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J’aurais voulu mourir dans mon lit, ou bien assise à l’ombre d’un grand arbre par une belle journée ensoleillée. Peut-être même mourir de rire. Je n’avais jamais pensé pouvoir mourir d’amour, je n’ai jamais été romantique ou romanesque mais j’aurais tout de même mérité une mort plus digne et plus conventionnelle. En y repensant bien, aucune de ces morts n’a cadré avec mon style de vie et ma personnalité. Mais avait-il vraiment besoin de me faire subir tout cela ?
Mourir dans son lit quand on a dépassé les trois quarts de siècle, voilà qui aurait été honorable. Ça ne devait pas être inscrit dans mes gènes. Dès ma plus tendre enfance, devant mes cavalcades et nombreuses chutes, les gens s’accordaient à dire que je ne vivrai pas bien vieille. Ils m’avaient déjà tous condamnée.
J’étais, a priori, une enfant adorable : affublée de magnifiques robes et de couettes ou tresses en tout genre. Ma mère a toujours été très fière de ma chevelure rousse. Moi, beaucoup moins. D’ailleurs, mon premier acte de rébellion a été de les couper à la garçonne et de les teindre. J’ai dû passer par toutes les couleurs possibles et inimaginables. Même un arc-en-ciel avait l’air terne et sans imagination à côté des couleurs que j’ai pu inventer.
A posteriori j’étais une enfant instable… enfin, il ne faut pas trop écouter ce que disent les psychiatres. Ils sont bien obligés de trouver des problèmes là où il n’y en a pas forcement pour gagner leur vie. Aux dires de mes parents, j’étais une enfant indisciplinée. Pas tout à fait un monstre mais pas très loin tout de même.
La vérité c’est tout simplement que j’aimais l’aventure. Toutes sortes d’aventures. Peu m’importait de savoir si ce que je faisais était bien ou mal, l’action m’a toujours paru excitante.
L’interdit et les bornes de la bienséance m’ont également toujours captivée…
Se brûler les ailes ? Il fallait bien que ça m’arrive un jour. Des regrets ? Sur ma fin peut être, mais pas sur le chemin. Vivre à cent à l’heure… Braver les lois… Choquer… Surprendre et s’embraser jusqu’au bout.
Je ne suis pas vraiment surprise par mon enterrement. Je m’attendais bien à quelque chose dans ce style-là. Ma mère accrochée à son mouchoir, mon père stoïque et beau drapé dans sa dignité. Ma pierre tombale : rose. Encore un coup de ma mère. Elle savait parfaitement que j’en aurais eu des hauts le cœur. C’est peut-être sa dernière victoire sur moi. Sa manière de me faire savoir qu’elle a toujours détesté ma vie. Le prêtre fait l’éloge de ma petite personne, ce n’est pas déplaisant mais ça sonne faux. J’ai l’impression qu’il parle d’une autre « enfant modèle, la joie des siens… ». C’est moi qu’on enterre ? Je me suis peut-être trompée d’endroit ou de jours ? Non ! L’épitaphe, elle n’a pas osé. La garce ! « A ma fille, mon ange, ma poupée en porcelaine. »
Poupée ? Ange ?
J’ai toujours pensé que ma mère et moi vivions sur des planètes différentes…
Si je devais dresser un tableau manichéen de nous deux selon elle, elle serait la perfection faite femme, un avant-goût du paradis ; condescendante, mielleuse, bien pensante à mes yeux, et moi une facette de l’enfer ; impétueuse, têtue, non conformiste…
Tous les amis de mes parents sont autour de mon cercueil. Ils me pleurent. C’est vraiment un comble : je connaissais à peine ces gens. Mes amis sont absents. Évidemment ils sont persona non grata. Et celui qui m’a fait ça, est en cavale…
D’où je suis je peux le voir à loisir. C’est bien simple je peux tout voir. Je pensais qu’après ma mort je brûlerais aussitôt à côté de Satan dans son barbecue géant, mais apparemment je m’étais trompée… A moins que ça ne soit qu’une question de temps.
Alors que ma mère nous joue son plus beau rôle et pousse un sanglot de douleur absolument magnifique, je le vois s’engouffrer dans une ruelle. Il est plus beau que jamais avec ses cheveux dans les yeux. La peur qui plisse son front lui confère une aura sensuellement inquiétante. C’est hallucinant, même après avoir passé l’arme à gauche je le trouve attirant.
A croire que je ne serai jamais guérie de lui.
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