Chapitre 7B
Après une dizaine d'examens, un topo sur les symptômes à venir et la plus grande liste de médicaments à prendre que j'ai vu, l'hôpital m'a laissé sortir dans la soirée de samedi. Ma mère a insisté auprès du docteur Austin pour que je démarre le protocole de chimiothérapie et radiothérapie au plus vite. Heureusement mon médecin, étant avant tout à mon écoute, souhaite me laisser du temps pour prendre cette décision. D'après elle, ma mère ne peut m'y contraindre si je refuse catégoriquement les traitements anti-tumoraux. S'il le faut, elle m'enverra voir un psychiatre pour attester de ma raison, prouvant que je suis apte à choisir mon sort en étant pleinement consciente de ce que cela implique.
Dimanche, à la messe, je ne suis pas allée me confesser, je n'en ai pas eu l'envie, ni le besoin. Qu'aurais-je pu dire, de tout manière ? Tout ce que je souhaite, c'est être seule, loin de tout ce que j'ai toujours connu. Mais je ne pourrais sûrement jamais. Ma mère elle en revanche, est restée un long moment dans le confessionnal, auprès du Pasteur Daniel, pour lui parler de moi je suppose. Ça m'est égal.
Je me tiens debout, devant la porte de ma chambre en ce lundi matin. J'insère ma clef dans la serrure et ouvre doucement. J'évite de faire trop de bruit pour ne pas réveiller Nesta. Mais je la retrouve assise dans son lit, fatiguée et inquiète, les yeux grands ouverts. Lorsqu'elle me voit, elle bondit hors de son lit pour se jeter dans mes bras. Elle recule après une seconde d'étreinte, me tenant par les épaules.
- Bon sang Numidia, tu vas bien !? J'ai eu super peur pour toi toute la semaine ! Enfin depuis jeudi. Je suis venue te voir mais ta mère m'a barrée la route, alors je suis partie.
- Oui, elle me l'a dit. Elle n'aurait pas dû te mettre à la porte.
- Qu'est-ce que tu as ? (elle me regarde sous toutes les coutures) Et c'est quoi ce pansement ?
Elle fait allusion à la compresse maladroitement scotchée par ma mère au niveau de ma tonsure, là où ils ont fait leur prélèvement. Je la tripote, encore. Elle me gêne tellement. Je ne sais quoi lui dire.
- Je... je ne sais pas. Pas encore. On m'a fait une batterie d'examens pour connaître la cause de mes convulsions, on attend encore les résultats. J'étais restée en observation, au cas où. Et le pansement c'est à cause de ma chute, je me suis ouvert le crâne en tombant de mon lit.
Les mots de ma mère résonnent encore dans ma tête. « Ne t'avise pas d'en parler, à qui que ce soit. Ce que tu as... c'est une honte ! Personne ne doit savoir ! Tu m'entends Numidia !? » Elle n'a pas tout à fait tort. Je ne veux pas le crier sur les toits pour ensuite devenir la fille malade. Je refuse de susciter de la pitié chez des gens qui me méprisent ou m'ignorent, soit tous les élèves de ce lycée. J'ai toujours préféré être discrète, garder mes problèmes pour moi. Je suis toujours la même, inutile de s'attarder là-dessus. Rien n'a changé.
Néanmoins, il n'est pas si facile de duper Nesta. C'est une fille intelligente, et ma culpabilité doit parfaitement se lire sur mon visage. Je n'aime pas mentir, lui mentir, elle est si gentille et compréhensive. Mais je ne peux pas lui en parler. Elle me scrute intensément, tentant de trouver une faille dans mon imposture.
- Tu sais quand tu auras tes résultats ?
- Non, mais rien ne presse.
Les yeux de Nesta s'arrondissent.
- Rien ne presse ? Tu en parles comme si ce n'était pas important !
- Savoir ce que j'ai ne changera peut être rien.
- Mais ça changera peut être tout ! Tu as peut être quelque chose de grave qu'il faut prendre en main au plus vite ! S'il y a une solution pour que ça ne se reproduise pas, c'est important. Tu vas mal, depuis le début de l'année au moins, et ça ne m'étonnerait pas que ça remonte à plus loin encore.
Comme je le disais ; c'est une fille futée. Elle secoue la tête, recule d'un pas et ferme les yeux. Elle pose ses poings fermés sur ses hanches, inspire, expire, puis rouvre les yeux.
- Écoute, c'était vraiment flippant de te voir dans cet état. J'ai rarement eu aussi peur, alors s'il y a une solution, ne la prend pas à la légère. S'il te plaît.
Je me contente de hocher la tête. Elle me sourit et ramène une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
- Je tiens à toi, tu sais. Même si on ne se connaît pas depuis très longtemps. Tu es quelqu'un de bien.
Je lui souris. Je sens les larmes monter, je les retiens de toutes mes forces. Je n'ai pas le droit de craquer.
Nous allons au cours d'histoire-géographie sans échanger un mot. Ce silence est lourd, mais bien plus reposant qu'un interrogatoire sur ma santé. J'en ai assez parlé durant le week-end pour toute une vie, sans compter les incessantes leçons de ma mère sur mon ma discrétion. De tout façon Nesta n'a rien besoin de dire pour que je me sente à l'aise avec elle, elle dégage une aura apaisante, douce et réconfortante. Je sens tout de même une tension entre elle et moi. Ça me tue de lui mentir, et de savoir qu'elle le sent.
Nous entrons dans la salle. Ma gorge se serre, je ne peux pas rester là à attendre que le cours commence dans ce mutisme. J'ai besoin de l'entendre me parler, de n'importe quoi.
- Et sinon, à part ma disparition soudaine, il s'est passé quelque chose ?
Nesta me sourit faiblement. Elle secoue la tête.
- Pas vraiment. À vrai dire tu as été un sujet très prenant.
- Comment ça ?
- Jeudi matin j'étais super mal et Learth m'a demandé où t'étais. Je lui ai parlé et il a tout de suite proposé d'aller te voir dans la journée (j'exprime ma surprise par un haussement de sourcils), il a une voiture donc ça m'arrangeait qu'il me soumette l'idée. Je pense que c'est à cause de lui que ta mère m'a viré, elle l'a vu dans la salle d'attente. Déjà qu'elle me porte pas dans son coeur, avec lui c'était mort.
Elle souffle un rire. Learth a donc amené Nesta. J'ai du mal à croire qu'il ait eu cette initiative.
- On est retourné en cours mais j'étais déprimée. Le soir je suis allée dormir chez les filles parce que je me sentais seule. Le lendemain c'était le week-end donc Heinesy a appelé Learth pour que j'aille dormir chez lui. Je te parle pas de la réaction de Ekin ! Il a hurlé sur elle pour avoir appelé Learth plutôt que lui. Samedi soir il a tellement insisté que j'ai accepté qu'il reste dans ma chambre.
Ekin qui passe la nuit dans notre chambre, seul avec Nesta. Je me demande si...
- Et donc, vous êtes de nouveau ensemble ?
- Non non ! J'avoue qu'il a été adorable, et il m'a bien fait rire dimanche matin quand je l'ai retrouvé endormi par terre. Mais je lui en veux toujours. Disons que c'est un mieux.
Elle sourit. C'est une bonne chose. Elle paraît moins... aigrie ? Elle semble plus en paix en tout cas. Avec un peu de chance, il se pourrait que leur relation guérisse.
La porte s'ouvre sur Learth quelques secondes après de début du cours. Nesta ricane. Heureusement qu'il a promis de faire des efforts. Il s'excuse auprès de M. Salva et vient s'asseoir derrière nous. Nesta se retourne et le frappe au visage avec son manuel. Il esquive de sa main pour lui arracher sa prise.
- Tu devrais aller voir un psy pour tes problèmes de violence.
- Tu devrais aller en voir un pour tes problèmes de retard.
- J'ai pas eu le temps de fumer ma clope ce matin. Je pensais avoir tout juste le temps.
- Tu rates ton bac pour t'empoisonner ? Bravo !
- Pardon, maman.
Il ricane en sortant ses affaires. Je ne le regarde pas plus longtemps et reporte mon attention sur le cours.
Je ne savais déjà pas comment me comporter avec lui, maintenant je suis perdue. Entre ses roucoulades à mon égard la semaine dernière et sa visite à l'hôpital... pourquoi ? Je ne suis pourtant pas quelqu'un d'important, certainement pas à ses yeux. Était-ce par politesse, pour aider Nesta ou de la pure gentillesse ? Je ne sais plus comment le prendre, ni comment réagir.
Je sens un mouvement dans mes cheveux. Quand je me retourne, je vois Learth soulever une mèche du bout de son crayon. Je le repousse de ma main par réflexe.
- C'est quoi la bosse derrière ta tête ?
- Rien. Un pansement. Je me suis blessée dans ma chute, ils m'ont fait des points.
- Et tu sais pourquoi t'es tombée ?
- Non, j'attends encore les résultats.
- Genre ils t'ont laissé sortir, comme ça, sans savoir pourquoi t'as convulsé, sans au moins une hypothèse ou...
- Arrête de l'embêter, le coupe Nesta en souriant. On a bien compris que tu étais inquiet, mon chouchou.
Learth lui écrase la tête avec son cahier. Il s'ensuit une bataille de fournitures scolaires. Ce qui m'étonne le plus, c'est le manque d'autorité et de réaction de la part de M. Salva, qui ne fait qu'observer la scène d'un air irrité.
Le reste de ma journée est normale, plus que jamais. Voir Nesta et Learth se chamailler. Les filles qui, après s'être jetées dans mes bras, n'ont pas arrêté de parler, aussi bruyantes que possible. Les cris, les rires, l'agitation. Ça m'avait tellement manqué depuis samedi. À midi c'est l'heure de mes retrouvailles avec le duo H, leur convivialité me fait presque pleurer, ça change de chez moi. Elles me racontent tout ce que j'ai raté : Hely est officiellement la grande soeur de Mano depuis mercredi, Zakia s'est encore fait recaler par Learth et Ekin a envoyé des roses jaunes à Nesta dimanche soir, en retour il a eu droit à une photo du majeur de l'élu de son coeur. Elles me disent aussi que la soirée que les garçons avaient prévu samedi est tombée à l'eau, sachant que j'étais à l'hôpital. « Ekin était dans la chambre de Nesta, Learth était pas d'humeur à sortir de chez lui et nous on broyait du noir dans notre chambre. C'est la première fois que je me couche aussi tôt un samedi soir depuis au moins dix ans ! » m'a expliqué Hely. J'ai l'impression d'être rentré chez moi après un long voyage.
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Dernière mise à jour le 13/01/2020
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