En plein phare
Depuis plus d’un mois, Vertigo Lasticot, vorace ver solitaire, refuse de manger. Tartines au miel, pistaches grillées, terrines de sanglier se succèdent sans succès.
Alarmé par cet inquiétant constat, Robert Verdeterre, prospère propriétaire terrien, se précipite ventre à terre au chevet de son ami, plus affaibli qu’un troupeau de bœufs réduit en bouillie. À la simple évocation de choux-fleurs, Lasticot éprouve aussitôt de terrassants haut-le-cœur. Lui, d’ordinaire, si friand de vitelottes à la matelote, souffre en permanence de naupathie, même à bord de son lit !
Quel est donc cet étrange prodige, s’interroge Robert, vert de rage, en voyant ses revenus fondre plus vite que son compagnon de fortune.
L’un comme l’autre l’ignorent, hélas, le ver solitaire - à présent, plus rabougri qu’un reste de hachis - est atteint d’une maladie difficilement soignable, souvent incurable, qui court et que l’on appelle communément « maladie d’amour ».
Malchanceux Vertigo ! touché en plein cœur par l’énigmatique et non moins toxique Lucie Verluisant, prise au piège dans son appartement. L’innocent gourmand n’a rien compris. En traitre et en pleine nuit, la demoiselle l’a ébloui tandis qu’il ouvrait la porte de son cagibi. Subjugué par cet extraordinaire point lumineux, il en tomba follement amoureux. La captive, de son côté, profita de l’irruption inopinée du glouton affamé pour quitter prestement sa prison remplie de mets.
Dès lors, tel un spectre blafard, Vertigo erre le ventre affreusement vide dans chaque pièce et armoire en quête de sa lumineuse princesse partie, dare-dare et en plein phare, poursuivre libre son histoire.
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