Valyrion I (1/2)
— Que dois-je faire ?
Valyrion murmurait, les genoux au sol, les mains jointes contre son coeur et la tête baissée. Sa robe en tissu blanc traînait et le recouvrait jusqu'aux chevilles, accompagnée de spartiates. Dans son dos flottait le signe du monastère auquel il appartenait : un cercle azur coupé au centre d'un sceptre d'or. L'orc priait, face à la statue de Deleterre, la divinité de la fertilité. Celle-ci avait l'apparence d'une femme aux attraits sylvestres dont les bras s'étalaient tels des racines. À ses pieds, quelques pousses et graines venaient terminer la sculpture. Le jeune homme implorait la déesse de purifier ses terres meurtries par les Guerres du Sang de ses ancêtres. Les années avaient passé, mais le Continent n'oubliait pas.
Si les elfes et certains humains invoquaient encore les Anciens Dieux, les orcs vénéraient leur propre panthéon. C'était l'un des résultats de ces sanglantes batailles. Pour le peuple Galure, ces divinités antiques n'avaient semé que le trouble sur le monde et ne méritaient pas toutes ces offrandes et cette attention que les autres leur accordaient. La rupture religieuse fut d'ailleurs une autre raison pour eux d'affronter les pays voisins.
— Quel affront, pensa Valyrion.
Les courants de pensée prônaient la paix et l'unité. Comment certains pouvaient-ils s'en servir pour faire la guerre ? Cet état d'esprit mettait le prince hors de lui. Plus particulièrement lorsque celui-ci venait de son père.
Dragarion était l'empereur de Galure. Aîné du chef de clan des Crocs-d'Acier, il démontra ces capacités de meneur d'hommes au fil des années, d'abord dans sa propre tribu, puis dans tout l'empire. C'était un orc massif, à la peau rouge et au tempérament bestial. Même si ses conseillers le contenaient, il était de ceux qui aimaient rappeler aux gens la puissance de son peuple durant les Guerres de Sang, et ce qu'ils gagneraient à étendre leur territoire. Le souverain n'était néanmoins pas fou et savait que la diplomatie était primordiale s'il voulait garder sa place. L'époque où les clans élisaient leur monarque par la force était révolue, et la popularité était un point à ne pas négliger.
Valyrion était l'opposé de son père. Le teint orangé, la taille fine, le jeune homme était pacifique. Ses parents voulaient le former aux armes et à la politique, en vue de faire de lui le prochain empereur, mais celui-ci n'en avait que faire. Il avait très vite intégré, contre leur gré, l'école des Moines Stellaires, destinée à apprendre les rudiments des divinités astrales, telles que Deleterre ou Ouranos, le dieu des courants. Le jeune orc avait, entre autres, rejoint les rangs de la classe du Père Allafyn qui prenait l'éducation religieuse du prince très à coeur. Depuis ce jour, ce dernier passait le plus clair de son temps dans le temple relié au château et s'exerçait comme lui indiquait son mentor.
Le garçon perçut des bruits de pas et tourna la tête. Dans l'embrasure de la porte se tenait le moine qui s'approcha. Le jeune homme arrêta aussitôt sa prière et se leva pour accueillir son professeur.
— Encore occupé à réciter vos psaumes, mon prince ? s'exclama ce dernier.
— La prière est source de bien-être. Vous me l'avez enseigné dès le premier jour où je suis venu vous faire part de mon intention d'intégrer les ordres.
— Ce que j'ai directement loué. Avoir un prince-moine à la tête de l'empire serait une bénédiction et une fierté pour nous.
Valyrion ne répondit pas et détailla le vieil homme. Le Père Allafyn, élancé et habillé d'une robe semblable à celle du monarque, regardait celui-ci de ses yeux flamboyants. Ses longs cheveux argentés lui tombaient sur les épaules jusqu'au torse et il parlait en effectuant des gestes précis et lents. Son visage, contrairement aux autres orcs, était fin et sa voix douce. Si la taille de ses canines inférieures, propre à leur espèce, ne le trahissait pas, il aurait pu se faire passer pour un elfe.
Allafyn faisait partie de ces gens qui ne s'énervaient jamais, mais dont la colère était silencieuse, terrifiante. Le poids de ses mots avait plus d'impact que la puissance de ses cordes vocales.
Voyant l'aspect morose de son élève, le moine lui posa une main sur l'épaule.
— Quelque chose vous tracasse, mon prince ?
Le jeune homme ne savait pas comment exposer le problème. Il était fier de sa famille, pour sûr. Il avait néanmoins ce sentiment de ne pas appartenir à la bonne. Le rôle de fils de l'empereur ne lui seyait pas. Son père souhaitait un héritier fort, robuste et à son image. Tout le contraire de ce qu'il était. Ne souhaitant plus garder cela pour lui, il se confia :
— Père Allafyn, pensez-vous vraiment que je vaux de succéder à mon père ?
Le moine digéra quelques secondes la question puis eut un fou rire avant de s'arrêter, devant le visage sincère du garçon. Le vieil homme répondit :
— Mon prince, il vous reste beaucoup à apprendre.
— Que voulez-vous dire ? fit ce dernier, intrigué.
— Au fil des années, vous finirez par comprendre que chaque être a la place qu'il mérite et que rien n'est laissé au hasard. Si vous êtes le prince de l'empire, c'est que le destin veut faire de vous un meneur pour prêcher la parole divine et la faire rayonner. Vous êtes différent de votre père et c'est ce qui fait votre force. Cependant, vous deux avez une chose en commun : le courage.
— Le courage ? reprit Valyrion, étonné de se voir attribuer une qualité qu'il ne se connaissait pas.
— Oui. Je connais votre père depuis des années. C'est un homme valeureux qui a sacrifié bien plus que vous ne le pensez.
— Mon père n'est qu'un monstre sanguinaire.
— Cessez de le voir comme une bête affreuse. Sous cette carcasse d'acier tailladée de souffrance, un coeur bat, et il a réalisé beaucoup. Si vous aviez connu son passé, vous porteriez un regard différent sur lui.
Valyrion connaissait son père. L'empereur avait la réputation d'être ferme et il ne l'était pas seulement avec ses hommes. Le prince et sa soeur avaient reçu une éducation stricte. Le monarque souhaitait les transformer en figures solides pour guider le peuple et le monarque doutait que son souverain puisse être doué d'abnégation. Dégageant son épaule de la main du moine, l'orc se tourna vers la statue de Deleterre et joignit ses mains. Il inspira et dit :
— Et bien, racontez-le moi.
— Ce n'est pas à moi de le faire, expliqua Allafyn. C'est votre père. Si vous voulez en savoir plus, allez lui parler.
— Il n'a jamais rien voulu me dire. Dès que l'on discute de sujets sensibles, il s'enferme dans sa carapace.
— Sachez trouver les mots juste.
Les paroles du Père résonnèrent dans le temple et Valyrion ressentit quelques frissons. Comment un homme si attaché aux croyances pacifiques de la religion pouvait en même temps vénérer l'empereur, qui prenait plaisir à se battre ? Le prince s'avoua vaincu. Jamais il n'aurait le dernier mot avec son professeur.
Soudain, une voix rauque arriva jusqu'aux oreilles du jeune orc, qui trembla en la reconnaissant.
— Où est-il ?
C'était celle de son père. Ce dernier était proche... et en colère.
[...]
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