55 - Rencontre Collective 1/2 (à réécrire)
Maître Tavin commença à passer dans les rangs pour recenser les dragonneaux. Il s'agissait de marquer à la plume leurs signes distinctifs, à commencer par leur couleur, leur taille, la présence ou non d'ailes, de cornes ou de collerettes. Pour ce qui était de leurs traits de caractères, c'était plus difficile à déterminer, d'autant que certains dragonneaux recommençaient à s'agiter, perturbant les leurs congénères dans les rangs. Le Maître fit plusieurs fois signes à ses apprentis d'intervenir, sourcils froncés, mâchoire crispée. Ce remue-ménage commençait à avoir raison de son humeur.
Il commença par le début de la file. Yuling rivalisa d'ingéniosité pour calmer les battements de son cœur car Fei tardait à revenir. Bon sang ! Elle avait travaillé son rappel chaque jour depuis l'éclosion et n'avait pas eu à rougir du lien qu'elles partageaient. Pourquoi fallait-il qu'aujourd'hui précisément, sa dragonne mette sa patience à rude épreuve ?
Elle n'était pas la seule à avoir du mal à garder son calme. Une lueur d'agacement embrasait le regard du Maître et la jeune fille sentit poindre la menace latente. A un moment donné, il releva la main, ordonnant par là à ses apprentis de stopper court. Une ride barra son front tandis qu'il relevait la tête vers le ciel. Les deux filles suivirent son regard : une point approchait de l'horizon. Un dragon. Un dragon de couleur cuivre.
L'appréhension lui retourna l'estomac, et une réponse tacite lui parvint intuitivement de sa dragonne qui semblait soudain l'avoir entendue. Sans s'en rendre compte, ses doigts s'étaient refermés sur un pan de ses habits. Elle allait de nouveau voir un dragon adulte de près !
En arrivant au dessus du groupe, la créature se redressa. Ses ailes s’étendirent, soulevant des nuages de poussière : tous les regards étaient braqués sur elle. Quelques élèves se frottèrent les yeux, d’autres reculèrent. Lorsque ses griffes s’enfoncèrent dans le sol, la bête gronda si fort que la moitié des apprentis sursautèrent. En une seconde, le calme était revenu. Plus le moindre apprenti ne braillait. Plus le moindre dragonneau ne montrait les crocs. Tous observaient l’énorme dragon dressé dans toute sa splendeur.
– Bien ! On dirait que nous allons pouvoir continuer, commenta Maître Tavin.
Personne ne broncha. Il était difficile de ne pas obéir en présence de l’imposante créature.
Soudain, la présence de Fei se fit plus insistante dans son esprit, comme une caresse sur l'enveloppe de ses pensées. Elle sut avant même de relever les yeux que sa dragonne était revenue. Elle la chercha du regard pour l'apercevoir un peu plus loin, rasant le sol pour la rejoindre. Son angoisse s'effaça comme un coup de vent. Fei était revenue, elle allait bien : elle en oublia même la colère qui l'avait gagnée quelques minutes plus tôt.
La main d'Ewa pressée contre son bras la rappela à elle :
– Solrik te regarde, l'avertit-elle.
Yuling tourna la tête et croisa le regard du garçon quelques instants. Elle aurait aimé pouvoir lui parler, mais avec tous ces apprentis autour d'eux, elle se ravisa. L'attention du garçon se porta alors sur sa dragonne qui venait de la rejoindre. Une expression indescriptible s'afficha sur son visage, alors qu'il croisait à nouveau le regard de la jeune fille. Qu'essayait-il de lui dire ?
Il finit par se retourner alors que Maître Tavin parvenait à son niveau. Un des assistants se baissa pour observer le dragon noir de plus près ; en matière de distinction, le dragonneau n'avait pas son pareil. Quiconque posait les yeux sur lui prenait d'emblée conscience de cette l'aura supérieure qui se dégageait de lui. Un peu comme son maître, finalement.
Fei ! la morigéna Yuling alors que la dragonne tentait une approche furtive. Reviens !
Elle sentit ce qu'elle interpréta comme un rire moqueur alors que sa dragonne se moquait bien de ses états d'âme.
– Comment on fait pour faire obéir un dragon un poil trop téméraire ? demanda-t-elle entre ses dents à son amie.
– Respire, fait le vide dans ton esprit, déconnecte-toi, répondit Ewa en imitant Ella dans ses rares instants de méditation.
– Et si je n'y arrive pas ?
– Tu peux aussi t'énerver, devenir toute rouge et lui courir après, mais je ne te garantie pas le résultat, se moqua gentiment une voix masculine.
Yuling remarqua alors le garçon qui venait de l'interpeler. Kön. Elle n'avait eu que peu de nouvelles le concernant au cours des deux dernières semaines et le revoir lui fit une sensation bizarre : un mélange d'appréhension et de curiosité. Curiosité d'en découvrir plus à son propos, car elle aimait sa voix chantante et sa peau dorée. Appréhension de parvenir à trouver ses mots. Sans compter que Solrik devait les observer d'un peu plus loin. Cette simple idée la dérangeait sans trop qu'elle s'explique pourquoi. Elle devenait un peu trop consciente de sa présence, et ce détail lui déplaisait.
– Je crois que je m'en passerai...
Dans ses souvenirs, les dragons n'étaient pas aussi têtus. Mais dans ses souvenirs aussi, elle n'avait pas Fusionné avec l'œuf qui avait éclos dans son village. La relation qu'elle avait partagé avec le bébé dragon sauvage était différente de celle qu'elle partageait avec Fei. Une histoire de connexion. Ou de caractère, peut-être.
– Il y a bien quelques astuces, renchérit-il en se rapprochant.
Le regard de Yuling se posa dans le sien. Elle avait oublié combien la couleur de ses yeux était incroyable : d'un vert aussi intense que la prairie après les fortes pluies au printemps, aussi vivants que le vent qui s'affole dans les herbes.
– Lesquelles ?
Un petit sourire se glissa sur les lèvres du garçon et Yuling comprit qu'il ne lui livrerait pas aussi facilement ses secrets.
Blasée, elle rappela sa dragonne dans un soupire mental.
Reviens... Maintenant on se fiche de moi à cause de toi.
Bizarrement, sa dragonne rappliqua dans la seconde et darda sur l'intru son regard courroucé. Kön s'en amusa :
– Déjà beaucoup de caractère pour un dragon de cette taille.
– On dirait que tu as l'art et la manière de bien tourner les...
Maître Tavin les interpela avant qu'elle ne termine sa phrase. Yuling se raidit, sérieuse, tout en redoutant le moment où le Maître poserait les yeux sur sa dragonne, ce qui ne tarda pas. Une fraction de silence mura ce début de conversation.
Un poil trop marqué, songea Yuling en sentant son ventre se nouer.
Depuis que Fei était sortie de son œuf, c'était toujours la même chose. Elle redoutait le moment où quelqu'un s'intéresserait d'un peu de trop près à sa dragonne. L'entrainement calmait son inquiétude : elle croisait moins de monde sur le terrain que dans les couloirs, mais comme Ewa, elle avait entendu les rumeurs et avec le temps, ces dernières devenaient difficiles à ignorer. On disait du dragon blanc qu'il était rare, qu'il s'inscrivait dans la légende ! Mais avait-elle seulement envie de faire partie de cette légende ?
Maître Tavin se racla la gorge et reprit :
– Dragon blanc, donc. J'ai beaucoup entendu parler de lui ces derniers temps, jeune fille.
Son regard était équivoque, elle comprenait ce qu'il entendait par là. Le poids des responsabilités s'abattit un peu plus sur ses épaules et aurait été intenable si elle ne se trouvait pas la pour Mees.
Oui, elle s'était enfin liée à ce dragon tant espéré, mais elle ne devait pas en oublier son frère. C'était pour lui qu'elle faisait tout ça. Pour le retrouver.
– Il a... des poils, déclara-t-il en griffonnant ses constatations. Petite taille, athlétique. Absence d'ailes mais collerette bien présente. Crocs...
Son assistant s'accroupit et releva les babines de Fei qui se débattit. Elle n'aimait pas être touchée et le faisait savoir.
– Rien de particulier à signaler de ce côté-là. Energique, pleine d'entrain, ce qui pourra se révéler un atout comme le pire des traits de caractères. Surtout, tâchez de vous montrer prudente et ne sous-estimez pas l'entrainement ni les responsabilités qui vous reviennent. Elles pourraient vous coûter plus cher que ce que vous imaginez.
Yuling acquiesça, les mains posées l'une contre l'autre, mal à l'aise. Ce n'était pas la première fois qu'on la mettait en garde contre les dérives d'un caractère trop prononcé et ça n'était pas pour la rassurer.
– Je ferai attention, répondit la jeune fille.
Son yeux remontèrent sur Kön, qui la fixait d'un regard amusé. Elle poussa un long soupir et décida de l'ignorer.
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