Chapitre 1 : Le camping

5 minutes de lecture

Cette dernière journée avait sonné pour moi comme sonnent pour un prisonnier ses dernières heures derrière les barreaux. En effet, ce vendredi 27 juin à 17h précise, j'étais libéré de prison.

Enfin, certains appellent cela “la fac” mais c’était un peu la même chose. Car en réalité, en prison comme en cours, on ne voit ni oiseaux ni sourires, nos libertés sont restreintes à de petits endroits clos, et de vieux fonctionnaires s’assurent de faire en sorte que l’on ne s'amuse pas trop. Mais qu’importe, la justice “professorale” avait statué sur mon cas : mon année était validée, je serais donc remis en liberté pour les deux prochains mois.

Cette joie fut néanmoins modérée. Je ne retrouverais pas tout de suite les cimes des Alpes et la mer de la côte bretonne que j’aimais par-dessus tout et qui figurent pourtant dans mon programme. Mes parents avaient en effet eût une idée à laquelle je n'adhérais que trop peu, pour démarrer ce mois de juillet : Le camping. Quelle idée à la con ! Bien sûr, j’avais bien tenté de la contester, mais comme tous les vieux, mes parents n'étaient pas des plus dociles. C'est à l'usure qu'ils étaient parvenus à m'avoir. Je fus donc forcé de capituler et de repousser mes quelques jours dans les hauteurs pour monter avec eux dans ce train direction le “camping de Château Saint-Jacques” à une heure de la Rochelle, pour des raisons somme toute mystérieuses.

***

Je vous passerai les détails de notre arrivée, de la paire de claquettes offerte à chaque campeur, des enfants qui hurlaient, des cours de yoga à 8h du matin et du bungalow microscopique dans lequel mes parents, Sophie et moi devions nous entasser : C'était l'horreur. Deux consolations me permettaient malgré tout de rester serein. D'abord, cela ne serait jamais pire que la fac, ensuite, la mer était à 5 min à pieds.

Quelques jours s'écoulèrent. Le temps était bleu, les campeurs agréables et je parvenais à me détendre un peu. Après tout, il y avait pire que de siroter un verre d'anis les pieds dans l'eau. Mais la nature me manquait. D'un bond, je pris donc une paire de basket afin de réaliser un petit jogging au milieu de nulle part avec pour seule idée de fuir un peu.

Au kilomètre 4, mon téléphone vibra. C'était un SMS, signé Maman. Un simple "Tu as vu ?" munit d'une pièce jointe qui annonçait que le soir même avait lieu le “60’ Party”, une soirée dansante, à laquelle le concept imposait de s’y rendre vêtu d’un costume trois pièces et d’un vieux chapeau.

- Pfff, jamais de la vie. Tu parles d'une autre idée à la con, marmonnais-je dans ma barbe

Mais, comme pour la destination de vacances, mes parents en avaient décidé autrement. Dire que le jour de mes 18 ans j'avais cru enfin devenir libre et indépendant et qu'il en était finit de voir mes géniteurs ponctuer leur autorité suprême par d'odieuse phrase comme :

- Aller, et puis comme ça, tu rencontreras du monde, ça ne te fera pas de mal

Avant de conclure par la fameuse :

- De toute façon, c’est comme ça !

Depuis tout petit, l'idée que je ne devienne pas un pilier de café, sociable et hypocrite terrifiait mes parents. Tant de fois avais-je pu les entendre parler à leurs connards de copains dans leurs soirées mondaines "Nous sommes inquiets, il ne sort jamais, et ne cherche pas à se faire tellement de potes".

Ils ne comprenaient pas qu'il était possible de ne pas déambuler dans les rues au beau milieu de foules de gens discourtois et con, de conducteurs fous furieux, de baguettes de pains hors de prix, de personnes que pour rien au monde tu ne souhaitais croiser mais que tu croises quand même et à qui il va falloir faire des politesses, du bruit, d'associations caritatives qui viennent te demander de l'argent que tu n'a pas ou de coups de klaxons. Je vomissais la ville, la foule et notre époque, il n'en fallait guère davantage pour perturber leur sommeil et prendre les devants lorsque les occasions de faire de moi un garçon contemporain et fêtard se présentaient. Selon eux, l'événement organisé par le camping entrait dans cette catégorie.

Voilà alors comment, à 22 ans, de force, je me retrouvais en vieux costume des années 60 entouré d’inconnus qui dansaient le cha-cha-cha et buvaient du Malibu Coco. Moi qui, plus que tout au monde, haïssais ces vieilles soirées remplies d’ennui - et je ne vous parle pas de la danse - je dois maintenant faire preuve de savoir-vivre et tout faire pour ne pas que ma détestation de la mondanité et des gens ne se voient trop. De loup, il me fallait devenir chien. Vaincre ma timidité et ma soif de solitude pour éviter la leçon de morale parentale et de surcroît, l’engueulade qui risquerait d'entacher nos vacances en famille.

Pour cela, une seule solution : s'enivrer. L'alcool était, en effet, un allié précieux dans ces situations déconcertante. D'un pas décidé, je me dirigeais vers le bar afin d’y commander un verre de Mojito, consommation pour laquelle je devais, par ailleurs, exploser mon plafond de dépense. Je m’installai ensuite sur la dernière chaise haute disponible près du comptoir. Arriva derrière moi une assez belle femme qui semblait avoir à peu près mon âge. À son tour, elle passa commande et s’accouda au comptoir.

- Prends ma place, je t’en prie, lui proposais-je galamment.

- Oh, merci beaucoup ! Mes talons me détruisent les pieds ! Mais, ça ne t'ennuie pas ?

- Non, j’allais partir de toute façon.

- Déjà ?

Cette réponse m'avait semblée scandaleuse. "oui déjà", avais-je envie de lui hurler. Est-elle assez naïve pour croire qu’un garçon comme moi pouvait être vraiment heureux de traîner dans des soirées mondaines dans un camping de luxe en buvant des mojitos à 10 € déguisé en Lino Ventura ? Je me fais chier, alors oui, "DÉJÀ" !

Seulement, voilà, en France, il n’est guère possible de crier ainsi sur les dames, et la vulgarité n'est d'aucune manière davantage la bienvenue. Être un ours n'impose en rien de négliger un certain savoir-vivre si français.

D’autant qu’une drôle d’alchimie s’installa étrangement entre elle et moi. Ce qui n’était pas pour me rassurer, car je ne tombais même pas amoureux. C'était bizarre. Comme si on se connaissait déjà.

- Oui oui, je ne suis pas tellement un adepte de ces gros trucs. lui répondis-je donc posément. Excuse-moi, mais ton visage me dit quelque chose.

- Bien sûr qu’il te dit quelque chose Vincent ! Tu ne te souviens pas ?

Elle connaissait mon prénom et me le prouver fût pour elle l'occasion de m'humilier un peu plus. Observant ces longs cheveux blonds, j'en étais désormais certain : Je connaissais cette jolie fille.

Elle ajouta

- Moi je peux t'en dire des choses sur toi

- J’ai l’air un peu con du coup.

Elle se mit à rire.

- Rassure-toi, tu avais déjà l'air con avant ça !

Elle prenait plaisir à me retourner le cerveau en usant du mystère qui planait désormais sur son identité. Cela me rendait fou.

- Écoute, j'ai honte, vraiment ! Tiens, laisse-moi t'offrir un verre pour me faire pardonner.

Il fallait que je gagne du temps.

- Pour que tu en sois au point de m'offrir un mojito dégueulasse à 10€ ici, c'est qu'effectivement, tu veux que je te pardonne. Je te propose un jeu : Je n'accepterai tes excuses que lorsque tu m'auras remise ! En attendant, buvons à la santé des "ours" de ton espèce !

Elle rit de nouveau. Nous nous croisâmes pour la première fois du regard.

Un regard qui ne s'oublierait pour rien au monde.

- Hélène ?

Annotations

Vous aimez lire Gus delacho ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0