44 - Les bains (2/2) (à réécrire)
Préoccupée, elle regagna les bains en se demandant si elle ne ferait pas mieux de parler de tout ça à Ewa. Mais pouvait-elle lui faire confiance ? Elles ne se connaissaient que depuis le début de l'épreuve au final. Était-ce suffisant ?
Elle chassa ces pensées de son esprit en repérant la jeune fille devant le comptoir qui faisait lieu d'office. Yuling s'empara de la serviette et des chaussons qu'on lui tendit, puis franchit la porte en bois qui marquait l'entrée aux bains.
Aussitôt, une épaisse brume les submergea ; des milliards de gouttelettes qui imprégnèrent leurs habits et se collèrent à leur peau. Yuling s'imprégna de l'odeur et du clapotis de l'eau frémissante. Elle rêvait d'un bain depuis la première nuit qu'elle avait passé dehors. Un groupe d'apprentis plus âgés les dépassa, discutant avec entrain de la présence du Dragonium à la Dragonnerie.
– Je me demande ce qu'Ella a à voir avec le Dragonium, réfléchit Ewa à haute voit une fois qu'ils eurent disparu.
Yuling devait admettre qu'elle se posait les mêmes questions. Elle avait eu la sensation que le Maître qui l'avait menacée à demi-mots la connaissait personnellement. Et entre tout ça, son journal qui avait disparu...
– Est-ce que le Dragonium peut vraiment ordonner qu'elle quitte la Dragonnerie ?
– Apparemment ils en...
Les sourcils froncés, sa phrase resta en suspens tandis qu'un détail venait de l'interpeller à l'autre bout du couloir. Yuling suivit son regard et aperçut Solrik qui se dirigeait dans leur direction. Les cheveux relevés, parfaitement accoutré, il les jaugea de la tête pied en s'arrêtant à leur niveau. Il avait retrouvé des couleurs et semblait en bien meilleure forme que lorsqu'elle l'avait quitté. Elle eut tout à coup honte de sa tenue, sale et déchirée.
– Tu... Je vois que tu sembles aller mieux, lâcha-t-elle d'un ton qui se voulait indifférent.
En réalité, elle s'était beaucoup inquiétée pour lui, mais elle préférait mourir plutôt que de le reconnaître. Il la parcourut du regard, sur la réserve.
– Et toi, tu t'es remis très rapidement, on dirait...
Yuling sentait naître une once de déception. Sa remarque sonnait presque comme un reproche. Son ton était froid et renforça le malaise qui s'était installé entre eux. C'était comme s'il venait de balayer d'une phrase tout ce qu'ils avaient traversé au cours de l'épreuve.
La main d'Ewa se referma sur la sienne.
– Sans elle tu ne serais pas là, elle t'a sauvé la vie je te signale !
– Et j'ai sauvé la sienne.
Son ton était dur. Emplis de déception et de colère. Yuling ravala difficilement sa salive.
– Est-ce que... tu as déjà fusionné ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
Il planta ses yeux dans les siens.
– Est-ce que j'ai l'air d'avoir fusionné ?
Et sans un mot de plus, il la planta sur place. Yuling se retourna pour le regarder partir, un pincement au cœur. Qu'avait-elle fait qui vaille une telle réaction de sa part ?
– Vous vous entendiez bien ? demanda Ewa, circonspecte.
– Je pensais...
Elles gagnèrent les bains en silence et déposèrent leurs affaires sur le sol. Dame Calwaën avait apporté à Yuling une tenue de rechange qui ferait l'affaire le temps qu'elle se procure les siennes ; une simple tunique de lin beige assortie d'un pantalon bien assez souple pour pouvoir supporter l'entraînement. La situation avait beau être inédite, la jeune femme n'en avait pas perdu son aspect pratique.
Les bains des filles étaient séparés de ceux des garçons par de hautes palissades en bois sculpté ; autant de fioritures qui s'ajoutaient à l'aspect agréable des lieux, si l'on en omettait l'odeur. Yuling s'immergea jusqu'au cou et invita Ewa à la rejoindre :
– Ça fait au moins deux lunes que mon visage n'a pas vu la couleur de l'eau...
– Si tu étais arrivée plus tôt, tu aurais pu te laver, la nargua Ewa. Ils nous ont mis des bassines à disposition quand on a terminé la première épreuve.
– Pourquoi je n'en ai pas vu la couleur...
Yuling lâcha un long soupire faussement dramatique.
– Néanmoins une bassine d'eau froide n'équivaut à un bon bain chaud pour rien au monde !
Des rires fusèrent dans leur dos ; Yuling et Ewa se retournèrent pour observer un groupe de jeune fille qui discutait gaiement.
– Malgré l'arrivée du Dragonium, on dirait qu'il fait tout de même bon vivre, commenta Yuling.
– Attend d'avoir commencé l'entraînement et tu regretteras tes paroles. D'ailleurs, il y a quelque chose qui m'interpelle. Tu ne trouves pas que le Dragonium est arrivé vraiment très rapidement ?
– Comment ça ?
Yuling fronça les sourcils. Ewa expliqua :
– Si on y réfléchit, on a appris le vol du Souffle des machins à peine quelques heures plus tôt. C'est rapide...
– Peut-être que quelqu'un les aurait prévenus ? réalisa Yuling en se redressant soudain.
– Peut-être même l'auteur du vol ?
– Ou alors ils seraient là pour tout autre chose... Tu ne trouves pas que la première épreuve était étrange ?
Ewa pencha la tête sur le côté en essayant de se remémorer les événements qui les avaient tous marqués. Yuling reprit :
– Si on y réfléchit bien, aucune des épreuves n'a représenté une réelle menace parce que les Maîtres n'ont eu de cesse de nous rappeler le danger que nous courrions. Sauf la première. Tu ne trouves pas ça étrange qu'un dragon s'en soit pris à la forêt et nous attaque ouvertement ?
– Cette nuit était vraiment horrible...
Ewa plongea la tête dans l'eau et pour ne laisser dépasser que le sommet de sa tête et les yeux. Perdue dans ses pensées, Yuling finit par se détendre à son tour. Elle avait beau avoir récupéré rapidement, elle restait marquée des évênements qu'elle venait de vivre, et appréciait cet instant de répit. C'était comme retrouver son lit après des semaines dans la montagne avec Mees. Elle adorait son frère et chérissait ces moments passés avec lui, mais retrouver sa chambre avait un côté réconfortant que l'aventure ne pouvait lui offrir.
Elle revint brusquement à la réalité quand Ewa lui secoua le bras.
– Chut ! Regarde...
La jeune fille lui indiqua l'autre côté du bassin où une fille à peine plus âgée qu'elle éclatait de rire devant une série de bulles qui remontaient à la surface. Quelques secondes plus tard, une petite tête verte apparut, recouverte d'écailles, les narines dilatées.
Un dragonneau.
Le sang de Yuling ne fit qu'un tour. Un puissant désir s'empara d'elle : elle le fixa sans ciller de longues secondes et ne put s'empêcher de le comparer à son dragonneau. Il était plus petit, plus fin aussi. Ses pupilles toutes rondes couvaient sa maîtresse d'un amour sans limite.
Ewa lui donna un coup de coude pour la faire réagir :
– On dirait que tu viens de voir passer un fantôme, plaisanta-t-elle.
Presque.
La seconde fille qui rejoignit la première l'interpella alors ; blonde, les cheveux longs, la peau opaline et les traits gracieux. Elle l'avait déjà croisée.
– J'ai l'impression de la connaître... dit-elle.
– Qui ça ? Aliénor ?
– Tu la connais ?
La voix d'Ewa se teinta d'ironie :
– La question serait plutôt : « Qui ne la connait pas ?». Cette fille est tellement douée qu’elle est probablement tout droit sortie d’un œuf. On ne parle que d’elle : « Aliénor est si douée, » « Aliénor est si gracieuse, » « Aliénor n’a pas besoin de se baigner, c’est elle qui parfume son dragon et non l’inverse… ». Tu l'as probablement croisée pendant la Course des Vents.
Yuling marqua sa surprise :
– Elle y a participé ?
– Pas elle, son Maître... rétorqua-t-elle, blasée. Il parait que c’est une des apprenties les plus talentueuses qu’il ait été donné de voir à la Dragonnerie. Elle s’est classée première aux examens, trois années consécutives. Et donc, c'est aussi l'une des rares que Maître Torrish a accepté de prendre sous son aile.
– Je croyais qu'il ne prenait pas d'élèves ?
– Il faut croire que toute règle a son exception... Néanmoins, il est hors de question que je laisse cette Madame-Parfaite me devancer. Si j'ai rejoint la classe de Dame Calwaën, c'est dans l'unique but de la surpasser !
Yuling savait Ewa curieuse et d'une étonnante perspicacité pour son jeune âge, mais c'était bien la première fois qu'elle la voyait prendre une situation autant à cœur. Avant de quitter les bains, elle promit de l'aider à réaliser son but. Quant au sien, il lui tardait de découvrir son dragon.
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