Chapitre 2 : Le premier vœu

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Cette étrange relation entre ces deux individus a commencé il y a dix-sept ans, sur une plage abandonnée de Normandie. Le jeune Blaine avait alors 22 ans. Rempli de colère, il arpentait le rivage à la recherche de réponses. Sa vie était pourrie. Plus précisément, la vie était pourrie. La guerre, les violences, la pollution, l’extinction des espèces… Rien à retenir de cette planète. Il souhaite exprimer sa propre haine au monde. Un attentat ? Un massacre dans une école ? À quoi bon ? Tellement d’horreurs se déroulaient de nos jours. Son action aurait l’effet d’un ricochet dans une tempête. Une fois abattu ou enfermé, il serait oublié le surlendemain. Tout comme ses victimes. Il avait aussi pensé à devenir un tueur en série pour libérer sa soif de sang. Cela fonctionnerait au début, mais il serait vite attrapé. Le monde ne ressemble pas une série télé. L’espérance de vie des assassins est de courte durée.

Blaine était perdu, sans repère. Il ne savait plus vivre sur cette planète où le vice avait mis à terre la vertu. Il voulait se venger de ce monde tout en le marquant de sa propre pierre noire. Shootant violemment dans le sable, il sentit une petite masse. Un objet doré, extirpé du sol, atterrit à quelques mètres de lui. Il s’agissait d’une sorte de lampe à huile, comme dans les contes orientaux. Il en tirerait peut-être quelques euros afin de pouvoir se payer un peu de bon temps. Mais alors qu’il la frotta, Dhajii apparut sous ses yeux. Dans un spectacle de fumées et d’étincelles, le génie se positionna, un genou au sol, face à un Blaine totalement estomaqué.

— Enchanté, cher maître, merci à vous de m’avoir réveillé de mon profond sommeil. Permettez-moi de me présenter, je me dénomme Dhajii et je vous servirai jusqu’à la formulation de vos trois souhaits. Mon destin est désormais lié au vôtre.

— Euh… mais… Je, le jeune Blaine perdit ses mots face à cette créature divine.

Il ne savait pas ce qui lui arrivait. Un génie ? Devant lui ? Était-il en train de rêver ? Ou bien avait-il pris une drogue à son insu ? Après quelques claques et pincements, il constata qu’il se trouvait bien dans la réalité.

— Vous êtes en possession de trois souhaits de votre choix. Dès que vous m'en énoncerez un, il sera réalisé. Richesse, pouvoir, jeunesse éternelle, reconnaissance… Demandez-moi ce que vous désirez au plus profond de votre âme !

— Il n’y a pas de contraintes ? questionna Blaine.

— Vous faites bien de me solliciter, répondit le génie. En effet, jouer avec la vie des hommes est proscrit. Donc interdiction de tuer ou ressusciter quelqu’un. Pareil pour les sentiments et le caractère. Je ne peux pas les changer : donc impossible de rendre amoureuse une délicieuse femme, par exemple.

Blaine était en train de réfléchir. « On ne peut donc pas faire ce que l’on veut ». Il ne devait pas choisir ses vœux à la légère. Il emporta l’objet brillant et son serviteur chez lui, dans sa cabane de fortune. Nomade, il s’était installé clandestinement dans un bois abandonné le temps de sélectionner une autre destination. Posé sur son matelas détruit par l’humidité, il commença à questionner en détail le génie.

— Que se passe-t-il une fois les trois vœux exaucés ?

— Je disparais avec la lampe vers un autre univers, à la recherche d’un nouveau maître. Uniquement trois souhaits sont autorisés par dimension.

— Un autre univers ?

— Oui, une infinité de mondes existe. Certains ressemblent au vôtre, d'autres sont très différents. Une Terre encore peuplée par des dinosaures, par exemple, ou une dimension dans laquelle vous seriez une femme.

— Donc, quand tout est terminé, tu t’en vas ?

— Bien sûr. Imaginez si la lampe se transmettait d’un humain à l’autre sur une même planète. Ça serait le chaos ! D’où la présence de cette règle.

— Comment sont-elles dictées ?

— Le dieu des génies les a imposées. Une fois définies, impossible pour nous de les transgresser.

— Un dieu des génies, ça existe ?

— Oui, notre créateur et gérant des normes. Il est celui qui nous envoie, coordonne et régule notre nombre.

— Un génie peut donc périr ?

— Haha, non, voyons ! Nous sommes des êtres divins. Des immortels ! La mort est un concept qui ne nous concerne point. Nous pouvons en revanche perdre notre fonction de génie si un humain nous libère avec un vœu.

— Ça serait ton souhait si tu pouvais en posséder un ?

— Effectivement, cher maître. Au même titre que tous les génies des différents univers, nous considèrons la liberté comme notre eldorado !

— Et qu’en est-il d’avoir des vœux à l’infini ? Est-ce interdit ?

— En effet, vous êtes futé. Un précédent retour d’expérience a conduit le dieu des génies à prohiber cela. Ce n’était pas gérable.

Blaine continua de l’interroger durant plusieurs heures sur son monde et ses règles. Il apprit énormément sur cet être. Les trois souhaits lui appartenaient. Si l’on dérobait sa lampe, le contrat restait entre Dhajii et lui. Pas de bouton « reset ». Pas de nouveau patron. La divinité était capable de magie, même en dehors des vœux. Il n’avait pas le droit de contrer ou d’attaquer son maître. La lampe devait demeurer à proximité de lui pour appeler son serviteur. Et enfin, si Blaine venait à décéder avant la réalisation de tous ses souhaits, le travail du génie serait stoppé.

Le reste de ses questions étaient orientées sur la vie et la mort, à la grande surprise de Dhajii. La norme principale posait problème pour Blaine. Impossible de changer le comportement des humains, donc pas de paix dans le monde ou de génocide global possibles. Pourtant, son souhait le plus cher était la disparition de ces destructeurs auxquels il vouait une haine sans borne. Et ce génie était sa réponse. Mais les règles demeuraient complexes, expliciter un vœu entraînant indirectement la mort était aussi prohibée. Blaine oublia donc ces différentes idées : rendre suicidaires les humains, un virus incurable. Des solutions devaient bien exister pour contourner cette règle suivant son énonciation. Provoquer des catastrophes naturelles ? Non, il ne souhaitait pas que la faune pâtisse de son désir meurtrier. Adieu les gigantesques séismes, tsunamis infinis ou carrément une météorite. Mais après plusieurs heures de réflexion, il trouva le vœu parfait. Celui qui lui permettrait d’assouvir ses pulsions et demeurer heureux.

Blaine sortit un manga de son sac . Le seul souvenir agréable de sa jeunesse. Il feuilleta l’ouvrage et présenta au génie une des images en noir et blanc.

— Lui, c’est Dartreign, la némésis du héros. À ce moment de l’histoire, il détient les pleins pouvoirs. Une force surhumaine pouvant détruire une montagne d’un coup de poing. Une immortalité totale avec une jeunesse éternelle et la capacité de se régénérer, même si son corps est explosé. Ses cinq sens sont surdéveloppés. Et enfin, il sait voler à une vitesse extrême. Une sorte de Superman maléfique en gros, capable de faire repousser ses membres. Sa seule faiblesse : la magie. Mais elle n’existe pas chez nous. Mon vœu est simple ! Génie ! Je veux les mêmes pouvoirs que Dartreign !

Dhajii s’exécuta et en un instant, transforma le corps de Blaine. Le jeune homme n’y croyait pas. Il détenait les facultés de son super-vilain fétiche.

— Et bien, c’est la première fois que l’on me réclame un tel souhait. Généralement, on me demande la richesse ou un rang social élevé.

Blaine souriait sadiquement, en prenant conscience de ses pouvoirs. De nombreuses possibilités s’offraient désormais à lui.

— Qu’en est-il de votre deuxième vœu, maître ?

— Pour l’instant, je n’en ai pas besoin. Tu vas m’accompagner pour réaliser mon projet : transformer ce monde en un tas de cendres. Possédant tous les deux la vie éternelle, nous avons tout le temps nécessaire. Je deviendrai le fléau des mortels. La revanche de la Terre. Le destructeur de parasites. Installe-toi bien, ça va nous divertir, mon cher Dhajii !

C’est ainsi que commença le grand génocide de Blaine. Il allait de ville en ville anéantir les humains. Aucune pitié, aucune distinction qu’ils soient femmes, enfants ou vieillards. Tous devaient disparaître. Il prenait son temps, les tuait à mains nues sans aucune difficulté. Pour changer, il s’amusait à utiliser leur artillerie. Les différents gouvernements essayèrent de le contrer, mais rien ne venait à bout de lui : balles, missiles, ainsi que l’arme nucléaire. Son corps, même en poussière, se régénérait à chaque fois et sa force titanesque lui permettait d’exploser les machines de guerre en un seul coup. Certains pays avaient réussi à le contenir quelque temps, un enfermement par exemple dans des prisons ultra-sécurisées. Mais il s’en sortait, éliminant tout sur son passage. Et il aimait ça : massacrer, écarteler, écraser… La vue du sang le stimulait, la peur des hommes lui donnait une sublime jouissance. La chasse et le meurtre étaient ainsi devenus sa drogue. Il fut surnommé le démon. Et son génocide continuerait tant qu’un mortel respirerait le même air que lui.

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