24 - Chop
Il respire un grand coup une fois dehors, savourant un nouveau matin qui s'annonce. L'air frais est vivifiant. Il admire le paysage, contemple la forêt qui s'étend au loin, la cime des arbres à peine éclairée par le soleil qui pointe au loin. Le bleu froid devient tout doucement orange, embrasant la ville en contrebas au fur et à mesure que les rayons de l'astre les touchent. On pourrait croire que la cité s'éveille sous la lumière, comme si elle réchauffait les hommes et les bêtes endormis, faisant fondre leur sommeil pour les amener à se réveiller pour une nouvelle journée.
Devant sa modeste chaumière, loin du bruit et de la fureur citadine, il pourrait rester là éternellement, tranquille, à s'imprégner du monde et de sa beauté, mais il a du travail, comme chacun en ce monde. Toutefois, son cœur reste léger, alors qu'il retourne à l'intérieur pour enfiler une tenue plus appropriée et, surtout, récupérer sa hache.
Lorsqu'il ressort, quelqu'un l'interpelle, et il répond avec un franc sourire et un geste de la main amical. Il y a du monde déjà, pas beaucoup, mais tout de même. Les bûcherons s'en vont tous au travail, l'industrie forestière n'attend pas. L'homme les rejoindrait bien, mais pour l'heure, il se doit de redescendre vers la ville. Être en bordure n'a pas toujours des avantages, lorsqu'on doit se rendre dès l'aube à une bonne heure de marche de là, mais l'exercice ne le dérange pas. Il descend la pente en sifflotant, savourant le son de ses pieds frappant la terre sous ses pieds, un bruit simple mais qu'il apprécie sans trop savoir pourquoi. Peut-être est-ce le rythme, régulier, saccadé, ou le fait de l'associer à ce plaisir simple de se mouvoir de par le monde, dans la nature, d'être en vie, tout simplement ? Il n'en sait rien. Il savoure la chose, tout bonnement, comme beaucoup d'autres, sans se poser trop de questions métaphysiques. Les arbres autour de lui dansent sous la brise légère qui lui rapporte leurs parfums riches et complexes, et au loin, les oiseaux chantent le lever du jour, ou bien se plaignent de l'activité humaine précoce, qui sait.
Alors qu'il approche des faubourgs, la foule devient de plus en plus importante, les gens se lèvent et sortent de chez eux, ouvrent leurs fenêtres, se pressent dans les rues en baillant. On ne le salue plus maintenant, tout le monde est trop occupé, mais cela ne le chagrine pas, la compagnie humaine n'étant pas quelque chose qu'il recherche particulièrement. Il longe la ville, se dirige vers la scierie et son exploitation forestière, une grande zone que l'on commence tout juste à déboiser. Certains trouvent qu'il y a quelque chose de poignant à cela, tous ces arbres abattus les uns après les autres, transformant en quelques mois un bois en une plaine rase, mais lui n'y voyait que la nécessité naturelle. La vie continuait, malgré tout.
Il y a un monde fou ce matin. Se frayer un chemin aurait été difficile pour n'importe qui d'autre, mais il suffit qu'il murmure quelques mots doux, toujours dits avec gentillesse, pour qu'on lui laisse le passage. Quelque temps plus tard, il rejoint enfin ses collègues, les salue tranquillement. Stoïques, ils ne disent pas grand-chose, mais il prend tout de même le temps de leur dire bonjour. Après tout, ce n'est pas parce que c'était un travail qu'il fallait devenir asocial.
Quelques minutes plus tard, il est en place, comme tout le monde. Il respire bien fort, se gorge de l'air frais et de la sérénité du moment. Les oiseaux chantent toujours, au loin, et il se dit qu'ils chantennt rien que pour lui. Il est bien. À sa place. Tout est parfait. Plus qu'à se mettre au travail.
Il lève sa hache et, avec un grognement d'effort, la plante violemment dans le bois.
Il récupère la tête qui vient de rouler et la montre bien haut devant la foule qui hurle son approbation. Puis il la jette dans le panier et laisse les gardes retirer le cadavre. Un nouveau condamné est mis à sa place, et il le salue avec douceur, d'une voix calme, presque chaleureuse. L'autre ne répond rien, ne se débat même pas, déjà ailleurs.
Le bourreau l'en remercie intérieurement. La matinée s'annonce longue, et il préfère que tout se passe en douceur.
Il a vraiment beaucoup de travail à abattre aujourd'hui.
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