Chapitre 61 – Lundi 11 mai
Faux départ
Premier jour de déconfinement. On passe du hard au soft, du gang bang à la levrette sous assistance respiratoire. À quand l’érotisme soporifique ?
- Allez, Gabriel, lève-toi !
- Reste un peu auprès de moi.
- Je croyais que tu voulais partir tôt ?
- Rien qu’un peu. Juste pour nous.
Elle se rassoit à califourchon sur moi.
- Ne fais pas ces yeux tristes.
- Promis.
Je mens, elle m’embrasse comme le vent, ses mains sur mes joues. Nous ressortons une dernière fois de cette chambre, les joues roses. Cette journée peut commencer.
On réveille Éva tendrement, comme si c’était la première fois. On toque à la chambre de Robin. Nous déjeunons dans un silence radieux et la colline nous fait un petit clin d’œil amical. Les dernières valises sont lourdes, bien plus qu’à l’aller. Qu’a-t-elle mis dedans pour repartir le ventre plein ? Assis sur la marche de l’entrée, je troque mes espadrilles contre mes tennis et jette les petits cailloux coincés à l’intérieur. Je souris.
Ils montent à bord de la voiture, je coupe l’arrivée d’eau, mais pas l’électricité, notre hippopotame en aura besoin pour clarifier l’eau. La voiture avance lentement, les mêmes aiguilles de pin, le même crépitement délicieux. Je referme le cadenas de la chaîne autour des bras du portail et me retourne une dernière fois. À bientôt.
Il est neuf heures trente au bord du monde.
La route côtière n’est que goudron, on s’engage sans problème. Éva fait coucou à la mer, comme mes enfants l’ont fait si souvent quand nous remontions fin août. Je l’ai fait aussi, je le ferai encore. Puis c’est le silence de fin de vacances à part cette pluie qui commence à tomber.
Nous avons pris l’option de passer au plus court pour éviter qu’Éva ne fasse rebondir son petit déjeuner sur les genoux de son frère. C’est payant, il n’y a pas de gendarme au péage, juste quelques aoûtiens, comme nous. Je remonte vers Lyon à allure modérée, bloquant le régulateur à cent vingt kilomètres-heure. Robin s’est endormi son casque sur les oreilles, Éva ne va pas tarder à faire de même, suivie peut-être par Nora. Pour l’instant, elle tient le coup, son regard droit devant, parfois elle offre sa main chamanique à ma nuque endolorie. Les muscles se relâchent sous l’effet de la chaleur. Il y a bien quelques sonneries de téléphone qui viennent troubler le calme intérieur, alors très rapidement Nora passe en mode vibreur sans prendre la peine de répondre. Vers onze heures, elle reçoit un texto, cette fois il faut qu’elle appelle, nous sommes déjà à hauteur d’Aix-en-Provence.
Je m’arrête sur une aire de repos, Éva se dégourdit les jambes avec moi. Une petite pluie fine et pénétrante nous tient la main jusqu’aux pins parapluies. Quel que soit le climat, ils sont toujours de bons alliés. Elle regarde la cime des arbres, la toile est quand même percée. En plus, il fait froid et aucune fourmi sur l’écorce, autant rentrer. On fait la course, cette fois je gagne.
C’est reparti, avec Paris au téléphone qui nous accompagne jusqu’au péage de Salon-de-Provence. Ce n’est pas France Culture, mais ça parle autant. Une fois l’appel terminé, Autoroute FM prend le relais. Ils sont moins bavards, circulation fluide, mais soyez vigilants. On écoute des chanteurs morts et puis des vivants. Un sur deux. Non vraiment, l’ambiance est à la gaudriole ! La pluie redouble passé Montélimar, à tel point qu’il faut manger dans la voiture. Point positif, il est inutile de s’arrêter, nous passons Lyon un peu avant quatorze heures. Une heure après, nous quittons l’autoroute à Mâcon sous une pluie battante. Ce n’est pas un temps à laisser la maréchaussée dehors. Très bien.
Trente kilomètres plus loin, je stoppe la voiture face à un autre portail, plus haut que ce matin.
- Eh bien voilà ! Nous y sommes. Les vacances « à la vert », c’est comme les vacances à la mer, sauf que la mer c’est du vert.
- On a hâte, s’amuse Nora.
Deux minutes plus tard, j’ai pris mon premier bain. Des paquets d’océans tombent comme des flèches. Tout le monde se sauve en courant s’abriter en haut des marches sous cette jolie terrasse, typique du Sud bourguignon. J’attends que la houle se calme et sors les valises du coffre. Pour les chambres, c’est la même organisation qu’à l’aller. À ceci près qu’Éva prend ma chambre et que je récupère sa mère.
On se réapproprie les lieux que nous avions à peine effleurés il y a sept semaines. La maison a toutes les bonnes raisons d’être humide, elle éternue aussitôt la chaudière allumée. Le salon est grand, j’inviterais bien les voisins, histoire de danser. Il est bien trop vaste pour danser dans le cou de Nora. Elle rattrape déjà le temps perdu, assise à la table, je la laisse tranquille, je déteste les bancs en bois. Quelle idée autant d’inconfort quand il s’agit de manger! Je m’affale dans le fauteuil, Éva est allongée dans le canapé, l’iPad à la main. Robin a réinstallé son barnum sur un petit bureau d’enfant. Comme prévu, il n’y a pas de 4G dans sa chambre. Tout le monde serre les fesses !
À dix-neuf heures, je débouche délicatement une bouteille de Pouilly-Fuissé achetée sur la Côte. Lui aussi rentre chez lui. Il nous accompagne tranquillement en nous tenant la main jusqu’au dîner. Mieux vaut boire dans la cuisine qui est toujours la pièce la plus agréable pour deux vauriens. La plus érotique aussi, celle-ci l’est particulièrement. De l’inox, du bois, un large plan de travail, des couteaux qui brillent, de belles assiettes, et des idées plein les tiroirs. J’enterre mon spleen dans les cheveux noirs de Nora, elle me parle si bas que je n’entends que la musique de sa voix. Sûrement des formules magiques. Je m’endors si vite que je ne sais même pas si nous avons mangé. Je me souviens juste d’un dos aussi lisse que l’inox et de jambes plaquées sur le bas de mon dos.
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