40 - Le souffle des âmes (à réécrire)

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 Les Maîtres débarquèrent quelques minutes plus tard. Plusieurs manquaient à l'appel, prétextant des cours à donner ou accordant peu d'intérêt aux nouveaux arrivants. Tous arboraient la célèbre tenue de cuir noir de rigueur quand on travaillait avec des dragons toute la journée. Dame Calwaën arriva prestement, suivie du Maître qu'elle avait croisé à Anyor avant le départ des épreuves. La jeune femme lui adressa un sourire entendu. Yuling sentit son estomac se nouer.

 – Par ordre de classement, vous choisirez le Maître qui se chargera de votre apprentissage, avança Maître Conyor. Esia ?

 L'appelée vit fuser les remarques. Ils devaient être une bonne cinquantaine de sélectionnés. Cinquante candidats qui la suivirent des yeux lorsqu'elle s'avança pour choisir son Maître. Yuling crut reconnaitre la jeune fille qui appartenait au second groupe, celui qu'ils avaient croisé dans les bois.

 – Dame Morgen, énonça-t-elle clairement.

Il y eût des sifflements et quelques applaudissements. Maître Conyor les fit cesser brièvement :

 – Silence, s'il-vous-plaît. Yun !

 Yuling frissonna en voyant le garçon sortir des rangs. Un sourire narquois fendait son visage plein d'arrogance. L'assurance avait balayé toute marque d'hésitation dans son attitude.

 – Dame Morgen !

 Yuling se pencha vers Ewa :

 – Pourquoi est-ce que tout le monde veut être dans la classe de Dame Morgen ?

 – Tous ses apprentis deviennent célèbres, murmura la jeune fille.

 Yuling sentit son estomac se tordre. Elle s'était plus ou moins engagée officieusement avec Dame Calwaën. Mais que connaissait-elle réellement de la jeune femme ? Elle n'était qu'une Medilum après tout, sa marge de progression...

 Elle soupira à l'idée qu'elle ne deviendrait jamais un bon Héros. Que devenaient les élèves sans talent ? Est-ce qu'elle n'avait pas plutôt intérêt à choisir un excellent Maître pour pallier à ses difficultés ? Resterait-il seulement un bon Maître quand ce serait à son tour de choisir ?

 – Tu te poses trop de questions, lui souffla Ewa.

 Kön, le troisième Supiri, choisit la classe de Maître Sylga. Il y eût quelques murmures à son passage. Principalement à cause de son teint halé et de ses cheveux rouges. Il ne venait pas de ces terres. Yuling se demanda pourquoi elle ne l'avait pas remarqué plus tôt.

 Les candidats qui suivirent se disputèrent les classes de Maître Torrish et Dame Morgen. Certains leur préférèrent Maître Sylga et Maître Conyor. Il y eût même une fille qui choisit Dame Elitis, mais personne n'opta pour la classe de Maître Onyo, pas plus qu'on ne choisit celle de Dame Calwaën.

 Yuling commença à se mordre les doigts. Avait-elle mal jugé la jeune femme ?

 Emprise au doute, Yuling referma sa main autour du bras d'Ewa.

 – Tu es certaine...?

 – Pas maintenant... Fais-moi confiance.

 Ce fut au tour de Solrik d'être appelé. Yuling redressa la tête. Le garçon sortit des rangs. Il avait renoué ses cheveux en un chignon soigné, le même qu'au début des épreuves, et avait revêtu une robe en soie brodée. Il paraissait presque trop distingué pour le lieu ; elle avait d'ailleurs du mal à l'imaginer à dos de dragon. Mais comme tous les candidats avant lui, il garda son sérieux lorsqu'il prit la parole :

 – Maître Sylga.

 Il partit rejoindre les autres élèves du Maître. Il avait pris sa décision : ils ne seraient définitivement pas dans la même classe. Puis ce fut au tour d'Ewa, qui se dirigea vers Dame Calwaën sans sourciller. Son choix éveilla rires et les moqueries, mais elle l'assuma sans se retourner. Yuling admira l'assurance et l'aplomb avec lesquels elle affrontait la situation.

 Quand vint son tour, le choix initial n'en fut plus un. En réalité, il n'y avait pas de Nunti ; la Dragonnerie ne s'en encombrait pas, jugeant que l'entrainement serait trop laborieux, pour ne pas dire risqué. Elle fut donc envoyée dans la classe de Dame Calwaën un peu malgré elle, sans oser reconnaitre que cette situation l'arrangeait bien, dans le sens où elle n'aurait pas à faire un choix qu'elle pourrait regretter. Cependant personne, absolument aucun autre apprenti, ne se retrouva avec elles. Ils préférèrent à la Dame Maître Onyo, qui malgré son manque d'incompétence ne se voyait pas rattrapé par son passé.

 – Il faudra vraiment que tu m'expliques, chuchota Yuling à Ewa tandis qu'elle essayait de comprendre exactement de quoi il en retournait.

 – C'est mieux ainsi, fit remarquer la jeune fille. Au moins elle aura plus due temps à nous consacrer !

***

 – Voici votre chambre, leur annonça Dame Calwaën en poussant la porte en bois. Trois lits, vous aurez de la place pour vous installer. Vous avez l'après-midi pour vous familiariser avec votre nouvel espace. Le repas sera servi à l'heure du chant des dragons : petit conseil, prévoyez d'arriver à l'heure car certains ne mangent pas à leur faim. Rendez-vous dès l'aube devant la statue. Aucun retard ne sera toléré. Ah oui, et j'oubliais... Pas de tenue particulière pour l'exercice, vous vous contenterez de vos propres habits. Est-ce que tout est clair ?

 Le regard de la jeune femme passa de l'une à l'autre jusqu'à ce qu'elles acquiescent.

 – Bien, alors bon après-midi, et bienvenue à la Dragonnerie.

 Sur ces belles paroles, elle se retourna dans des volutes de parfum fruité, et sortit de la chambre.

 Ewa se laissa alors tomber sur le premier lit en soupirant.

 – Ça y est, on y est enfin !

 Enfin, oui...

 Yuling songea à Mees en s'approchant de la fenêtre pour mieux distinguer les dragons à l'entraînement. Certains Maîtres, probablement rattachés à la Dragonnerie mais dépêchés en mission à la journée ou à la semaine, effectuaient de fréquents aller-retour. Elle les voyait à dos de dragons atterrir et repartir, aussi furtifs que des éclairs. Plus surprenant encore, la garde terrestre ; ces individus vêtus de combinaisons de cuir souple qui apparaissaient de temps à autre à la lisière de la forêt. On disait d'eux qu'ils héritaient d'une espèce bien particulière de dragons : longs de corps, montés sur des pattes robustes mais dépourvus d'ailes ; de redoutables prédateurs qui se fondaient dans la végétation, parfaitement adaptés aux exercices de repérage et de traque.

 – J'ai été naïve de penser qu'on aurait notre dragon sitôt entrés à la Dragonnerie, bougonna Yuling. Ils ont parlé de Fusion, c'est quoi au juste ?

 – Une sorte d'appel, il me semble.

 – Comme celui qui nous a mené à Anyor ?

 Yuling sentit son estomac se nouer car elle n'avait pas été appelée et avait précisément omis de mentionner ce détail à quiconque. Est-ce que ça signifiait qu'elle n'aurait pas de dragon ?

 – J'ai lu quelque chose à ce sujet dans un de mes livres. Il parait qu'on devient complètement ivre, un peu comme quand on est amoureux, et que même si quelqu'un nous parle, on ne l'entend pas. Tu as déjà été amoureuse ?

 – Est-ce qu'un chat ça compte ?

 Ewa rigola.

 – J'entends du bruit. Je crois que nos affaires arrivent.

 La jeune fille se releva et trottina jusqu'à la porte sur la pointe des pieds. Deux gardes en combinaisons noires frappèrent. Yuling se retourna.

 – Nous apportons vos affaires.

 Ewa entrouvrit la porte, prudente.

 – C'est vous Ewa ?

 – O-oui... affirma-t-elle d'une toute petite voix.

 La porte s'ouvrit en grand et une floppée de bagages plus nombreux les uns que les autres atterrit au milieu de la chambre. Les gardes s'esclaffèrent en remarquant le changement de couleur du visage de la jeune fille, devenue blême.

 – La prochaine fois, voyagez plus léger, se moqua le plus grand des deux gardes. M'étonnerait que votre dragon apprécie une telle exubérance !

 Son confrère s'esclaffa à son tour et tous deux disparurent dans le couloir avant qu'elle n'ait eu le temps de rétorquer quoique ce soit.

 Ewa feuilletait tranquillement son ouvrage sur le lit tandis que Yuling inspectait l'armoire à la recherche de draps.

 – Rien de rien... soupira-t-elle en refermant les portes. Tu crois qu'il faut qu'on les demande ?

 – Je crois surtout qu'après quelques entrainements dans le sable et la boue, ces lits seront aussi propres qu'un terrain d'entrainement. Pourquoi se compliquer la vie ? Ah voilà, la fusion... Ils parlent d'un état altéré lors de la création du lien avec le dragon.

 Ewa fronça les sourcils avant de poursuivre :

 – Certaines personnes changent de manière durable. D'autres deviennent fous... Je ne sais pas toi, mais tout à coup ça donne moins envie...

 – Je pense qu'on est déjà tous fous d'attendre depuis la cérémonie de remise des oeufs. Ils se sont bien moqués de nous quand même.

 – Avec du recul, ça fait sens. Est-ce qu'ils auraient pris le risque de perdre ou de casser un oeuf quand on sait combien ils sont précieux ?

 Yuling dut admettre qu'elle avait raison. Elle se remit à observer par la fenêtre les dragons qui atterrissaient sur un ciel d'opale et de rose. La lumière du jour déclinait à mesure que la soirée avançait. Puis un vague sentiment d'excitation gagna la Dragonnerie ; Yuling se pencha pour mieux observer la cour. Des apprentis pointaient du doigt le Volarium et la jeune fille qui s'y rendait.

 Ewa bondit de son lit et accourut précipitamment pour observer la scène.

 – Ca a commencé... murmura-t-elle, le visage et les mains collés sur la vitre. Ça a commencé ! Les premières fusions !

 Elle sautilla sur place, excitée à l'idée d'être la prochaine.

 – Dans moins de trois jours on aura nos dragons !

 Elle courut jusqu'à son lit, attrapa son oreiller, et le serra contre sa poitrine en dansant dans toute la chambre.

 – Elle va où ? demanda Yuling, pragmatique.

 – Au nid ! J'ai entendu dire que pour des raisons pratiques, il se trouvait près du Volarium. Il y a même des vigies pour le surveiller. Je pense qu'après ce qui s'est passé, ils doivent redoubler de vigilance.

 Yuling observa encore quelques instants la cour et l'agitation qui y régnait. Certains apprentis plus âgés se retournèrent amusés sur leur passage. Puis les Maîtres se passèrent le mot, et celui en charge de l'apprenti foula bientôt le sol de terre battue pour se rendre Volarium. Un étrange grondement l'accompagna dans sa précipitation, bientôt suivi de centaines d'autres tandis que s'élevait dans la douceur du soir le chant des dragons.

 – C'est l'heure de manger, releva Ewa. Je ne sais pas toi, mais moi…

 Au même instant, le chant des dragons cessa brusquement et l’agitation grandit dans la cour. Deux Maîtres la traversèrent pressés. Un troisième suivi à peine quelques minutes plus tard. Puis elles se retournèrent en sursaut quand on frappa à nouveau à la porte de leur chambre. Le visage de Dame Calwaën apparut dans le cadran, souriant mais soucieux.

 – Vous êtes toujours là ? Super, j’avais peur de devoir vous chercher. Changement de programme. Quelqu’un a volé le Souffle des Ames, j’ai bien peur qu’on soit cantonnés à nos appartements au cours des prochaines heures !

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