Quand l'appétit va...

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 Bébé déjà, Appétit Demoineau mangeait comme quatre. Quelle tuile et contre-publicité pour ses parents, coachs Fitness, adeptes des corps de déesses !

Le jour de son vingtième anniversaire, Cervelle et Chant Demoineau offrirent à leur fille unique non pas le cabriolet de ses rêves ni le voyage en Australie en compagnie de Tartine Aubeurre*, sa meilleure amie, mais une remise en forme à Délestez-Vous, le nouveau centre minceur dont la plaquette faisait autant fureur que peur. Rien que la lire faisait maigrir ! Sport à outrance, assiettes moins garnies que crânes dégarnis, thérapie collective brûlant plus de calories qu’une séance au sauna et hammam réunis composaient le cadeau d’Appétit qui n'avait jamais eu de problème avec son image corporelle. Plus impressionnante que la fonte des glaciers, la promesse d’en ressortir plus mince qu’une tige de blé était mentionnée pas moins de vingt-huit fois sur la rutilante brochure plastifiée pliée en trois volets. Appétit en reviendrait pour sûr métamorphosée !

Le lendemain, Appétit - qui n’avait pas perdu le sien, mais copieusement petit-déjeuné avant d'affronter cette atroce journée - se rendit, telle une condamnée aux travaux forcés, au centre de tortures avec - dans ses valises - gâteaux, chocolats et pots de confiture. Filet Mignon, le directeur - assurément plus expert en dégustations qu'en tractions - l’accueillit, ravi. Avec un sourire enjôleur, il lui fit découvrir l’intégralité de son établissement minceur. Tour à tour, il lui présenta Labrador Lerusse, le monsieur muscles chargé de lui faire travailler abdos-fessiers, Aigreur Destomac, la nutritionniste-diététicienne-naturopathe-allergologue qui avait établi les menus des trente prochaines semaines (composés, en tout et pour tout, de salade bio et d'hectolitres d'eau), Torturée Langoissée, la psychothérapeute gothique, et Saucisson Sec, le fluet cuisinier. Tout au long de la visite, Appétit souriait. Le filet mignon avait toujours fait partie de ses mignons péchés. Un je-ne-sais-quoi l’attirait vers l’affable directeur. Son parfum aux délicates notes boisées, sa douceur innée, sa façon de la regarder. Une envie folle de se blottir dans ses bras ne la quittait pas. Tout au long de la visite, elle n’avait pu s’empêcher de le dévorer des yeux. Filet Mignon l’avait remarqué. Il n’en semblait nullement gêné. Il se demandait pourquoi une jeune femme si parfaite avait envie de changer sa merveilleuse silhouette. La vie lui appartenait. Qu’attendait-elle pour la croquer ?

— Un problème, Monsieur Mignon ? l’interrompit-elle en pleine réflexion.

— Pas le moins du monde, Mademoiselle Demoineau. Je me demandais seulement ce qui avait bien pu vous inciter à pousser les portes de notre institution, non pas que votre présence m’importune, au contraire…

— Mes parents pensent qu’il est plus que temps que je me reprenne en main, déclara-t-elle en essayant de dissimuler son chagrin. De moi-même, je ne serais pas venue ; bien qu’après ce tour des lieux, la perspective d’être enfermée un mois entier me déplaît beaucoup moins, surtout s’il m’arrive de croiser régulièrement votre chemin.

— Hum, je vois, fit le directeur - soulagé et heureux, à la fois. Dans ce cas, je vous propose un tout autre programme. Que diriez-vous de prendre tous vos repas en ma compagnie - je connais bon nombre de restaurants savoureux -, ainsi que de mettre de côté thérapie de groupe et gymnastique au profit de balades, massages ou jacuzzi ?

— Où faut-il signer ? siffla aussitôt la jeune Demoineau.

— Nul besoin de contrat, si cela ne vous incommode pas. Ce sera notre petit secret. Sachez, délicieuse Appétit, que c’est une première pour moi.

— Comment refuser ! pépia la damoiselle, enchantée par cette rencontre aux allures de conte. Pour sceller notre accord, plutôt qu’un pacte de sang, nous pourrions nous prendre dans les bras maintenant ?

— Avec grand plaisir, répondit tendrement Filet Mignon qui avait pris soudain une jolie teinte rosée. Nous pourrons d’ailleurs recommencer à chaque fois que vous le souhaiterez et, peut-être même, si l’alchimie qui existe aujourd'hui perdure, transformer votre court séjour en définitive villégiature. Je songe, en effet, d’ici peu, engager une personne de qualité pour me seconder.

— Cela me plairait beaucoup, conclut Appétit Demoineau, prête à quitter le nid. De plus, je suis persuadée que mes parents ne verront jamais aucun inconvénient à ce que je reste à demeure dans un centre minceur.

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