Seth II (2/2)

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***

Le duo continua sa route à l'aube et sortit de la forêt. Ils piquèrent dans la marchandise volée au moment du repas puis arrivèrent à Telavire en fin de journée. Sans hésiter, les mercenaires firent halte dans une auberge pour reposer leurs chevaux, et leurs fesses endoloris par le trot. Ils poussèrent la porte et prirent place. L'établissement était bondé et bruyant : de nombreux voyageurs comme eux venaient également ici passer la nuit. Au fond, un jeune barde s'égosillait pour délivrer ses mélodies au dessus du brouhaha ambiant.

Le patron, un torchon sur l'épaule et de la sauce sur le tablier, s'approcha de leur table.

— Binv'nue à vous, j'vous sers queq'chose ?

— Deux côtelettes s'il vous plaît, répondit le rouquin.

— Ah, fit l'aubergiste, vous m'cuserez, n'a pu ça. R'vanche, j'peux vous concocter la spécialité maison : cervelle d'sanglier aux lentilles.

Martin jeta un regard à son acolyte qui n'était pas plus rassuré. Mais ils avaient faim, aussi Seth s'exclama :

— C'est parfait. Deux comme ça.

Le tenancier nota et regarda l'écurie près de la fenêtre avant d'ajouter :

— C'est à vous les deux canassons là-bas ?

— Oui, pourquoi ? demanda l'archer.

— Si vous v'lez qu'y puissent bouffer, va falloir payer un s'plément foin.

— Faites donc, termina l'ex-prisonnier.

Le patron hocha la tête et se dirigea vers d'autres clients. Les deux compères soufflèrent, le voyage leur avait laissés de sacrées courbatures. Ils s'étirèrent et attendirent le repas. Quelques minutes plus tard, une serveuse blonde aux courbes généreuses leur apporta deux immenses assiettes qui dégageaient une odeur de cadavre. L'employée leur lança :

— La cervelle aux lentilles, c'est pour vous ?

Le duo acquiesça et observèrent leurs plats, écoeurés. Au centre d'un cercle de légumes, le cerveau de la pauvre bête s'était transformé en bouillie blanchâtre, semblable à de la semence. Seth déglutit et s'efforça de ne pas vomir. Son camarade écarquilla les yeux, le nez pris par le parfum du dîner. S'ils avaient su, leur commande aurait été tout autre.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? s'offusqua l'ancien captif.

— Je crois qu'ils appellent ça une spécialité.

— Tu rigoles ? La dernière fois que je suis passé ici, ils servaient encore un souper consommable. On va choper la peste avec ça.

— Il nous reste toujours la marchandise des bandits.

— Mais si on tape dedans maintenant, on en aura plus pour le reste de la route.

— C'est pas faux.

À contrecoeur, ils avalèrent leurs assiettes et prièrent pour ne pas tomber malade. Si l'odeur les dérangeaient, le goût était pire : insipide au premier abord, avec un arrière-goût qui leur arrachait une grimace, la bouillie, une fois dans l'estomac leur donnait des maux. Ils avaient l'impression de déguster des excréments.

Repu mais le teint maladif, ils se levèrent et rejoignirent le bar, où se tenait l'aubergiste. Ce dernier remarqua l'expression de ses clients et s'étonna :

— V'z'allez bien ?

— Parfait, c'était excellent, mentit Seth.

Le chef sourit et s'apprêtait à répondre à la demande d'une table lorsque le mercenaire lança :

— Auriez-vous une chambre pour la nuit ?

— Une chambre ? reprit le patron. M'foi non, on est pleins. V'ec le mariage du prince, les étrangers passent par ch'nous pour s'rendre à la capitale. Tout s'est vendu comme des p'tits pains.

— Le mariage ? interrogea le garçon.

— Quoi, v'n'êtes pas au courant ? Le prince d'Kaaloss épouse une noble de ch'ais pas d'où à la fin d'la semaine. Tout l'Continent va fêter ça, même la reine d'Nélide s'ra présente. Vont faire une gigantesque cérémonie. Pour nous c'est qu'du profit, Telavire est sur la route jusqu'à Cendor. L'commerce n'a jamais été aussi florissant.

Seth parut surpris, pourtant il avait entendu parler de cette nouvelle. Afin de resserrer les liens entre les peuples, le roi mariait son fils à la fille d'un puissant seigneur de l'empire voisin : celui de Galure. Les deux territoires étaient rivaux depuis la nuit des temps. Le souverain souhaitait sceller leur alliance et enterrer définitivement la hache de guerre. Une bonne idée selon le mercenaire, qui aurait mal supporté de voir les Orcs Galures débarquer près de chez lui. Ces derniers étaient plus imposants que les hommes et ne connaissaient pas toujours le mot « pitié ». Les guerres du Premier Sang attestaient de ces débordements passés, tout comme la forêt des Pendus.

Martin claqua ses doigts pour ramener son ami à la réalité, puis se tourna vers l'aubergiste.

— Connaissez-vous un autre endroit où nous pourrions dormir ?

— Y'a bin la taverne de Blessuir, c'pendant j'vous la conseille pas. Y'a plus d'mites que d'clients. Sinon, si v'z'êtes pas trop peureux, j'peux vous laisser dormir à l'écurie.

— Va pour l'écurie, conclut l'archer. Au moins on sera sûrs que personne nous pique nos chevaux.

— Comme v'lez, fit le tenancier en haussant les épaules. Mais faudra qu'même passer à la caisse.

L'évadé tendit quelques pièces d'or au chef qui lui serra la main en guise d'accord, puis le duo sortit. Ils allèrent retrouver leurs montures. Les mercenaires sortirent les couvertures et s'installèrent près d'eux, dans le foin. Le garçon s'étonna que son camarade se couche tôt.

— Tu ne vas pas à la taverne ce soir ?

— Crois-moi, j'aimerais bien, rétorqua son coéquipier, mais l'immonde plat de ce soir m'en empêche. Si j'avale une seule bouteille d'alcool, je sens que je vais tout rendre.

Le rouquin ricana puis se tourna, prêt à dormir. Seth resta un instant à rêvasser. Il avait oublié l'union du prince. C'était peut-être une occasion pour eux de se refaire. Il y avait toujours des contrats dans l'ombre des mariages. Leur itinéraire était donc tout tracé pour la suite.

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