Les souvenirs de la journée passée avec lui continuent de m'envahir, mais je sens que tout va trop vite. Les images de nos corps enlacés, la douceur de sa peau contre la mienne, tout cela me donne envie de rester à ses côtés pour l'éternité. Mais je dois me raisonner, car mes sentiments pour lui sont un véritable danger. Ma magie est incontrôlable, elle cherche à se lier à la sienne. J'ai peur de ce qui pourrait arriver si je ne parviens pas à la retenir. Bien qu'il me fasse confiance, je ne peux m'empêcher de lui mentir. Mes mensonges commencent à me peser, mais je ne peux pas tout lui dire. Je connais la vérité sur ce qui s'est passé la nuit où ses parents ont été assassinés, quand il a frôlé la mort. Lui aussi été visé, il aurait dû mourir. J'aurai pu lui dire la vérité, me confier enfin mais je ne l'ai pas fait. Je suis trop dangereuse pour lui, pour eux tous. Je ne sais pas où je pourrais me cacher mais je trouverai un endroit où je serai enfin seule. Je veux pouvoir vivre, être libre, ne plus être surveillée en permanence. « Tu ne pourras pas renier qui tu es », me souffle une petite voix. Je le sais et j'en suis consciente. Je suis une héritière au trône et il aura besoin de moi. J'attendrais le bon moment pour revenir, j'attendrais un moment de faiblesse pour assouvir ma vengeance. Je le tuerai.

Nous sommes en fin de matinée quand je décide enfin de sortir de ma chambre. Lorsque je ferme la porte, je regrette déjà les prochaines minutes. J'essaye de maintenir mes émotions au fond de moi mais j'ai l'impression qu'elles vont exploser à tout moment. J'ai de plus en plus de mal à enfermer ma magie, elle ne demande qu'à être libérée depuis que je suis ici. Je souffle longuement pour me donner du courage. Je ne sais pas comment lui annoncer. Comment lui dire que je vais devoir partir après ces moments passés ensemble ? Je ne peux pas rester. Je ne contrôle plus rien, pas même mes sentiments. Je pensais fuir mon père mais désormais je me retrouve à fuir autre chose. Mes pas m'ont guidé devant sa chambre où il s'est enfermé dans la matinée. Il avait une tonne de journaux entre ses bras et il m'avait indiqué qu'il était occupé. C'est la première fois depuis que je suis ici que je le vois travailler. Il avait l'air affolé et pressé. Et s'il avait eu des informations sur moi ? Non impossible. Il serait déjà venu me voir, sûrement accompagné de gardes pour me maîtriser si je venais à me rebeller. Je frappe à la porte et pince mon coude, réflexe idiot qui me laisse une marque sur le bras. Je l'entends marcher rapidement dans la pièce, il met quelque temps à m'ouvrir.

— Oui ? répond-t-il en entrouvrant la porte doucement après quelques secondes d'attente.

Il replace une mèche de cheveux à l'arrière de son crâne et me lance un regard qui me perturbe immédiatement. Quelque chose ne va pas. Je le sais, je le sens. Mon instinct ne se trompe jamais. Il est perturbé par quelque chose et pendant un instant j'hésite à m'enfuir en courant sans prendre d'affaires. Juste partir loin d'ici. Sait-il qui je suis ? Je perçois derrière lui une montagne de journaux sur son petit bureau. Tous ouverts, certains colorés et gribouillés au stylo.

— Je suis tellement désolé murmure-t-il en passant une main dans ses cheveux.

Mon cœur loupe un battement. C'est plus grave. Il y a autre chose. Il s'écarte pour me laisser entrer et je reste stupéfaite devant les papiers éparpillés.

— Qu'est-ce-que ? je murmure dans un souffle. Ce n'est pas possible.

Je sens immédiatement une douleur dans ma gorge et mes yeux se remplissent de larmes. C'est impossible, c'est un cauchemar, c'est bien pire que ce que je pouvais imaginer.

— Je suis désolé j'aurai dû faire attention. Je...Je ne pensais pas que quelqu'un oserait faire ça...

Je n'arrive pas à croire ce qui se trouve devant moi. Avec pour intitulé « Qui est-elle ? », je suis à la une du journal local. Plusieurs photos de moi et de Mattias sont à la première page. Notre moment où nous disputions en rigolant dans la piscine, le moment où nous nous fixions tous les deux, le moment où nous nous enlacions...

Ma vie est un véritable cauchemar. Je suis condamnée à rester ici. Je le dois. Il est en danger. Ils sont tous en danger à cause de moi. Il va me retrouver. Il va essayer de le tuer, encore une fois.

— Ne part part s'il te plait, me devance-t-il. Je vais régler le problème ! Je... Je vais régler tout ça. S'il te plait ne part pas.

— Celui qui me cherche va me retrouver. Il sait où je suis maintenant... J'aurai dû partir plus tôt...

Des larmes coulent le long de mes joues et le beau brun ne peut s'empêcher de saisir sa tête entre ses mains en tournant en rond...

— Je vais renforcer la sécurité autour de la maison si tu le souhaites. Je ferai tout ce qui est possible pour te protéger mais je t'en prie ne pars pas, je ne pourrais pas le supporter.

Je suis submergé par sa détresse, et son regard semble me transpercer. J'étais prête à partir, à fuir mon passé et mes émotions, mais maintenant, je ne peux plus. Je suis immobile, silencieuse, enivrée par cette proximité inattendue.

— Je t'en supplie, reprend-t-il alors que je ne réponds pas.

Des larmes se forment dans le creux de ses yeux, sa voix est remplie de tristesse, elle me touche en plein cœur.

— Je l'ai découvert tout à l'heure. Je... Je ne voulais pas te le cacher. Ça nous concerne tous les deux alors il faut que l'on en parle.

— Peux-tu lire l'article à voix haute s'il-te-plait ? je demande en séchant mes larmes.

Mattias souffle longuement avant d'entamer sa lecture, peu sûr de lui.

— « Voyant que notre chef de clan, Mattias Brauwn, n'apparaissait plus que très rarement dans les bureaux de la mairie, nos journalistes se sont penchés sur ce qui pouvait lui arriver. Ce n'est pas une énième dispute entre les clans mais une jeune femme qui détourne notre jeune chef de son rôle. En effet, comme vous pouvez le constater via les différentes photos ci-dessus, il semblerait qu'une mystérieuse jeune femme soit à l'origine de sa disparition. Mais qui est-elle ? Nous ne savons pas. Nous n'avons pas encore réussi à déterminer leur relation mais il semblerait qu'ils soient assez proches. Sont-ils amis ou amants ? Affaire à suivre... »

— Ce n'est pas vrai, je dis à nouveau en me mordant l'intérieur de la joue.

— Je n'arrive pas à y croire, s'énerve Mattias en froissant le journal jusqu'à ce qu'il finisse en boule. Je vais trouver ceux qui ont osé pondre cet article ! Je te jure qu'ils vont le regretter !

— Non ça ne sert à rien, je réponds en posant une main sur sa poitrine pour le calmer. C'est trop tard désormais. Le mal est fait...

Je me détache immédiatement de son corps, déstabilisée. J'essaye de le rassurer mais je rêverai de faire bouffer son article à ce crétin de journaliste. Il vient de détruire tous mes plans.

— Le type nous a pris en photo chez moi. Il t'a affiché publiquement alors que tu voulais être en sécurité. Je suis désolé je n'ai pas fait assez attention tout est de ma faute.

Je secoue la tête.

— Rien n'est de ta faute, je le rassure. Tu ne pouvais pas anticiper ce qu'il s'est passé. Il n'y a pas que moi qui suis exposée, toi aussi tu es en première page.

— Mon image m'importe peu, dit-il rapidement.

— Mais tu es chef de clan. On pourrait te voir comme un gamin incompétent.

— J'ai connu des scandales, je vais surmonter celui-là. S'il te plait, ne pars pas.... De quoi as-tu si peur ? Je te protégerai du danger.

Je voudrais tout lui avouer, mais les mots se coincent dans ma gorge, je n'en suis pas capable. De quoi ai-je peur ? Qu'il me retrouve. Mais j'ai aussi peur de le perdre lui. Si je venais à partir ne serait-il pas en danger ? Il est capable de se servir de notre proximité pour lui faire du mal. J'en suis persuadée. Il comptait déjà s'occuper de lui auparavant mais la situation a changé. Désormais c'est à moi de le protéger, il est en danger à cause de moi. J'ai peur de ce que je ressens pour toi imbécile, ai-je envie de lui crier. Mais je suis juste devant lui, le visage livide, incapable de bouger.

— J'ai peur que celui qui me cherche se venge sur toi, je lui avoue.

— Il ne me fera rien, tu ne sais pas de quoi je suis capable.

— Tu ne sais pas ce dont il est capable non plus.

— Je suis chef de clan, j'ai une communauté toute entière derrière moi.

Je m'apprête à répliquer mais ce serait lui donner un gros indice sur mon identité alors je ne dis rien. Il a une communauté entière derrière lui, des amis formidables, une armée et des espions qui ont déjà prouvé leur efficacité. On a déjà essayé de le tuer, je le sais. Toutes ces missions ont échoués. Je me souviens du nombre de fois où j'ai entendu hurler dans le manoir et des coups de ceintures que j'ai reçu parce qu'il ne supportait pas leurs échecs. Il a décidé qu'il allait s'en occuper lui-même, qu'il attendrait le bon moment pour pouvoir le tuer. Il enverra sûrement des espions pour me localiser, pour vérifier si je suis bien là, à ses côtés. Et ces espions, je les tuerais.