Chapitre XIX

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On dit souvent que le départ est le plus dur, dire au revoir. Mais je vous assure que, quand on doit rentrer chez ma mère, c'est le retour le plus dur, revenir. Comme si rien d'autre n'existait ou n'avait jamais eu lieu. Le néant total.

***

Je suis dans le noir. Tout n'est qu'obscurité. Il n'y a pas âme qui vive ici. Mais quand je regarde mes mains, elles sont visible. C'est étrange, il devrait m'être impossible de voir quoi que ce soit, pas même mon corps. Mais autre chose vient me perturber.

Cours.

Une voix, venant de nulle part. Je ne sais pas pourquoi elle me dit une chose pareille, ou même pourquoi elle me parle. Je n'arrive même pas à savoir si elle est humaine, elle sonne bizarrement. Je ne saurais dire ce qui ne va pas dans cette voix, mais elle est malsaine. Elle a quelque chose de suppureux, dégoulinant, pourrit.

Cours.

Je sens une présence non loin. Dans mon dos. Un danger. Elle approche. Je n'ose pas me retourner, de peur de voir.

Cours.

Sans plus attendre, je m'élance avec acharnement. Je ne m'arrête pas, même si mes poumons et mes pieds nus sont en feu. Même si la peur me tétanise presque. Je ne dois pas m'arrêter. Jamais.

Cours.

Ça approche.

Cours.

Ça se rapproche.

Cours.

Ça me rattrape !

Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours.

Je fais du sur-place depuis le début !

Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours.

Ce que j'ai fait n'a servi à rien.

Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours. Cours.

À quoi bon continuer ? Il va m'avoir.

COURS !

Il est juste derrière moi. Il me tient.

MEURS !

***

Je me redresse dans le lit en hurlant, à m'en déchirer la gorge. Je me lève pour fuir, mais je suis dans le noir. Je ne vois rien. Je vais mourir ! Je dois sortir ! Mais je trébuche au sol et je sens une serre se planter dans mon épaule. Je cri, je pleure, je prie, je souffre.

- Numidia arrête !

Je me débat, même si toute résistance est inutile. Je ne m'avouerais pas vaincu sans combattre. La lumière s'allume et c'est Learth qui tient mon épaule pour m'empêcher de me cogner contre le mur qui était alors en face de moi. Nesta est à la porte, la bouche couverte de sa main. Je reste interdite de longues secondes. Étant à moitié sur le ventre, je me cale contre le mur pour m'asseoir et cache mon visage. J'ai honte.

- Je suis désolée.

- C'est rien.

Learth ne m'aide pas en disant ça, mais il essaie.

Lokian arrive sans finesse dans la chambre, avec seulement un boxer, paniqué. Il est essoufflé aussi. Il a couru.

- Qu'est-ce qui ce passe !?

- Rien, elle a fait un cauchemar.

- Ah non, y'a eu une tentative de meurtre vu les hurlements.

J'avale un sanglot avant qu'il ne sorte, Learth me regarde du coin de l'œil au même moment. Pourquoi faut-il toujours que ce que disent les autres soit si ''proche'' de mes rêves ? Voyant ma tête, Lokian change de ton et de visage.

- Pardon, c'était maladroit.

- Tu veux de l'eau peut être ?

J'accepte la proposition de Nesta et la remercie intérieurement d'avoir changé de sujet. Elle sort de la pièce. Lokian qui était resté dans l'entrée s'approche de moi. Il expire fort.

- Ça va ?

Je hoche la tête, mais je ne suis pas sincère. Learth continu de me fixer, sans rien dire. Ses yeux me fascinent autant qu'ils... m'effraient ? Mon cousin se met à ma hauteur.

- Je suppose qu'on peut rien faire. Mais si t'as besoin...

- Je ne viendrais pas toquer à ta porte. Parce que je ne veux pas voir des choses compromettantes.

J'ajoute un demi-sourire à ma presque-blague. Il sourit et caresse mon genoux. J'espère juste qu'il n'a pas mis cette main n'importe où ou qu'il les a lavé, la deuxième option étant beaucoup moins probable... la première ne l'est pas non plus d'ailleurs. Nesta revient avec une bouteille d'eau fraîche. Je la bois presque en entier. Je respire toujours trop fort et trop vite. Mon corps est trempé de sueur. Je déteste être dans cet état.

Après plusieurs minutes dans un silence gênant, j'ai dit à tout le monde de retourner se coucher. Moi, je suis retournée dans mon lit sans prendre de douche. J'ai trop mal pour ça, mais je ne sais pas où exactement. J'ai mal partout. À la tête. Au ventre. Aux jambes. Aux poumons. À mon âme. J'ai l'impression de mourir de l'intérieur. Pas seulement l'impression. Je ne peux retenir plus longtemps mon chagrin. Je pleure fort, mais le plus silencieusement possible. Je ne peux pas tenir. Il faut que je craque de temps à autre, sinon ma volonté mourra avant mon cerveau. J'étouffe mes sanglots dans mon coussin. Tant pis. Je le laverai demain.

La porte de la chambre s'ouvre, donc je me tais. Je ne veux être le fardeau de personne. Je ne veux pas non plus qu'on me prenne en pitié. La porte se referme, mais des bruits de pas approchent, me ramenant aux échos de mon cauchemar. J'en tremble de nouveau. Je ferme fort les yeux. Même si je suis sûre que c'est Lokian, j'ai peur. Il s'assoit au bord de mon lit, dos à moi qui suis face au mur.

- T'as encore rêvé que tu mourais.

C'est plus une affirmation qu'une question. La voix de Learth me convainc de sortir ma tête de sous mon drap. Je sais que mon visage est rempli de tristesse et de larmes. Mais là, tout de suite, je m'en moque. Il hausse un sourcil en voyant ma mine.

- Ça t'étonne autant que je sache ?

- Ce qui m'étonne c'est que tu sois le seul a avoir compris...

Je me redresse de sorte à m'asseoir aussi, à coté de lui, en tailleur.

- … et que ce soit toi, ici.

- Qui d'autre sinon ?

Il me dit ces mots comme si sa présence était évidente. Mais il reprend :

- C'est vrai : ton cousin est au lit avec Heinesy, Nesta avec son mec et les deux autres débilos sont tellement déchirés qu'ils font sûrement un coma à l'heure qu'il est.

Il arrive encore à me faire sourire, même actuellement. Pourquoi il y arrive si facilement ? Je ne me rends compte que maintenant qu'il est ici pour la deuxième fois contre zéro pour les autres. Même ma mère n'a jamais pris la peine de venir me voir, me parler, me rassurer après un rêve terrifiant. Learth, que je connais si peu, lui parmi tant d'autres, prend ce temps auquel je n'ai jamais eu droit. Il joue les durs, mais c'est un garçon tendre et sensible, tout en étant abrupt. Mais cela fait parti de son charme, je suppose.

- Pourquoi tu prends cette peine ?

Il me fixe, encore. Non, il me regarde. Il détourne les yeux puis les grossi en inspirant et expirant.

- Parce que je sais ce que ça fait de se retrouver seul au monde.

Il s'allonge sur le drap, tout en gardant ses distances, et passe ses bras derrière sa tête. Il ferme les yeux.

- Pas besoin d'avoir un cancer pour se sentir crever.

***

Tout le monde s'est réveillé aux environs de midi hier, sauf moi bien sûr, qui me suis tout de même levée tard à mon habitude : plus de dix heure. Nous avons fait le grand ménage puis nos valises. Nous sommes parti ce matin et voilà près d'une heure que nous voyageons en train. Nesta s'est endormie sur l'épaule de Ekin qui lui caresse les cheveux, des écouteurs dans les oreilles. Sur les deux sièges d'à coté, Mano et Hely jouent sur leur téléphone à un jeu de coopération, je n'ai compris que cela. Juste devant ces deux-là, il y a Heinesy qui lit un livre : « Enfants tueurs en séries », je ne comprends pas pourquoi elle lit cette atrocité à part pour faire des cauchemars et devenir paranoïaque. Lokian est resté à coté de moi, alors que je lui avais dit d'aller à coté de Heinesy, mais après ce qu'il s'est passé l'autre soir, il ne veut plus me laisser seule. Learth, lui, est reparti avec sa voiture. Il arrivera bien avant nous et nous ne nous reverrons qu'à la rentrée, soit dans moins de vingt-quatre heures.

Nous arriverons dans une heure trente, dans plus ou moins une heure trente. Alors que je regarde une énième fois l'heure en soufflant – j'appréhende de plus en plus mon retour chez ma mère –, Lokian passe son bras sur mes épaules en souriant. Il me parle doucement.

- Alors, c'était cool ?

Je le regarde, n'ayant pas compris sa question. Je reviens très vite sur Terre et comprends qu'il parle de mes vacances. C'est vrai que, sans lui, ce séjour aurait été voué à l'échec. Je lui rends son sourire, mais beaucoup plus grand et expressif. Je hoche la tête.

- Je ne sais pas ce que tu as promis à ma mère pour qu'elle le tolère, mais merci.

- Je lui ai filé que dalle à cette morue, je l'ai juste humiliée.

Je me redresse. Ma mère, humiliée ? Comment ? Je pensais que c'était impossible.

- Comment ça ''humilié'' ?

- Il sourit, tristement j'ai l'impression.

- Tu n'auras qu'à lui demander.

- Tu sais que je ne peux pas.

- Bien sûr que tu peux. C'est juste que... Mornefiote craint.

« Monrnefiote » ? C'est nouveau ça.

- Oh, je vois que tu te diversifies !

- Il faut bien, sinon on s'en lasserait.

Il a dû prendre un très gros risque en la provoquant. Et prendre des risque avec ma mère, c'est très dangereux, cette femme est d'une fourberie sans borne. Je me cale contre le bras de mon cousin et pose ma tête sur son épaule.

- Merci Lokian. Vraiment.

Je ne sais pas quoi dire de plus.

Je suis du genre à m'excuser mille fois, comme si une seule fois n'était pas suffisante. Mais pour ce qui est des mercis, une seule fois a toujours était satisfaisante. Après tout, ma famille ne m'a jamais remercié, ou même demandé pardon, pour des millions de fois de ma part. Lokian me serre fort contre lui, prend ma main et embrasse mon front.

- Y'a pas de quoi.

***

Nous sommes enfin à la gare. Nous prenons nos sacs et valises et descendons. Nesta passe son bras sous le miens en me souriant quand nous posons le pied sur le quai.

- Maintenant que tu as un téléphone, il faut que tu t'en serves. Alors quand tu rentres et après que tu ais affronté ta mère, tu m'envoies un message. Je veux être sûre que tu vas bien.

- Ne t'en fais pas, Lokian sera là. Je crois qu'elle a peur de lui. Elle n'osera pas me faire du mal s'il est là.

- Et sinon, vous rentrez comment ?

- Je ne sais pas.

J'attrape mon cousin – qui est juste devant moi avec Heinesy sous son bras – par l'épaule. Il se retourne.

- Comment on rentre ?

- T'inquiète. Je me suis arrangé avec ton père, c'est lui qui va venir. Au moins, on limite la cass...

Il s'arrête net. Heinesy qui était en train de partir sans lui le rattrape. Elle l'interroge des yeux et regarde devant elle. Elle se fige à son tour. J'entends des talons claquer de plus en plus fort. Lokian fait demi-tour, m'attrapant le bras au passage.

- Ok, on se casse.

- Quoi ?

Je ne comprends pas, jusqu'au moment où je l'entends.

« NUMIDIA ! »

En entendant ce hurlement, certains voyageurs s'attardent sur cette furie. Lokian ferme les yeux trop fort, inspire, expire.

Ma mère vient vers nous en bousculant mes amis, sans retenue bien sûr. Elle m'agrippe le bras, en plantant ses ongles dans ma chair pour changer et me tire. Elle me tourne de façon à lui faire face. Ses yeux, mon Dieu ces yeux. Je vais en baver. Sa main vole brutalement sur mon visage. Lokian l'attrape par le bras pour lui rendre son geste mais un homme l'en empêche. Mon père. Lokian le regarde, avec des yeux de tueur, mais mon père lui fait signe de s'arrêter. Ma mère prend ma valise d'une main et mon bras de l'autre. Elle regarde Nesta, choquée par le spectacle auquel elle vient d'assister, impuissante.

- Si je te vois encore avec ma fille, je te détruis.

Elle relève la tête et observe le reste du groupe.

- Je vous détruirais tous !

Elle parle comme une folle. Je suis partagée entre la terreur et l'humiliation. Elle doit se venger de Lokian, mais pourquoi mon père ne réagit pas ? Je pensais qu'il était de notre coté. Ma mère me tire avec véhémence. J'ai l'impression qu'elle va m'arracher le bras.

***

Nous passons la porte d'entrée. Ma mère jette ma valise à travers le couloir. Mon père entre après nous, juste derrière Lokian, et passe à toute vitesse pour aller se cacher dans la maison, dans une pièce sombre où il pourra boire pour noyer sa culpabilité de préférence. Mais Lokian le retient par le bras et serre si fort que le bras de mon géniteur vire immédiatement au violet.

- T'as assez bu pour aujourd'hui.

Sa voix est rauque, caverneuse, remplie de haine. Mon père fait non de la tête, les yeux rougis par l'infamie ou par l'alcool. Lokian le regarde de haut en bas, un regard méprisant.

- T'empeste à des kilomètres. Je sais de quoi je parle, ton frère avait la même odeur quand il me frappait.

Alors Lokian aussi se faisait frapper ? C'est peut être pour ça qu'il ne croit plus et qu'il est parti de chez lui. Ma mère se retourne, un air suffisant sur le visage, quand elle regarde mon cousin.

- Pauvre chou, papa te tapait quand tu étais petit !

Il se tourne vers elle et avance, menaçant.

- Fais attention, Mornefia. Fais très attention.

- Sinon quoi, maman va venir te défendre ?

Il entre dans une rage incontrôlable et se jette sur elle... mais mon père s'interpose. Lokian le frappe au visage.

- Barre-toi Royd !

- Arrête Lokian !

- Sale traître de merde ! Famille de merde !

Il frappe mon père, le bloquant au sol, sa victime est incapable de reprendre le dessus. Ma mère souffle, comme si la situation n'était en rien choquant. Elle prend une chaise. Elle est sur le point de l'éclater sur le dos de Lokian. Non !

J'essaie de prendre son arme de fortune. Je refuse qu'elle lui fasse du mal ! Mais elle n'est pas du même avis. Elle lâche la chaise que je repose. Mais quand je me relève, elle me gifle du revers de sa main, là où ses bagues ont du relief. L'os de ma pommette bat sous l'impact des pierres précieuses et du métal dur et froid. Sous cette violence, je m'effondre au sol, me tenant le visage. Pendant ce temps, elle reprend la chaise et parvient à son but.

La chaise ne se rompt pas sur le dos de Lokian, elle craque. Pour avoir brisée une de ces chaises contre un mur, je peux imaginer la douleur de mon cousin sous le poids et la solidité du bois épais. Il tombe sur le coté en criant. Il finit au sol, le corps arrondi. Ma mère élance un ricanement méprisant d'une syllabe et jette la chaise sur le coté.

- Je n'y crois pas. Mon mari est trop faible pour se défendre face à son neveu, cet incapable arrogant, et ma fille se retourne contre moi. Tu as raison Lokian, c'est une famille de merde.

Elle a le regard dans le vide, son visage prenant la forme du dédain. Maintenant elle nous regarde un par un. Mon père a des couleurs inquiétante sur le visage, et sûrement moi aussi. Lokian continue de se tordre de douleur. Il a les larmes aux yeux, je ne saurais dire si c'est dû à la douleur physique ou psychologique. Certainement les deux.

Ma mère s'approche de lui. Instinctivement, je m'interpose. Elle me regarde de haut en bas. Elle sourit, un sourire cruel.

- Je te conseille d'aller tout de suite dans ta chambre.

- Non.

- Non ? D'accord, je reformule : va tout de suite dans ta chambre.

- Ne lui fais rien. C'est à moi que tu en veux. C'est moi qui t'ai désobéi. C'est moi qui te déçois depuis toujours. C'est moi. Ça a toujours été moi. Alors si tu dois faire du mal à quelqu'un : c'est moi.

- Arrête Numidia...

J'ignore l'ordre de Lokian. J'en ai marre d'obéir à tout le monde. Je crains le pire ; une troisième gifle, un coup de poing, un coup de pied, un objet, une séquestration. Mais je ne bougerai pas. Mais elle rit. Elle rit ? Elle pose sa main sur ma joue en souriant. On dirait un sourire bienveillant. Je ne l'ai jamais vu dans cette état.

- Je suis fière de toi, ma chérie.

Quoi ? Elle a les larmes aux yeux.

- Je suis si fière... tu avoues enfin... tu as enfin compris que tu es ma plus grande déception.

Ce n'est pas possible. Je ne comprends absolument rien. Je suis en plein cauchemar.

Oui, ça doit être ça. Je suis en train de rêver. Je ne suis pas encore partie du chalet. Je vais me réveiller dans quelques minutes, ou quelques heures. Et là, nous prendrons le train, mon père viendra nous chercher et ma mère... ma mère agira de la même violence, mais sans ce moment malsain. Elle me prend dans ses bras, caressant mes cheveux. Elle recule et me regarde droit dans les yeux, un sourire sincère et gentil.

- Mais ne t'en fais pas. Je vais m'occuper de toi. Tu vas redevenir obéissante, tu vas guérir, tu passeras ton bac avec la meilleure mention et les meilleures notes du pays. Tu auras une bourse pour devenir une grande avocate. Tu guériras. Je te promets de ne plus jamais te laisser seule.

Je suis dans les bras d'une folle, je ne vois pas d'autre explications logiques. Je vais mourir, nom de Dieu ! Il faut qu'elle arrête de se bercer d'illusion. Se rend-elle au moins compte que ce qu'elle dit est terrifiant ? « Ne plus jamais me laisser seule » ? « Redevenir obéissante » ? « Les meilleures note du PAYS » ? Et c'est moi la malade ici ?

Mais je ne nie rien. Pour l'instant il faut l'empêcher de faire du mal à Lokian. J'essaie de lui sourire, mais j'ai très peur, alors c'est compliqué.

- D'accord maman. Tout ce que tu veux. Mais laisse Lokian tranquille.

Son visage s'éteint. Mince... Merde. Elle revient à la réalité et regarde sa proie au sol. Elle me décale sans douceur et le fixe.

- Je voulais appeler la police pour possession de stupéfiants, j'en ai même acheté pour les cacher dans tes poches. Mais tu viens de te jeter sur mon mari pour lui voler de l'argent. Nous t'avons accueillie les bras ouverts après avoir appris que tu étais à la rue. Mais tu as profité de notre hospitalité. Tu as voulu nous prendre de l'argent pour te droguer. Numidia est persuadée que c'est faux, elle niera auprès des forces de l'ordre, mais elle n'est pas fiable. Elle a un cancer au cerveau, elle n'est plus réaliste.

Elle s'accroupit pour être le plus près de son visage.

- Je vais appeler la police dans une heure. Tu vas chercher ton parasite de chien et tu quittes le pays. Je ne veux plus jamais te revoir.

Lokian ne bouge plus. Il ne peut rien faire. Elle a gagné. Lokian va chercher un mollard au fond de sa gorge et lui expulse au visage. Elle se redresse et tire la veste du costume de mon père pour s'essuyer avec. Elle sourit toujours.

- Tu viens de perdre trente minutes. À ta place, je me dépêcherais.

Il se relève tant bien que mal, me regarde avec les yeux les plus tristes du monde, et part. Il ne reviendra pas. Il ne reviendra plus. Je viens de perdre mon cousin.

***

Elle a vraiment appelé la police. Ils m'ont posé tout un tas de questions, idiotes à mes yeux. « Votre cousin a-t-il été violent avec vous ? », « Depuis quand ce drogue-t-il ? », « Inutile de vous terrer dans le silence, mademoiselle, nous parler est la meilleure solution, croyez-moi. ». Une femme m'a même demandé s'il m'avait ''touché'', au sens sexuel. Ils n'imaginent pas qu'ils sont dans la gueule du loup, et non dans le terrier des lapins. Quand ils se sont levés pour partir, je n'ai pu m'empêcher d'ouvrir la bouche. « Le bourreau n'est pas celui que vous croyez. Mais peu importe ce que je vous dirais, elle le retournera contre moi. ». Et ça n'a pas manqué. Elle a expliqué, en larme, que sa pauvre petite fille chérie était très malade, qu'elle ne savait pas ce qu'elle disait, que sa perception de la réalité était erronée. Mon cancer l'arrange plus que je ne pensais, tout à coup. Je la hais. Et, évidemment, dès que les agents ont passés la porte, elle est montée à toute vitesse dans ma chambre pour se venger face à mon affront. Mais je m'en fiche. Elle peut bien me démolir physiquement, je n'en ai plus rien à faire. Et maintenant j'ai envie de parler au Pasteur Daniel. Moi qui ne lui ai pas parlé depuis des semaines...

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