Pour une bouchée de pain
En revenant de courses, hurlements, secousses. Ma femme me tire le bras en criant : « Arrête-toi ! » Qu’avons-nous oublié cette fois ? Le chien, les enfants, les petits pois ?
« Le pain ! beugle-t-elle énervée, et, la boulangerie, demain, est fermée. »
À l'arrière, c'est la tempête. Ça pleure, ça s'agite, ça rouspète. La soirée hot-dogs est annulée. Face au viennois, les biscottes ne font - hélas - pas le poids ; sans parler des saucisses, les divines reines de la glisse. Dîner-catastrophe assuré avec des Francforts plein le canapé et des Pasquier plein le parquet.
Francine est prête à m'émietter, pourtant je n'ai rien fait.
Soudain, un éclair de génie me traverse. J’entre l’adresse dans le GPS. Je m’engage dans un rond-point. Nous ne sommes plus très loin. Un nouveau magasin se dresse. Colossal. Gigantesque. Impossible de le rater. En grosses lettres est imprimé son nom : BOULANGER. Je ralentis, puis me gare. Francine me fusille du regard. « Ne bouge pas, ma tartelette, dis-je, l’air de rien, je cours acheter le pain. » Vingt minutes plus tard, je reviens. Fier de moi, je porte - sous le bras - un écran plat. De quoi en rester baba. Francine est atterrée. Je sens qu'elle va exploser. Calmement, je prends les devants. « Avant que tu ne t’énerves, sache, ma délicieuse chouquette, que le vendeur est allé en réserve pour nous dégoter cette petite merveille qui vaut à peine trois francs six sous. En somme - et c'est ça le plus drôle -, on l'a eu pour une bouchée de pain. Tu ne dis rien ? »
Francine manque de s’étrangler. « Et les baguettes ? vocifère-t-elle, elles sont dans ta télé ! Ma mère me l’avait pourtant dit : tu n’es pas le plus dégourdi. Le jour où l’on aura besoin de sièges, tu me conduiras au Père Lachaise ? »
Elle en a de ces questions. Me prend-elle pour un cornichon ? On ira à IKEA ; en vérifiant avant plusieurs fois que l’on a bien fait le plein de pain. Avec ou sans graines. Complet ou pas. À la farine de blé, de son, d'épeautre ou de quinoa. Seigle, mie, brioché, suédois ; on a le choix ! Dans le doute, vaut mieux être prudent que de revivre ce genre d’incident. Francine serait encore capable de me le reprocher. Je suis bonne pâte, certes, mais faut pas pousser !
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