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 On m’a retrouvée il y a quatre jours, dans un motel, sur un lit miteux à l'odeur d'urine.

 Les rideaux étaient filandreux, la saleté opacifiait les vitres de telle sorte que je n’avais pu voir le soleil une dernière fois. J’aurais bien aimé rendre mon dernier souffle en admirant l’aube poindre. Évidemment j’étais trop occupée à essayer de respirer le plus doucement possible pour ne pas que mes poumons et ma bouche se gorgent encore de sang. Chaque respiration était comme une lame qui traversait tout mon œsophage. J’ai mis un long moment à mourir. Le temps nécessaire pour penser à des absurdités. Comment j’en étais arrivée là ? Qu’allait penser ma mère en me voyant à demi nue, baignant dans mon sang ? En plus, il faut l’avouer la couleur crue du néon rendait mon teint encore plus blafard qu’il ne devait l’être. Je ne sais plus bien si je suis morte en m’étouffant, la bouche pleine de mon sang, ou si la vie a quitté doucement mon corps en flot continu par mes plaies…

 Le fait est que j’ai souffert. Je le précise parce que c’est vrai que j’aimerais bien un peu de compassion. Ce n’est pas drôle de mourir seule dans un endroit aussi glauque. Déjà qu’un meurtre ce n’est pas très gratifiant…

 On s’est aimé, il aurait pu m’accorder une autre fin. Quelque chose de plus beau, de moins douloureux, il aurait pu me tenir la main jusqu'à ce que je le quitte pour de bon…

 Déjà, il aurait pu choisir un lieu plus propre. Je ne demandais pas la suite nuptiale du Hilton… Mais l’odeur âcre de la pisse est la dernière chose que j’ai respirée. Les derniers effluves, le dernier souffle de vie empli de pisse…

 Ma mère m’a envoyée chez le psychiatre quand j’ai atteint les neuf ans. Selon elle, j’avais des tendances mythomanes. Je n’ai jamais été mythomane, juste très inventive. Tout est une question de point de vue. J’aimais inventer des histoires, ça fait de moi quelqu’un de fou ?

 Je parlais seule. La folie aurait été de me croire plusieurs. J’ai toujours su que j’étais seule.

 Le psy. Un drôle de métier. Il me voulait mythomane. Très bien. Moi je cherchais une oreille à l’écoute de mes histoires. J’ai passé des heures et des heures à le baratiner. J’aurais pu écrire des livres en tout genre. Ce que j’aimais par-dessus tout c’était choquer. Et pour choquer j’avais un don. Ma thérapie aurait pu durer éternellement jusqu’au jour ou je me suis lassée de ces séances hebdomadaires. Tous les mercredis, de 15 heures à 16 heures, pendant Six ans, je lui ai conté mes folies, mes extravagances… Six ans… C’est long.

 L’ennui s’est insinué en moi, et plus rien ne semblait vraiment le choquer. Ni mes propos, ni mon accoutrement, ni mes cheveux et encore moins mes actes. J’ai pris ça comme un défi et c’est vrai que j’ai pris un malin plaisir à devenir amie avec sa fille. Nous avions à peu près le même âge… Elle était telle que ma mère m’aurait voulue. Parfaite, fade et obéissante. Une jeune fille bien élevée, bien sous tous rapports mais tellement manipulable. Quand elle est rentrée chez elle un anneau à l’arcade et ses longs cheveux blonds savamment teints en bleu il a dû en avoir des sueurs froides. J’en ai ri pendant des semaines entières.

 Ma mère et lui ont dû avoir une conversation car deux semaines plus tard, il n’était plus mon psychiatre attitré.

 Je n’ai jamais trouvé ma place auprès des filles. Ma mère se plaignait d’avoir engendré un garçon manqué. Je n’ai pas compris de suite cette expression. Ce n’est que vers mes quatorze ans, quand j’étais plus intéressée par la mécanique que par les cosmétiques, que j’ai compris ce qu’elle voulait dire. L’odeur de l’essence a toujours trouvé en moi des échos de sensualité peut-être même de bestialité… Tout comme le parfum du cuir et le son du rock.

 Mon corps a commencé à se développer. Au départ j’ai refusé avec violence ces changements puis j’ai noté le regard des garçons sur ma peau.

Comme une caresse, une amorce de désir.

 Les premières fois j’ai dû en rougir. Et progressivement j’ai eu besoin de ces regards. J’en suis devenue avide.

 J’ai toujours par mon look attiré les regards. Regards en tout genre et régulièrement réprobateurs. Une jeune fille aux cheveux hirsutes fluo… une jeune fille traînant avec des garçons, une jeune fille extravagante, une jeune fille aux jambes interminables et à la mini-jupe en jean extra serrée, une jeune fille dont les formes deviennent harmonieuses et qui joue les femmes fatales…

 J’ai joué avec les regards masculins, mais le jeu m’a vite lassée, il m’en fallait plus !

 Je voulais plus qu’un regard superficiel. Je voulais le regard d’un homme sur tout mon corps et pouvoir transpercer ses yeux, lire en lui.

 La première fois qu’un homme m’a vue nue, j’ai frémi. C’était agréable. Le reste de notre apprentissage corporel a été plus laborieux. C’était notre première fois à tous les deux. Il a enchaîné maladresses sur maladresses, la pénétration a été douloureuse mais l’envie, le désir suinté par tous ses pores.

 Les fois d’après j’ai choisi des hommes plus expérimentés. J’ai appris comment faire vibrer mon corps. J’ai rapidement appris comment prendre du plaisir seule ou accompagnée. J’ai aussi appris à stimuler l’envie de mes partenaires. Je me suis amusée à semer au cours de nos dîners en famille des petits détails croustillants de ma vie sexuelle. Ma mère a failli s’étouffer une bonne centaine de fois. La voir devenir cramoisie et serrer si fort sa serviette que les jointures de ses mains devenaient blanches me procurait presque autant de plaisir qu’un orgasme. Son regard se faisait noir et toute la répulsion qu’elle avait à mon égard se concentrait dans ses pupilles. A seize ans je couchais avec des hommes mariés, toutes les femmes respectables de ma rue me détestaient, leurs maris et leurs fils eux me désiraient. Ma mère était rongée par la honte et la colère. Je me pavanais dans le quartier en coulant des regards insidieux à qui bon me semblait. Je voulais que ma mère soit au courant de mes faits et gestes…

 Je me suis donné du mal pour la toucher, on peut même dire que j’ai donné de ma personne.

 Un jour j’ai obtenu ce que je cherchais depuis tant de temps. Elle est sortie de ses gonds. Quel spectacle ! Ses boucles permanentées se sont entremêlées, son visage s’est gonflé de rage. On l’aurait dit possédée par une entité démoniaque. Je ne savais même pas que "traînée pute salope" faisaient partie de son vocabulaire. Enfin elle faisait sauter le carcan dans lequel elle vivait. J’ai trouvé cela extrêmement enrichissant. C’est peut-être divertissant et enrichissant, mais me retrouver à la rue m’a semblé beaucoup moins excitant que prévu. Un peu terrifiant même. La peur ? Il parait que la peur fabrique une enzyme spéciale. Je ne sais pas bien ce que ça fabrique mais je sais qu’elle m’a retourné les tripes. J’en ai vomi tout mon dîner sur les allées pavées de ma chère mère. Ma manière à moi de lui dire un adieu des plus tendres. De quoi lui laisser un dernier souvenir impérissable.

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