Almar II (2/2)
Une secousse réveilla l'orphelin qui s'était assoupi. La troupe venait d'arriver au village et s'affairait à préparer son spectacle. Les rayons du soleil couchant à travers le hublot parvenaient jusqu'à Almar. Ce dernier se hasarda à observer l'extérieur : les pavés alignés des routes les avaient accueillis, tout comme la foule qui s'amassait autour de la scène. Celle-ci était déjà en place, et le musicien au luth préparait des feux pour donner plus de lumière à leur décor. Le garçon perçut également le rugissement d'un tigre. Il sentit du mouvement vers sa caravane, aussi se replaça-t-il dans sa cachette. Une voix le rassura.
— Petit ? C'est moi.
Martial s'accroupit et croisa le regard du jeune homme. Ce dernier sortit pour se placer en face du magicien qui se releva.
— Un problème ?
— Non. Juste pour te donner quelques directives. Les autres seront occupés pendant le spectacle. Si tu veux sortir, te dégourdir les jambes ou revoir la représentation, tu es libre. Mais reste discret, ne va pas trop loin et surtout, reviens avant la fin, sinon on partira sans toi.
Almar acquiesça, un peu surpris par ce tutoiement soudain, mais son ventre eut quelques réclamations.
— Je tâcherai de t'apporter quelque chose au moment du départ, ne t'inquiète pas, fit l'illusionniste en souriant.
Il poussait la porte pour sortir, lorsque le garçon s'exclama :
— Pourquoi vous faites tout ça pour moi ?
Hésitant, l'artiste lui lança un regard de compassion.
— Parce que tu me rappelles mes débuts, répondit-il avant de quitter la caravane.
Le villageois resta abasourdi, puis réalisa qu'il se tenait en plein milieu et que si quelqu'un d'autre venait à entrer, il serait exposé. Il resta caché ainsi quelques minutes, attendant que le spectacle commence, puis, lorsqu'il entendit le luth démarrer, il descendit de la roulotte, non sans vérifier les alentours.
Tout le monde était concentré sur la scène, aussi n'eut-il aucun mal à se faufiler vers l'intérieur du village. Il se baladait, profitant de l'air frais et de ses jambes restées trop longtemps recroquevillées. Il percevait, bien qu'étouffées, la douce mélodie du musicien et les acclamations du public. L'orphelin gambadait, d'impasses en ruelles, explorant le bourg. Les maisons et les échoppes dormaient. Le temps semblait s'être arrêté. Il resta un long moment à errer.
Sa marche fut stoppée lorsque le cri d'une petite fille lui parvint, quelques rues plus haut. Il s'empressa de monter voir. Là, entre deux édifices, une fillette se faisait agresser par trois jeunes garçons. Elle tirait de toutes ses forces pour récupérer son lapin en peluche, subtilisé par le plus grand de ses adversaires.
Ces derniers avaient à peu près le même âge qu'Almar, et il n'hésita pas une seconde. Malgré les instructions de Martial, il fonça sur le groupe et poussa violemment l'un des garçons. Les autres se retournèrent.
— T'es qui, toi ? cracha celui qui tenait le lapin.
Sans même répondre, le jeune homme asséna à son opposant un violent coup de poing. Mais le second surgit derrière lui et l'attrapa pour le maintenir en place. Désavantagé, l'adolescent ne pouvait leur faire face et reçut une ruée de coups. La petite fille hurla et appela à l'aide. Rien n'y faisait, l'apprenti héros sentit sa bouche se remplir de sang.
Puis le plus grand du groupe bondit en arrière, se tenant l’oeil gauche avec un cri de douleur. Une carte atterrit au sol près de lui. Plusieurs autres volèrent et vinrent frapper les opposants, qui prirent la fuite devant cette menace fantôme. La fillette récupéra sa peluche.
L'orphelin s'agenouilla et cracha. Par chance, il n'avait perdu aucune dent. Un bras puissant le saisit et le releva : c'était celui du magicien, qui semblait contrarié.
— Qu'est-ce que je t'avais dit ? Heureusement que je suis retourné à la caravane après mon numéro et que je suis parti à ta recherche. Qu'est-ce qui t'as pris de traverser le village ? Sans les hurlements de la gamine, qui sait dans quel état je t'aurais retrouvé ?
L'artiste lâcha le jeune homme puis se dirigea vers l'autre victime pour vérifier qu'elle allait bien. Il accompagna la petite chez elle, et ramena Almar dans la caravane avant de sortir. Puis il revint quelques minutes après avec une maigre portion de ragoût.
— Je suis désolé, marmonna l'adolescent en avalant quelques bouchées. J'ai fait une erreur, j'aurais dû vous écouter.
— Précisément, oui, dit l'illusionniste en s'asseyant près du villageois. Tu as voulu jouer les héros, comme tous les jeunes de ton âge. Insouciant, avec un semblant de courage. Fais attention à toi, la vie, ce n'est pas juste foncer tête baissée. Il faut savoir éviter les obstacles, et cela demande un peu de jugeote.
— C'était plus fort que moi, rétorqua le garçon. Je ne pouvais pas laisser ces gens attaquer une pauvre innocente.
— Je comprends bien. Ce n'est pas mauvais ce que tu as fait, mais c'était stupide.
— Qu'auriez-vous fait à ma place ?
— Pris quelque chose pour pallier mon désavantage ?
Almar ne pouvait qu'acquiescer. Mais un autre détail l'intriguait.
— Vous les avez attaqués avec des cartes, non ?
— Oui, pourquoi ?
— Comment vous faîtes ? Une carte ne peut pas blesser autant.
L'artiste se leva et épousseta son costume avant de se diriger vers la sortie.
— Tu le sais peut-être déjà, mais la règle numéro un de la magie est la suivante : Ne jamais dévoiler ses tours. Je te laisse cogiter là-dessus.
Il quitta la caravane et laissa l'adolescent seul avec son ragoût et ses questions. Le garçon finit le premier rapidement. En revanche, le reste lui rendit le sommeil difficile.
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