23 - Muddy
Je déteste la pluie.
Pas l'idéal quand on vit dans une région où il pleut pendant presque deux mois d'affilée, vous me direz, mais j'ai pas vraiment choisi de naître là. Mais bon, c'est plutôt pas mal, hormis la pluie. Une bonne petite ville avec son lot d'activités, ses beaux paysages, et puis, au final, la paie de shérif est pas si mauvaise que ça. On s'occupe bien, c'est sûr, même si on risque un peu sa vie et que tout le monde vous déteste un peu. Il faut savoir gérer ça, évidemment.
C'est ce que j'expliquais à Jimmy l'autre jour. Un brave garçon Jimmy. Il me demandait pourquoi je détestais la pluie, alors que je grognais encore sur cette satanée flotte qui n'arrêtait pas de tomber. Je lui ai dit que le sol devenait traître, boueux, une pâtée infâme qui dégeulassait tout. Il m'a dit que mes bottes étaient impeccables, et je lui ai répondu que c'était bien là le problème. Les bottes, ça fait tout. De belles bottes, bien soignées, ça aide beaucoup la présentation. Et savoir se présenter, c'est tout le métier. Enfin, et gérer tout le monde, bien sûr.
Dans une ville comme la nôtre, en bordure de montagnes, on voit un peu de tout, de tous les coins. Des chercheurs d'or bredouilles ou qui ramènent leur filon, des bûcherons du coin, des trappeurs, des indiens qui viendent revendre leurs fourrures… Ça fait un sacrée flux. Beaucoup d'argent, aussi. Beaucoup de gens pas recommandables, du coup. Il faut savoir tenir tout ce beau monde en place.
Par exemple, quand y a un indien qui a trop bu, comme ça leur arrive souvent, on va le chercher et on le met en cellule avant que ça ne tourne à l'incident diplomatique. On arrive, avec de belles bottes bien propres, et sans même hausser la voix ni avoir à forcer, hop, on récupère l'ivrogne. Jimmy était impressionné, c'est sûr. Il écoutait tout ce que je disais, curieux.
Mais après, l'indien se met à parler dans sa cellule, dit des choses. C'est là où il faut savoir s'en tenir à son travail. Sauf que Jimmy, il écoute l'ivrogne, il se dit que y a peut-être quelque chose à voir. Il insiste. Alors je lui dis que je vais l'accompagner, si il insiste, mais que d'abord, je dois nettoyer mes bottes. Rapport à la pluie. L'affaire de quelques minutes. Il faut juste qu'il s'assoie un instant, respire, pas la peine de retourner sous cette pluie incessante tout de suite. Mais Jimmy, il est jeune, pas comme William ou Arthur, eux ils ont bien compris que si on commence à courir partout pour la moindre chose, on finit avec des bottes crottées et sans avoir rien accompli.
Du coup, je me sens obligé de le suivre, c'est bien normal. Malgré la boue qui accroche à mes bottes. Il retourne au bar, il cherche un type, on lui dit qu'il est parti, on va vers le marché aux fourrures, on nous dit que oui, le gars a récupéré sa marchandise, il vient juste de s'en aller vers l'est, et hop, Jimmy s'en retourne chercher un cheval. Je lui dis de s'arrêter, mais il ne m'écoute pas. Il ne comprend rien à rien, il court après du vent, c'est malheureux.
On retrouve le type. C'est Jack, je le connais bien, il commerce avec les indiens, il transporte des trucs, il voyage à gauche et à droite, il vit sa vie. Jimmy lui dit qu'il veut vérifier sa marchandise, et surtout, qu'il veut savoir où il l'a eu. Le type lui dit qu'il l'a acheté en bonne et due forme à l'indien, celui qui est sous les barreaux, Jimmy lui dit que l'indien affirme que Jack a trafficoté quelque chose pour avoir et la fourrure, et l'argent. En gros, qu'il a volé l'indien.
La situation s'envenime, évidemment. Jack, il s'énerve vite, il sort son flingue et le secoue, me prend à partie. Jimmy sort son arme, lui dit que menacer un représentant de la loi est un crime, ce qui est très juste. Je demande à tout le monde de se calmer. Jack pointe son arme sur moi, alors je dégaine aussi tandis que Jimmy, brave garçon, s'énerve encore plus. Je sens que ça va mal finir. Mes bottes sont crades et je sens que ça ne va pas me porter chance. Si j'avais pu les nettoyer, on en serait pas là, c'est sûr. En plus, la pluie est infernale.
Jack et Jimmy s'énervent. Je hurle pour que tout le monde baisse son arme. Je déteste crier. D'habitude, quand j'en viens là, ça calme le jeu tout de suite. Mais là, non. C'est trop tard. Trop loin. Je maudis mes bottes. Je les vois qui lèvent leurs armes. Merde.
Coup de feu.
Jimmy a les yeux écarquillés. Son cheval s'agite, paniqué, et son cadavre tombe mollement dans la boue. Pauvre petit.
Jack baisse son arme alors que j'ai toujours mon pistolet en main. Je m'approche de lui et tend ma main libre. Après un bref instant, il me passe ma part. Je compterai l'argent plus tard. Je fais comprendre à Jack que nos affaires sont terminées, après ce qui est arrivé là. Il veut protester, mais j'agite mon flingue sous son nez. Il comprend que je suis prêt à en user de nouveau et s'en repart, lui et sa marchandise volée.
Je calme le cheval de Jimmy avant de descendre pour considérer son cadavre. Je pousse un long soupir. Pas le choix. Va falloir faire croire à l'accident, jeter son corps dans la rivière en furie. Quelle galère.
Si seulement j'avais pu nettoyer mes bottes.
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