le pont. Elle décida de se concentrer sur eux tout en accélérant le pas.
— Varda, écoute-moi... murmura la voix à nouveau.
C'était impossible.
— Varda ! Pourquoi m'ignores-tu ?! La blonde accéléra, pressant ses paumes sur ses oreilles pour étouffer les sons, manquant de trébucher sur le sol pavé.
— Varda ! Regarde-moi !
— Elle est morte, elle est morte, elle est morte... se répéta-t-elle.
Des gémissements, des pleurs, des cris s'élevèrent autour d'elle. Varda avait du mal à respirer, son cœur battait à tout rompre. Des mains glacées se posèrent sur son corps, tirant sur ses vêtements, tentant de l'arrêter. Elle hurla, pleura, piégée dans le brouillard. Les plaintes se firent de plus en plus fortes alors qu'elle semblait avoir perdu la notion du temps.
Puis une éventualité la frappa. Elle devait faire demi-tour. La blonde se mit à rire, un mélange de tristesse et de résignation. Un visage apparut devant ses yeux, le visage d'une personne qu'elle avait laissée derrière elle pour ce travail qu'elle n'avait jamais voulu faire.
Aura-t-elle la chance de revoir cette personne un jour ?
C'est ça, elle devait rentrer chez elle, éplucher les petites annonces et trouver un nouveau travail. Puis, il y avait Halloween à préparer. Elle devait acheter les ingrédients nécessaires pour un bon repas et des bonbons pour les enfants. Des citrouilles... Des... Alors qu'elle s'apprêtait à faire demi-tour, une main empoigna son bras avec force et la tira violemment en avant. Ses genoux heurtèrent le sol. Quand elle eut repris ses esprits, elle était roulée en boule, ses bras serrés autour de sa poitrine.
— Vous n'êtes pas l'une d'entre eux, émit le vieil homme, le visage impassible.
*
Il pleuvait lorsqu'ils atteignirent le manoir à la façade couleur obsidienne. Celui-ci dominait un vaste jardin qui semblait avoir été laissé à l'abandon. Son sommet le plus haut tranchait la brume et tentait de toucher le ciel nuageux. C'était effrayant.
— Ne trouvez-vous pas cet endroit magnifique ? Sachez que de l'autre côté vous aurez une vue plus incroyable encore sur le lac.
Super, je pourrais toujours y sauter et me noyer si la situation venait à empirer.
Ils s'arrêtèrent dans une petite cour en forme de croissant de lune et Varda le foudroya du regard tout en reniflant bruyamment. Elle était débraillée, trempée, elle avait perdu sa valise et serait probablement traumatisée pour le reste de sa vie, alors la beauté des lieux, elle s'en fichait. Figée telle une statue devant l'édifice à la façade sombre, elle contempla le regard vide jusqu'où l'avait menée sa crédulité. Ah, qu'est-ce qu'elle ne donnerait pas pour prendre un bon bain chaud.
— L'Ordre a dû vous transmettre toutes les informations nécessaires, néanmoins vous devez savoir que de nombreuses disparitions sont dû à ce qui se trouve entre ces quatre murs, l'homme remonta ses lunettes sur son nez. Peut être serait il plus préférable d'attendre une Faucheuse ?
Varda plissa les yeux en espérant voir un semblant de vie à travers les fenêtres, mais les rideaux étaient tirés de l'intérieur.
— Mon rôle est d'inspecter le terrain avant tout et c'est ce que je compte faire, répondit la blonde dont le sourire n'était qu'une façade.
Le vieil homme hocha la tête silencieusement, avant de monter les marches qui menaient à l'entrée de la bâtisse. La porte en fer grinça dans un son strident et le cœur de Varda s'emballa.
— Après vous, mademoiselle, indiqua l'homme avec un geste de la main. J'espère que la chance sera avec vous.
Varda eut soudainement envie de vomir. Dans quel pétrin s'était-elle encore fourrée ? Si elle avait su, jamais elle n'aurait accepté. Jamais. Désormais, il n'y avait plus aucun retour en arrière possible et ça, la blonde ne le comprit que trop tard, lorsque la porte se referma avec fracas derrière elle.
Annotations
Versions