Almar II (1/2)
— On y arrivera jamais avant la tombée de la nuit.
— Rien ne nous empêche de nous arrêter, faire un campement et nous reposer.
— Dans la forêt des Pendus ? Plutôt mourir ! On raconte que l'endroit est rempli de brigands en tout genre.
— Pourquoi ne pas faire demi-tour, s'arrêter dans un village proche et faire notre spectacle ? Nous continuerons la route demain après un bon repas.
— C'est une idée.
La caravane était arrêtée depuis quelques minutes et plusieurs voix s'élevaient. Almar était resté caché depuis le début du voyage et ses jambes lui faisaient mal. Mais il devait laisser tomber le confort s'il ne voulait pas être découvert.
À l'extérieur, deux hommes et une femme n'étaient pas d'accord sur la démarche à suivre. L'un d'eux s'exclama :
— Faire demi-tour ? Cela nous ralentirait d'au moins une journée. Je vous rappelle que nous devons nous rendre au mariage du prince avant la fin de la semaine. Nous ne sommes pas en vacances.
— Allons Argus, fit la femme, si nous trouvons de quoi bien nourrir les chevaux, je suis sûr que nous pourrons rattraper le retard.
Son interlocuteur ne répondit pas et des bruits de pas indiquèrent qu'ils s'éloignaient de la roulotte. Le ventre du garçon se mit à gargouiller : il n'avait rien avalé depuis la pomme de madame Terfield. Il sentit le véhicule tourner et repartir dans l'autre sens. L'adolescent avait essayé de fermer les yeux pour s'endormir et oublier sa faim, mais les violentes secousses, dues aux routes mal entretenues, ne lui permettait pas de garder une position confortable. Certains accessoires lui frappaient parfois la nuque lors des cahots.
Endolori, l'orphelin voulut sortir quelques minutes pour s'étirer, lorsque la caravane s'arrêta de nouveau, et quelqu'un entra. La personne portait des chaussures de ville et un pantalon de costume.
Elle s'avança vers la table et s'affaira. Le jeune homme se fit le plus discret possible, mais un gargouillis trahit sa présence. Il sentit l'inconnu se figer puis, d'un geste vif, surprendre le villageois en l'attrapant par le bras. Mis sur pieds, ce dernier reconnut le magicien. L'homme le tenait fermement d'une main, et de l'autre, pointait une épée vers l'intrus. Le garçon prit peur mais la poigne était trop forte pour qu'il puisse s'enfuir. D'un ton sec, l'artiste demanda :
— Qui es-tu ? Que fais-tu ici ?
Le malheureux voulut répondre mais les mots se coincèrent dans sa gorge. Il ne savait pas comment expliquer sa présence et était terrifié à l'idée de se retrouver seul, dans la forêt, si l'envie prenait à la troupe de l'abandonner. Il balbutia :
— Je... pardonnez-moi...je ne voulais pas vous déranger.
— Explique-toi où je t'embroche, ordonna l’illusionniste, en rapprochant sa lame. Tu es venu nous espionner ? Nous voler nos richesses ? Nos marchandises ? Nos vivres ?
— N...n...non !
L'adrénaline montait au cerveau de l'adolescent qui n'avait jamais fait face à une telle situation auparavant. Ne cherchant plus à se débattre, il prit une profonde inspiration.
— J'aimerais faire de la magie avec vous.
Les mots étaient sortis naturellement, et l'homme resta stupéfait.
— Tu quoi ?
L'homme se faisait moins menaçant, et Almar essaya de se calmer. Il sentit la poigne réduire son emprise, lui laissant une légère douleur. L'orphelin raconta la vérité à l’illusionniste.
— Je vous ai vu sur scène, vous êtes époustouflant. J'ai demandé à vos collègues si vous cherchiez un magicien, mais j'ai essuyé un refus. Cependant, on m'a conseillé de rejoindre la ville pour trouver du travail et comme vous me sembliez sur le départ, je me suis joint à vous. J'aurais peut-être une chance de montrer mes talents là-bas. J'aime la magie, c'est toute ma vie. Je ne suis ni un voleur, ni un mercenaire. Je cherche juste à survivre.
L'artiste l'avait laissé terminer et le fixait toujours d'un air méfiant. Mais l'aspect chétif et la tunique rapiécée et rongée par les mites du jeune homme finirent par le convaincre et il abaissa son arme.
— Depuis quand es-tu ici ?
— Depuis Valneuve.
— Tu es là-dessous depuis tout ce temps ? s'exclama le magicien, l'air surpris, en pointant du doigt la table.
— Exact.
L'homme allait poursuivre lorsqu'une voix s'éleva pour l'appeler.
— T'en es où Martial ? Dépêche, on a de la route à faire.
— J'arrive dans quelques minutes.
Il se mit à la hauteur du garçon et continua :
— Je suis navré pour toi, mais tu vas devoir rester caché encore un peu. Si le reste de la troupe te voit, tu seras jeté dehors. Nous sommes restreints en terme de nourriture mais je vais voir ce que je peux faire. Le plus important, c'est que tu restes invisible, compris ?
— Personne ne me remarquera, acquiesça Almar d'un hochement de tête.
L'illusionniste sourit et se tourna vers la table pour terminer ce qu'il était venu faire. Il prit un petit coffre en bronze et fouilla dans ses poches. Le doute le gagna lorsqu'il ne put trouver ce qu'il cherchait. L'adolescent sortit une clé de sa manche et la montra à l'artiste.
— C'est ça qu'il vous faut ?
Ce dernier continua de palper sa veste, avant de rendre à l'évidence : c'était bien à lui qu'était l'objet entre les doigts de l'orphelin. Il resta bouche-bée.
— Comment as-tu fait ça ? fit-il en arrachant la clé.
— Je vous l'ai dit, je fais de la magie.
— Ne me fais pas rire. Tu ne connais rien à la magie.
Il ouvrit le coffre. Plusieurs parchemins étaient pliés à l'intérieur. Il en saisit un et le rangea soigneusement dans son vêtement, avant de refermer la boîte. Le magicien plaça ensuite la clé dans une poche intérieure et s'apprêtait à sortir lorsqu'il se tourna vers le garçon avec un sourire.
— Tu m'intrigues. Je reviendrai te voir bientôt.
Il fit signe à Almar de se cacher puis sortit de la caravane. Quelques minutes après, la troupe était repartie.
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