Seth II (1/2)
— Regarde moi ça, chuchota Seth.
Les deux acolytes se cachaient derrière les arbres et observaient un campement de voyageurs. Ils étaient une demi-douzaine près de marchandises et dormaient à poing fermés, sauf l'un deux qui montait la garde près du feu. L'homme ne possédait qu'une rapière et n'avait pas l'apparence d'un soldat. En détaillant leurs vêtements, l'évadé pensa à des brigands. Ils étaient les seuls qui avaient le courage de pénétrer aussi loin dans la forêt. L'occasion était trop belle. Le duo n'avait presque pas pu se nourrir durant leur voyage, et les chevaux étaient affamés. Ces derniers avaient été accrochés à un arbre à quelques centaines de mètres d'eux.
Martin profita de l'éloignement du guet pour lui tirer une flèche dans la trachée, l'empêchant de crier. Ce dernier suffoqua puis s’effondra. Seth se saisit de l'arme du défunt et avança vers le camp. Avec une dextérité féline, il trancha la gorge des pauvres malfrats endormis et fit signe à son coéquipier. Ce dernier affichait une mine peu satisfaite.
— Je n'aime pas trop ce mode de fonctionnement. Nous ne sommes pas des bandits.
— Moi non plus cela ne me réjouit pas, répondit le mercenaire en haussant les épaules, mais nous n'avons pas le choix. Les baies, ça va bien cinq minutes mais il y en a trop peu pour que nous puissions survivre, et encore moins les chevaux. Ce pillage est exceptionnel, le temps que nous rejoignons la ville. Ensuite, nous reprendrons la méthode classique.
Il utilisa la tenue de l'un des pilleurs pour essuyer le sang sur sa lame. Le garçon hésitait à s'affairer et protesta :
— Et la chasse ?
— Dans la forêt des Pendus ? Il paraît que l'odeur des cadavres fait fuir les animaux. Certains piliers de bar racontent même que l'endroit serait maudit et recouvert de magie noire.
Martin lança un regard dédaigneux à son compère et ricana :
— Tu te mets à croire ces poivrots maintenant ? Mais c'est vrai que je n'ai pas remarqué de trace depuis notre arrivée.
— Tu vois. Je sais bien que ce que nous faisons n'est pas très raisonnable, mais de base, nous tuons des gens. Alors, quelques-uns de plus ou de moins.
— Un contrat, c'est différent, rétorqua l'archer. Ici, c'est juste du vol.
— Disons que nous leur empruntons leurs biens pour une durée indéterminée, termina Seth d'un air innocent.
Le rouquin se résigna et récupéra les sacs de provisions qu'il déposa sur son épaule. L'évadé sélectionna ce qui pourrait leur servir, fouilla les poches des cadavres pour subtiliser leur or et s'enfuit après avoir éteint leur feu. La dernière chose qu'il voulait était un incendie dans la région qui les handicaperait.
Ils récupérèrent leurs chevaux et reprirent la route en direction de Telavire. Le soleil s'était couché depuis un moment mais ils ne s'étaient pas reposés. Aussi prirent-ils la décision de s'arrêter dans un coin. Le garçon observa les lieux et décréta que la formation des arbres leur offrirait un bon abri pour la nuit. Ils attachèrent à nouveau les montures à un tronc et établirent leur campement. Le duo avait récupéré de leur larcin quelques couvertures ainsi que du bois. Martin sortit quelques morceaux de viandes à faire cuire et avala une grande gorgée d'eau du bidon des paysans. Les mercenaires avaient commencé par boire l'eau du fleuve, mais dès leur entrée dans la forêt, celle-ci était devenue trouble et opaque et les poissons avaient disparus.
La forêt des Pendus était une terre désolée, vestiges des Guerres du Sang. Peu de gens risquaient de s'y aventurer, hormis les hors-la-loi, et le duo avaient également hésité à prendre ce chemin. Mais ils manquaient de ressources et devaient gagner la ville, et c'était le moyen le plus court d'atteindre Telavire. De jour, les voyageurs progressaient avec prudence en priant pour ne pas tomber sur des pilleurs, mais suffisamment vite pour sortir de la forêt avant la tombée de la nuit. Car le lieu faisait l'objet de contes et légendes obscures qui lui donnait sa réputation mystique. Certaines indiquaient même que les esprits des défuntes armées hantaient encore l'endroit et qu'ils contrôlaient les racines, cherchant à capturer les âmes des aventuriers.
Seth ne croyait pas à ces histoires pour enfants et prit le premier tour de garde pour laisser son camarade se reposer, le ventre plein. Il avait sorti la rapière et la maintenait contre lui, les sens à l’affût. Le mercenaire observait les alentours : Seuls les ombres des arbres dansaient autour du feu. La lune donnait une apparence fantomatique au décor. Le vent murmurait à l'oreille du jeune homme, qui n'était tout de même pas rassuré. Le bruissement des feuilles le surpris et il leva sa lame au visage, prêt à attaquer. Une silhouette apparut près d'un tronc et semblait provenir des buissons.
L'ancien prisonnier déglutit et prit son courage à deux mains. Il s'approcha, sur ses gardes, et pénétra les feuillages. Un chuchotement lui parvint, fin, presque imperceptible.
— Attention au lion d'argent...
L'évadé s'avança un peu plus, puis l'ombre se dissipa, ne laissant place qu'à la sienne qui dansait en harmonie avec les flammes.
De retour au campement, il trouva Martin assis, à moitié réveillé.
— Tout va bien ? fit ce dernier.
— Oui, parfaitement, répondit son coéquipier, encore ébahi par ce qui venait de se passer. Je suis juste fatigué.
C'était la seule explication plausible qu'il trouvait : une hallucination. Comment la forêt avait-elle pu lui parler ? Cela semblait absurde.
L'archer se proposa pour continuer la garde et laissa Seth se reposer. Mais ces mots continuèrent de le hanter, et il trouva difficilement le sommeil.
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