Chapitre 2 : Hélène

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Cela faisait presque 10 ans que je n'avais pas revu Hélène. De notre amitié, il ne restait que de doux souvenirs. Elle et moi faisions parti d'un groupe d'amis plus large lors de nos années lycées. Ces retrouvailles innatendu nous emmenèrent sur la plage crépusculaire.

  • Ton sourire, Hélène. Lui, je m'en souviens, tu sais.
  • Moi, c'est ta bonne bouille de mec paumé qui m'a tout de suite sautée aux yeux ! Tu es toujours autant dans la lune, j'ai l'impression. Ça me fait plaisir de voir que tu n'as pas tellement changé.
  • Whoah, et toi tu es toujours aussi direct qu'au lycée, chariais-je.
  • Il fallait bien quelqu'un pour dire les vérités à l'époque, s'amusa-t-elle.
  • Oui, ça, c'est clair. Bon, tu me pardonnes du coup ?

De concert, nous laissions tous deux paraître un rire discret que je lisais comme de la misericorde. Assurément, qu'elle me pardonnerait. Car voilà 10 ans qu'elle ne me donnait plus de nouvelles et si, physiquement elle était toujours aussi jolie, ces interminables années l'avaient malgré tout un peu changé. Seule l'omission de son sourire n’aurait su bénéficier d'une quelconque indulgence.

Sans un mot, elle s'assit sur le sable, je suivis son mouvement. À deux pas de nous, battait encore de son plein cette odieuse soirée. La lune était belle, les vagues douces et le vent frais. C'était un décor propice à la confession.

Il fallait que l'un de nous brise le lourd poids du silence.

  • Où étais-tu passée Hélène ?
  • Voyons Vincent, répondit-elle d'une voix douce, j'étais là ! J'ai toujours été là. Tu le sais bien.

"Un homme, ne pleure pas" pensais-je. C'était le seul moyen que je possédais pour commander à mes larmes de ne pas se montrer devant mon amie. Pourtant ma gorge se serrait. J'étais malheureux de solitude depuis si longtemps. C'était comme si ce malheur avait besoin de se manifester devant celle qui en était peut-être l'initiatrice.

  • Où étais-tu passée ? répétais-je

De son sac, elle sortit un cigarillo et le porta à sa bouche.

  • Oh, merde, j'ai oublié mon feu au bungalow
  • Attends, j'ai le mien.

Elle s'approcha de la flamme que je lui offrais et tira sur sa cigarette pour l'allumer.

  • Merci !

Elle portait une marinière, et ses cheveux volaient au vent. Les étoiles veillaient sur nous. C'était beau.

  • Depuis ton départ pour Rome, lui dis-je, jamais je n'ai cessé de penser à toi et aux autres. J'essayais de comprendre. Pourquoi ne donnais-tu pas de nouvelles ? Je me suis posé mille questions, imaginé mille choses. Mes lettres restaient sans réponse, nos quelques échanges de messages ressemblaient à des discussions entre deux inconnus. J'ai pris le parti de t'oublier tant m'était peu supportable l'idée que tu aies pu me faire disparaître de ta vie. Les deux dernières fois où nous nous sommes parlé c'était pour nos anniversaires respectifs après avoir reçu la notification Facebook. Et tu réapparais, sortie de nulle part, 10 ans plus tard, toujours aussi parfaite.

Mes larmes n'obéissaient plus à mes ordres.

  • Tu sais Vincent, moi non plus, je ne t'ai pas oublié. Je me souviens même de la première fois où nous nous sommes tous rencontrés. Je m'étais rendue en compagnie de Madeleine à cette soirée, tu étais venu avec Thomas et Henri. Tu étais le plus calme des trois. Le plus gentil aussi.

Son souvenir de notre première rencontre à tous les cinq me toucha. Non, elle ne m'avait pas oublié. Me le dire eut rempli mon cœur d'une joie si grande que je ne pus la dissimuler.

Elle ajouta

  • Tu n'étais déjà pas très heureux à l'époque.
  • Tu me trouves malheureux ?
  • Voyons Vincent, dès que je t'ai aperçu, j'ai lu la tristesse sur ton visage. Tu penses que je t'ai oublié mais tu te trompes. Je te connais par cœur. À l'époque, tu ne croyais déjà pas en toi, mais aujourd'hui, tu sembles être devenue un garçon triste, qui fuit les fêtes et préfère pleurer tout seul au beau milieu de nulle part.
  • Je n'ai pas refait ma vie après votre départ, répondis-je. Je poursuis des études monotones, toujours à Toulon, et je me fais chier. J'ai quelques potes mais ce sont des copains de promo et on ne partage pas grand-chose. Je me sens seul. Si tu ne trouve pas ta place en tant qu'Homme, tu deviens un animal, c'est chimique. Hélène, je n'en peu plus de ne manquer à personne.
  • Tu m'aimais ? demanda t-elle d'une voix étouffée.
  • Non
  • Tu m'aimais.
  • Hélène, je te dis que non. Tu étais une amie en or, drôle, adorable et aimante. Mais non, je ne t'aimais pas.
  • Peut-être ne t'en rendais-tu pas compte
  • Enfin, Hélène, l'idée même de nous voir ensemble me terrifiait. Tu es une trop bonne amie pour devenir une épouse.
  • Et Madeleine, tu l'aimais ?

Madeleine était l'autre fille du groupe, bien qu'elle soit d'abord une grande amie d'Hélène. Elles se connaissaient avant de faire notre connaissance. Nous, les 3 garçons, étions amis depuis notre plus tendre enfance. La rencontre de ces deux groupes fut la porte ouverte à d'incroyables aventures. Nous faisions les cons et nous nous aimions. Nous formions une si belle bande.

  • Écoute, tu ne peux pas savoir ce que ton absence m'a fait enduré. Où étais-tu passée ?
  • Madeleine, tu l'aimais ? insistait-elle
  • Non plus Hélène. Pour les mêmes raisons que pour toi.
  • Te donne-t-elle des nouvelles ?
  • Non, aucune. Ça ne va pas très fort moi, tu sais. J'ai besoin de vous en ce moment.

D'une voix discrète, elle m'offrit cette réponse à laquelle je n'étais, pour rien au monde, préparé.

  • Moi aussi, Vincent...Moi aussi.

Ces quelques mots avaient changé ma vie. Elle, pourtant si souriante, était entrain de manifester un malheur immense devant moi. D'un instant à l'autre, je fût son confident. Non seulement elle ne m'avait pas oubliée, mais elle avait besoin de moi. À son tour, elle se mit à verser une larme, puis deux, puis mille. Jamais, je n'avais vu si doux visage habillé d'un tel malheur. À ces yeux, il n'était guère difficile de comprendre qu'elle aussi, souffrait de solitude. Nous étions, elle et moi, face à la mer et à notre désespoir. Deux malheureux êtres dépourvus de force. De nouveau conscient de mon rôle de garçon et d'ami, je n'ai pu m'empêcher de lui apporter mes bras consolateurs.

  • Pleure si tu le souhaites. Inflige-moi ce si triste visage tant que tu le voudras. Ton malheur est le mien. Même si tu désires à nouveau m'oublier plus tard.

L'horizon ne s'éclairait que de la triste lumière d'un phare. Ces derniers ont pour vocations à venir en aide aux marins égarés. Sans doutes étaient-ils là afin de nous porter secours à notre tour.

Je caressais les cheveux d'Hélène qui reposait sa tête sur mon épaule. J'aurai donné ma vie pour soigner la sienne. Nous souffrions pourtant du même chagrin. La vie nous ennuyait trop pour être tenable. Elle semblait pourtant si heureuse, il n'y a même pas une heure, au comptoir. Nous étions comme deux inconnus queques instant avant, nous voilà compagnons de voyage.

De longues minutes s'écoulèrent sans qu'aucun de nous deux ne prononce le moindre mot. Elle se redressa et me regarda sans les yeux. Sa voix était affaiblie et nouée par la tristesse.

  • Vincent ?
  • Oui ?
  • Il faut que je te dise.
  • Quoi donc ?
  • Je vais sans doute bientôt mourir.

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