45 - L'entraînement (à réécrire)
La nuit fut courte. Le rendez-vous fixé à l'aube par Dame Calwaën tourne en boucle dans son esprit. Yuling oscillait sans cesse entre la fatigue et l'excitation de commencer enfin l'entraînement. Dès les premières lueurs, elle s'extirpa de son lit et alla secouer Ewa, qui avait ronflé comme un dragon ivre une bonne partie de la nuit.
– J'ai faim, grogna la jeune fille, les cheveux ébouriffés.
Le maigre repas apporté par Dame Calwaën n'avait pas suffi à les rassasier et ce fut le ventre creux qu'elles sortirent de la chambre. Elle descendirent les deux étages qui les séparaient de la cours et furent surprises de constater qu'elles n'étaient pas les seules à rejoindre la l'entraînement à une heure aussi matinale.
Comme convenu, la jeune femme les attendait devant la statue d'Albin le Bon. Malgré ses traits marqués par la fatigue, elle arborait son sourire habituel et débordait d'énergie. Elle avait revêtu une combinaison usée en vue de l'entrainement, avait relevé ses cheveux en un rapide chignon et les attendait les mains sur la taille, soucieuse de voir arriver ses apprenties à l'heure.
– J'espère que vous avez bien dormi ?
Ewa acquiesça et Yuling l'imita sans grande conviction. Les ronflements de son acolyte ne lui avaient pas permis de fermer l'œil de la nuit. Pendant un moment, elle avait même regretté la respiration irrégulière de Mees tant elle avait eu envie de s'arracher les cheveux. Mais ça bien sûr, elle ne le lui avait pas dit, priant pour que ce léger incident s'arrange avec le temps.
– Si ce n'est pas le cas tant pis, sachez que je ne vous ferrai pas de cadeau, car votre dragon, lui, ne vous en fera pas non plus. Un guerrier se doit de faire face à tout type de situations, y compris le manque de sommeil. Suivez-moi.
Elle les fit descendre par un chemin à demi pavé jusqu'aux terrains d'entraînement. Des grondements sourds leur parvinrent bien avant qu'elles ne prennent conscience de la présence des dragons. Ewa ouvrit de grands yeux, émerveillées. Yuling avait du mal à réaliser. La réalité était là, presque palpable devant elle. Cinq dragons, de différentes couleurs, différentes morphologies, différents âges. Les trois plus gros se trouvaient à bonne distance, mais dans la lumière matinale, elle distingua tout de même leurs écailles de cuivre teintées de vert. Les ailes du plus grand couvraient une si large envergure qu'il lui était impossible de prendre son envol du sol. Ce qui l'interpella le plus, cependant, fut le spécimen qui en était dépourvu. Et elle décida de vérifier d'emblée ce qu'elle avait entendu ces dernières semaines :
– Est-ce qu'il est vrai que certains dragons ne volent jamais ? demanda-t-elle à l'intention de la jeune femme.
– Aussi vrai que tu peux le constater de tes propres yeux. Les dragons naissent entièrement formés quand ils sortent de leur coquille. Autrement dit, ceux qui doivent avoir des ailes les ont dès la naissance ; en revanche leur taille peut varier au fur et à mesure de leur croissance.
Yuling se mordit la lèvre. Cela signifiait qu'il y avait une possibilité pour qu'elle se retrouve avec un dragon sans ailes. La jeune femme l'observa quelques instants et, semblant lire dans ses pensées, tenta de la rassurer :
– Mais tout ça ne vous concerne que peu car les spécimens dépourvus d'ailes sont pour la plupart des mâles et il est rarissime qu'un dragon mâle fusionne avec de jeunes filles. La fusion s'effectue entre deux esprits similaires, précisa la jeune femme en accompagnant ses propos d'un clin d'œil.
Elles longèrent une carrière de sable de l'autre côté de laquelle un apprenti s'entraînait avec son dragon. D'un bleu aussi sombre que le ciel en plein été, la créature arborait une collerette qui se prolongeait en épines dorsales le long de sa crête. Yuling espérait que le sien lui ressemblerait. Elle appréciait sa morphologie. Sauf qu'il ne semblait pas aussi évident à gérer qu'il était impressionnant. A un moment donné, il se retourna contre son maître après un grondement sourd. Alertée, Dame Calwaën se figea, prête à intervenir. La mâchoire claqua à quelques centimètres du bras du garçon. Furibonde, la jeune femme s'élança dans leur direction, tandis qu'Ewa et Yuling les regardèrent, mal à l'aise.
Elle lui passa le savon de sa vie, ce qui rappela aux deux apprenties que la jeune femme n'était pas de nature à plaisanter et qu'elles feraient mieux d'obéir sans tergiverser.
Cinq minutes plus tard, elles atterrissaient sur un terrain boueux, où l'on avait érigé à plusieurs endroits, des structures en bois.
Des obstacles, comprit Yuling, qui sentit irrémédiablement son cœur accélérer.
– On va vraiment franchir ça ? commenta Ewa.
Yuling laissa échapper un rire empreint de sarcasme. Ainsi, l'entraînement commençait par celui des apprentis. Quelle idiote elle avait été, elle aurait dû s'en douter.
– Je commence à me demander si j'aurais pas mieux fait d'aller dans une autre classe, se plaignit Ewa, soudain atteinte d'une flemmingite aiguë.
– C'est pas toi qui parlait de surpasser Aliénor, hier soir ?
– Je ne devais pas être dans mon état normal...
– La force d'un dragon relève avant tout de la force d'esprit de son Maître, énonça Dame Calwaën. Et comme nous le savons tous, la force d'un esprit découle directement de la capacité du corps à endurer l'effort. C'est pourquoi, dorénavant, vous courrez chaque matin ! Et qu'on soit d'accord, les cours ne vous dispensent pas d'entraînement.
Ewa servit à Yuling une moue découragée, à laquelle la jeune fille répondit par un sourire incertain. Elles allaient souffrir, c'était évident. Et le pire, c'est qu'elles ne pouvaient même pas remettre en cause l'entraînement de Dame Calwaën, qui découlait d'un bon sens évident.
Le soleil avait parcouru un tiers de son chemin lorsqu'elles se laissèrent choir dans la boue. Ewa s'étala de tout son long sur le dos, peinant à reprendre son souffle. Yuling maîtrisait mieux les effets de l'effort et parvint à se redresser.
– Je crois qu'on est bonnes pour retourner aux bains, râla Ewa. Je devais être maudite le jour où j'ai croisé un dragon. Quelle idée il m'en a pris de vouloir devenir un Héros !
Yuling en avait la nausée. Des efforts, elle en avait déjà faits, mais l'entraînement si soudain lui faisait remettre en question jusqu'à ses convictions. Son regard incertain croisa celui d'Ella, qui pesa ses mots quand elle s'adressa à elles :
– La Fusion n'est pas un choix de hasard, et je souhaite mettre toutes les chances de notre côté. Vous manquez de confiance, et vous avez vu ce qui arrive quand un Maître doute, dit-elle en indiquant du menton l'apprenti qu'elles avaient croisé à l'aller. Vous devez être réceptives, disponibles psychologiquement pour que le lien se créé, et pour cela, rien de tel qu'un entraînement pour vous vider l'esprit !
Elle lâcha un petit rire cristallin devant les mines déconfites des deux filles.
– Ne vous inquiétez pas, vous avez réussi les épreuves ; vous vous y ferez en moins de te temps qu'il ne vous en faudra pour vous habituer à la Dragonnerie. Eh oui, n'oubliez pas qu'on est dragonnier chaque jour de sa vie, pas seulement quand on est en forme. Un dragon, ça se mérite ! Sur ce, vous devriez filer manger si vous ne voulez pas finir par dépérir !
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