— Almar, lève-toi. Vite.

Le jeune homme fut secoué à l'épaule. Il se tourna en marmonnant.

— Encore quelques minutes.

— J'ai du travail, gamin. Je ne peux pas te garder ici plus longtemps.

Almar ouvrit les yeux et croisa ceux de Ger, le forgeron. Ce dernier se tenait face à lui, les mains sur les hanches, l'air autoritaire. Le garçon se leva et s'étira avec bruit, puis il rangea la couverture miteuse. Elle lui servait de matelas de fortune dans cette pièce au sol poussiéreux. Ses cheveux blonds étaient encore en bataille et sa tunique n'avait pas été lavée depuis un moment, aussi dégageait-elle une légère odeur qui lui piqua le nez.

— Va faire un tour, tu ne peux pas rester ici, lui dit Ger.

— Je comprends, merci quand même pour la nuit, répondit l'adolescent en hochant la tête.

— Tu sais que je t'aime bien, gamin, et ça ne me plaît pas de te voir dehors, poursuivit le forgeron en soupirant. Mais il faudrait vraiment te prendre en main. Tu ne peux pas te permettre de vivre comme ça longtemps. Les gens vont finir par fermer leurs portes.

Il ébouriffa les cheveux du garçon qui quitta la forge avec un sourire.

Almar avait perdu ses parents, et personne ne l'avait recueilli. À cause des famines du royaume, les foyers étaient pleins. L'orphelin venait d'avoir quinze ans, et il était temps pour lui de devenir apprenti s'il désirait un toit.

Mais il avait tout essayé. Boulanger, forgeron, tailleur, cordonnier, aucun des métiers de l'artisanat ne lui convenait. Son talent, c'était la magie. Si on pouvait appeler cela un talent. Il était doué avec les cartes, elles lui procuraient de quoi survivre. Il organisait de temps en temps des petits spectacles clandestins sur la petite place de son village et amassait quelques piècettes pour ses repas. La somme était dérisoire, misérable, même. Incapable de lui offrir une nuit à l'auberge. Il était donc contraint de profiter de la charité de ses anciens patrons pour ne pas dormir dans la boue.

Parmi eux, Ger était l'un des forgerons du roi. Grand, armé de bras massifs et d'une imposante moustache, il fabriquait les meilleures épées du royaume : souples et tranchantes. Le vieil homme possédait un savoir-faire inégalé. Il avait accepté de prendre sous son aile le jeune Almar pendant une semaine éreintante. Mais l'expérience s'était révélée un échec. Toutefois, la relation entre les deux s'était bien développée et le garçon pouvait compter sur son ancien mentor. Pourtant, ce dernier ne pouvait pas se permettre de garder l'adolescent. Il avait déjà sa propre famille à nourrir. C'est pourquoi il le laissait dormir de temps en temps à la forge.

Endorlori par sa nuit, l'orphelin marchait pour se réveiller. Il se baladait dans le village, comme à son habitude, et saluait les commerçants, prêts à les aider. Il souleva un panier qui débordait de pommes et l'emboîta sur son épaule. Une femme rondouillette se tourna vers lui et sourit.

— Almar, merci mon chéri.

Le bon samaritain posa le panier sur un étalage et commença à entreposer les fruits derrière un panneau.

— Pas de problème, madame Terfield, si je peux aider.

Il termina sa besogne puis replaça le panier à son emplacement d'origine. La jeune femme caressa son visage et lui offrit l'un des fruits en récompense. .

— Prends des forces. Les temps sont durs.

Almar croqua joyeusement dans la pomme et tourna les talons. Il continua sa route, profitant de chaque occasion pour offrir ses bras, puis s'arrêta en voyant une foule amassée vers la petite place. N'étant pas très grand, il lui était impossible de voir ce qu'il se passait. Le jeune homme se faufila jusqu'au premier rang et remarqua qu'une scène avait été montée pour une pièce de théâtre. Cette dernière attisa sa curiosité : ce genre de représentation était rare dans le village. Almar ne connaissait pas cette troupe.