24 - Le sommet
Ils grimpaient depuis un moment quand Solrik décida de faire une pause. Yuling se laissa tomber sur les pierres, éreintée. L'ascension du col les rendait vulnérables, facilement repérables du ciel. Par deux fois, des dragons survolèrent leur zone et par deux fois, ils retinrent leur souffle.
– La Dragonnerie se trouve dans cette direction, annonca Solrik en pointant la crête positionnée le plus au sud.
– Les dragons volaient pourtant dans l'autre direction, souligna-t-elle.
– Les deux premiers, oui. Mais pas le troisième. Il a pris en direction de l'ouest, puis a changé de cap une fois le col passé. Quelque chose me dit qu'on leur a volontairement demandé d'éviter cette zone, probablement pour nous induire en erreur.
Yuling acquiesca, tout en scrutant la ligne d'horizon qui séparait le ciel des flancs rocheux. Ils n'étaient pas encore arrivés au sommet, et les dernières heures avaient été éprouvantes. Solrik semblait soucieux. La fatigue soulignait ses traits et le lien qui les reliaient l'un à l'autre n'avait jamais autant brillé. Le temps venait à manquer.
– Il faut qu'on passe le col avant la nuit, continua-t-il pour lui-même. De là-haut, on devrait pouvoir trouver une solution à nos problèmes.
Yuling se releva en constatant qu'il se remettait en route. Les maigres provisions récuperées avec le sac avaient à peine suffi rassassier. A présent, l'eau venait à manquer. Chaque pas représentait bien plus qu'une simple épreuve physique.
Il atteignirent le col peu avant le coucher du soleil, ce qui leur permit de s'arrêter brièvement pour faire un point. Ainsi purent-ils discuter, aux dernières lueurs du ciel, de la trajectoire à suivre. Puis ils entamèrent sans attendre la descente, jugeant préférable aux sommets glaciales le couvert d'un terrain plus propice pour passer la nuit.
La descente fut périlleuse, entre le manque de visibilité et leurs tenues non adaptées, Yuling avait le sentiment que chaque pierre lui arrachait la peau sous les pieds. Et si Solrik ne montrait rien de ses émotions, il avait cependant cessé de parler depuis un moment ; le lien, d'un vert saisissant au milieu de la nuit, témoignait en silence de son état de fatigue. Cependant, se déplacer dans la pénombre avait au moins un avantage : la nuit trahissait la présence de chacun des autres groupes. Notamment de ceux qui jouissaient d'un avantage non négligeable : la maitrise du feu. En silence, Yuling dressa mentalement la carte de l'emplacement de chacun des groupes. Ainsi pourraient-ils, le lendemain, modifier leur trajectoire en fonction de leur positionnement.
Ils s'installèrent pour la nuit à l'abris des buissons, là où la végétation commencait à peine à retrouver ses droits. Une fois posée, Yuling entreprit de détendre ses muscles endoloris qu'elle massa longuement, puis épousseta la poussière accumulée au cours des dernières heures.
– Tu as faim ? demanda Solrik en lui tendant la derniere barre de viande séchée.
– Non, ça va...
– Tu es sûre ?
– Certaine. Je suis prête à faire beaucoup de concessions pour obtenir mon dragon, mais pas celle de mourir le ventre vide, plaisanta-t-elle.
Pour la première fois depuis le début de la journée, Solrik laissa échapper un petit rire.
– Tu crois qu'ils sont encore dans les parages ? demanda Yuling.
– On les a semés avant de passer le col quand on a bifurqué au sud. Mais je prendrai le premier tour de gardepour m'en assurer.
Yuling acquiesça. Avec un peu de chance, ils ne les recroiseraient pas avant la fin de l'épreuve, mais il y avait plus grave. L'oeuf. Devant l'urgence de la situation, ils n'avaient pas pris la peine d'évoquer ce qui s'était passé ; peut-être était-ce par pudeur, ou parce qu'elle n'avait pas envie de croire que tout était déjà fini, qu'elle préférait ne pas en parler. Elle pensa brièvement à Ewa dont elle n'avait aucunes nouvelles : où était-elle ? Avait-elle réchappé aux flammes ? S'entendait-elle avec son équipier ou était-elle tombée sur un de ces crétins qu'elle redoutait tant ?
A la réflexion, elle n'avait pas à se plaindre avec Solrik. Il se révélait bien plus fiable qu'elle ne l'avait imaginé. Il lui rappelait Mees, incisif dans ses décisions, réfléchi dans ses actes. Par moment, quand elle sentait son regard posé sur elle, elle se demandait à quoi il pouvait bien penser. Quel genre de vie il avait vécu jusqu'ici, quel genre d'épreuve il avait traversé.
– Tu ne te demandes pas parfois ce que tu fais ici ? murmura-t-elle.
– De temps en temps, si. Mais est-ce vraiment important ? Je veux dire... Si nous sommes là aujourd'hui, c'est parce que nous avons été Appelé, non ?
L'Appel...
Yuling se mordit la lèvre. Comment réagirait-il s'il apprenait qu'elle n'avait pas été Appelée ? Est-ce qu'il continuerait à la regarder de la même manière ? Est-ce qu'il lui accorderait la même confiance ?
Il soupira bruyamment en s'alongeant dans les herbes éparses.
– On ferait mieux de se coucher, suggéra-t-il. La journée a été longue et la nuit risque d'être courte. La Dragonnerie est encore à au moins une journée de marche. Ne t'inquiète pas des autres, je monterai la garde cette nuit.
***
Maître Torrish avait les yeux gorgé de sang. Deux nuits qu'il n'avait pas dormi. Une horrible migraine lui donnait la sensation d'imploser, autant de fatigue que d'énervement. Les Maîtres avaient défilé toute la journée dans son bureau sans qu'aucun ne lui apporte les réponses éscomptées. A l'heure qu'il était, le Dragonium avait probablement déjà eu vent de cette histoire ; dans ce monde, tout se savait tôt ou tard. Cette événement signerait la fin de sa carrière s'il ne réglait pas rapidement la question.
– Entrez ! beugla-t-il aux trois coups frappés à la porte.
Rosa Morgen pénétra dans le bureau en trombe. Sa démarche nerveuse ne signifiait rien de bon. Les mauvaises nouvelles s'accumulaient.
– Ils ont perdu leur trace au détroit de Gibar, l'informa-t-elle. Deux son revenus, le troisième ne devrait pas tarder.
– Assurez-vous qu'ils passent me voir immédiatement.
– Argy, nous devons...
– Hors de question. La guerre est aux frontières des royaumes du sud. L'ennemi est peut-être déjà parmi nous. Nous avons besoin de ces Héros. Nous avons tous besoin d'eux ! insista-t-il en pointant du doigt le miroir.
– Le Roi...
– Le Roi ferait à peu près n'importe quoi pour déroger aux traditions énoncées par ses ancêtres. Il déteste les dragons, il les a en horreur ! Un monarque qui n'aspire qu'à entrer dans l'histoire mais qui se terre dans son château... On aura tout vu. Annuler les épreuves... La dernière chose dont on aurait besoin serait justement que tout Maestria soit au courant ! Non, je veux que chacun d'entre vous soit à son poste, qu'on envoie les sentinelles s'assurer du bon déroulement de l'épreuve et surtout, qu'on m'identifie ce foutu dragon ! Appelez-moi Orian !
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